La salle Gaveau à pleine voix avec Asmik Grigorian
Désormais en résidence salle Gaveau, la programmation de L’instant lyrique retrouve son public avec le premier récital parisien d’Asmik Grigorian, soprano lituanienne, fille du ténor arménien Gegham Grigorian (1951-2016), qui aurait dû faire ses débuts dans la capitale avec la reprise de la Dame de pique de Bastille.
Si certains solistes graduent progressivement leur programme, celui de ce qui est le cinquante-neuvième rendez-vous de L’instant lyrique ne s’embarrasse pas de mise en bouche apéritive et s’ouvre directement sur la grande scène de la lettre d’Eugène Onéguine de Tchaïkovski. Galbée dans une élégance qui n’exclut pas la flamme expressive, Asmik Grigorian fait vibrer la fébrilité de Tatiana. Secondée par un accompagnement attentif, elle restitue la palpitation émotionnelle de cette grande page d’introspection lyrique avec un timbre rond, aux couleurs chaudes mais sans la moindre lourdeur dans une émission qui reste toujours souple et fluide. Cette affinité avec l’écriture de Tchaïkovski se confirme dans un extrait de Iolanta, « Otchevo eto prezhde ne znala », et plus encore dans un spicilège habilement contrasté de trois mélodies – Snova, kak prezhde ; Net, tolko tot, kto znal ; et Sred shumnovo bala. Entre l’extériorisation de la passion et le chatoiement de l’intime, c’est presque une miniature de théâtre que nous livre la soliste, où la richesse des affects ne sacrifie jamais un sens évident de l’arche dramatique.
Après la Russie, direction l’Italie contemporaine du vérisme avec Puccini, dont l’écriture est loin de se limiter à ce courant esthétique. Dans l’air de Cio-Cio-San, « Un bel di vedremo », la soprano arméno-lituanienne affirme une ampleur plus large que l’archétype du rôle, et privilégie la sensualité de l’espérance amoureuse à la fragilité de Butterfly. Le format de sa voix se révèle plus en adéquation avec une Manon Lescaut, dont les adieux à la vie, «Sola, perduta abbandonata », ne négligent aucun des effets de réalisme psychologique attendus, jusque dans des accents parlando maîtrisés au juste moment.
Asmik Gregorian referme la soirée en se faisant l’ambassadrice de ses origines baltes et caucasiennes. Un air de l’héroïne éponyme d’Anoush de Tigranian, et plus encore la mélodie Krunk de Komitas, dont le destin est profondément lié à la tragédie du génocide de son peuple en 1915, chantent un post-romantisme aux modulations mélancoliques orientalisantes, que la soprano défend avec un investissement évident, tandis que l’air extrait de Dalia de Dvarionas conclut sur une inspiration plus nordique, mais non moins stimulante pour la curiosité du mélomane parisien. La légitime chaleur des saluts ne trompe pas.
Manon Lescaut : « Sola, perduta, abbandonata » et duo final
Asmik Grigorian : soprano
Antoine Palloc : piano
Piotr Ilitch Tchaikovsky
Eugene Onegin, Scène de la lettre
Iolanta, « Otchevo eto prezhde ne znala » Snova, kak prezhde
Net, tolko tot, kto znal
Sred shumnovo bala
Giacomo Puccini
Manon Lescaut, « Sola perduta abbandonata… »
Madama Butterfly, « Un bel dì vedremo… »
Armen Tigranian
Anoush, Air d’Anoush
Komitas
Krunk
Balys Dvarionas
Dalia, Air de Dalia