Après les fameux « concerts des 3 ténors », le Metropolitan Opera propose un « Concert (filmé) des 3 sopranos », rassemblant à l’Opéra Royal de Versailles trois étoiles du chant américain : Ailyn Pérez, Nadine Sierra et Isabel Leonard.
Après un concert totalement virtuel qui, en avril 2020 (donc en pleine épidémie Covid) aura marqué les esprits, le Metropolitan Opera passe cette fois en mode semi-déconfiné, et propose un concert filmé, sans public ni orchestre, rassemblant trois représentantes du chant lyrique américain : les sopranos Ailyn Pérez et Nadine Sierra, ainsi que la mezzo-soprano Isabel Leonard, accompagnées au piano par Vlad Iftinca (et, ponctuellement, à la guitare, par Pablo Sáinz-Villegas). Le concert, diffusé en live samedi soir, est également disponible en streaming jusqu’au 4 juin sur le site du Met. Le cadre (l’Opéra Royal de Versailles !) est splendide, d’autant que les chanteuses tournent le dos à la salle (vide), laissant voir en arrière-plan l’intérieur somptueux du théâtre. Le spectacle est donc un enchantement ; tout au plus peut-on regretter une captation filmique qui privilégie des caméras tournoyant un peu trop autour des artistes – tic de réalisation (selon une mode héritée des émissions de variétés ?) qui empêche l’esprit de se poser et nuit parfois à la concentration sur l’interprétation vocale.
En première partie du programme, un pot-pourri d’airs et de scènes favorites des trois chanteuses, très éclectique (de Vivaldi à Leoncavallo !), qui permet à chaque interprète de mettre en valeur ses capacités propres. Et comme nos trois chanteuses, visiblement complices, partagent toutes une origine sud-américaine, elles se rassemblent, telles trois sœurs, dans la deuxième partie du programme (à laquelle participe également le guitariste Pablo Sáinz-Villegas) autour d’airs ou mélodies latines (irrésistibles Bésame Mucho de Consuelo Velázquez et Cielito Lindo de Quirino Mendoza y Cortés …) ou latino-inspirées (Séguédille de Carmen, Canzonetta spagnuola de Rossini…).
La distribution des rôles permet d’apprécier les talents propres de chacune des interprètes : Nadine Sierra (dont la présence en France étonne un peu : n’a-t-elle pas annulé sa Somnambule au TCE parce qu’elle était « cas-contact » ?…) fait valoir un timbre riche et parfaitement homogène sur l’ensemble de la tessiture, et une maîtrise du souffle impressionnante. On apprécie par ailleurs que cette soprano doit distribuée en Giulietta des Contes d’Hoffmann (dont la chanteuse semble posséder l’exact format vocal) et en Adalgise, deux rôles fréquemment et improprement distribués à des mezzos. Le duo de Norma, notamment, chanté avec Ailyn Pérez, est un modèle d’équilibre et de grâce, de même que le trio de Strauss « Marie Theres’! … Hab’ mir’s gelobt » du Chevalier à la Rose, dont l’interprétation est très convaincante malgré une Maréchale manquant un peu de légèreté.
Ailyn Pérez dispose en effet d’une voix d’une belle ampleur, et il n’est pas sûr que des rôles tels que la Juliette de Gounod ou l’Adina de Donizetti, qu’elle chantait encore il a quelque temps, s’inscrivent toujours dans ses meilleures notes. La chanteuse semble même un peu surdimensionnée en Nedda, malgré de très beaux allègements de la voix ; elle est en revanche pleinement convaincante dans le « Ebben? Ne andrò lontana » de La Wally, poétiquement nuancé.
Isabel Leonard avait offert un magnifique « Somewhere » de West side story lors du concert en streaming d’avril 2020. On retrouve avec plaisir son timbre chaud et velouté, peut-être l’un des plus beaux qu’on puisse entendre actuellement dans le registre de mezzo. Elle a offert une Carmen sobre, stylée et parfaitement compréhensible, une Canzonetta spagnuola de Rossini étonnante dans l’accelerando progressif qu’elle fait entendre, et un « Agitata da due venti » de Griselda (Vivaldi) qui excède certes ses actuelles capacités techniques mais qui, pris dans un tempo très raisonnable, nous change agréablement de la rafale agressive et inexpressive de vocalises staccato auxquelles d’autres chanteuses nous ont habitués.
Au total, un concert très agréable donné par trois artistes que l’on entend trop peu souvent en France : puisse-t-il donner aux directeurs de salles l’envie de les réinviter très vite !
Ailyn Pérez (soprano)
Nadine Sierra (soprano)
Isabel Leonard (mezzo-soprano)
Vlad Iftinca (pianiste)
Pablo Sáinz-Villegas (guitariste)
“Je veux vivre dans ce rêve” (Gounod, Roméo et Juliette)
“Voi che sapete” (Mozart, Le Nozze di Figaro)
“Ebben? Ne andrò lontana” (Catalani, La Wally)
“Crudele? … Non mi dir” (Mozart, Don Giovanni)
“Agitata da due venti” (Vivaldi, Griselda)
“Stridono lassù” (Leoncavallo, Pagliacci)
“Belle nuit, ô nuit d’amour” (Offenbach, Les Contes d’Hoffmann)
“Prenderò quel brunettino” (Mozart, Così fan tutte)
“Mira, o Norma … Sì, fino all’ore estreme” (Bellini, Norma)
“Marie Theres’! … Hab’ mir’s gelobt” (R. Strauss, Der Rosenkavalier)
“Près des remparts de Séville” (Bizet, Carmen)
“En medio a mis colores” (Canzonetta spagnuola, Gioachino Rossini)
“Me llaman la primorosa” (Giménez, El Barbero de Sevilla)
“Estrellita” (Manuel Ponce)
“Bésame Mucho” (Consuelo Velázquez)
“Cielito Lindo” (Quirino Mendoza y Cortés)