Gala lyrique – Spontanéité et professionnalisme au Palais Garnier
Au programme le grand répertoire opératique du XIXe siècle
Une soirée caractérisée par une grande générosité
C’est une très bonne idée de la part de l’Opéra national de Paris de réunir dans une soirée de gala lyrique les trois interprètes principaux de Tosca, donnée en parallèle à l’Opéra Bastille, et celui du héros du Soulier de Satin, récemment créé au Palais Garnier. L’improvisation dans la programmation, caractérisant ce début/fin de saison malmenée, a quelque chose à la fois de suranné et de suggestif, nous projetant en arrière vers une époque où les chanteurs n’étaient pas engagés cinq ou six ans à l’avance et où l’on montait des concerts, voire des nouvelles productions, en s’adaptant aux aléas du moment. Et Alexander Neef en personne de venir remercier les sponsors et l’AROP qui ont permis la réalisation de cet événement, ainsi que le mécénat anti-covid et le public qui n’ont jamais faibli dans leur soutien de la maison, pendant ces longs mois d’incertitude. Cependant, improvisation ne rime nullement avec amateurisme et c’est à une démonstration de leur professionnalisme que nous convient les quatre artistes de ce soir, leur chef et l’orchestre de l’Opéra, faisant par ailleurs preuve d’une grande générosité.
Après un clin d’œil à Mozart, le programme se déploie essentiellement autour du XIXe siècle, allant du Rossini français au premier Puccini, en passant par le Donizetti parisien et Berlioz, Wagner et Verdi, et puise le plus souvent dans le répertoire courant des chanteurs, sauf quelques heureuses exceptions.
Joie, complicité et drame
Depuis ses débuts dans Masetto, Don Giovanni n’a aucun secret pour Luca Pisaroni qui a incarné les trois rôles de baryton-basse du titre mozartien, ayant abordé le libertin un an avant la pandémie. Mais c’est incontestablement Leporello qui constitue un des piliers de son répertoire, pour l’avoir assidûment fréquenté sur les planches du monde entier. Il nous livre donc un air du catalogue très enjoué sur le plan scénique, défiant quelque peu la pruderie ambiante, lorsqu’il s’adresse aux dames du public dans un crescendo qui culmine dans un « Maestosa » majestueux à loisir. Il serre la main du chef en partant, comme la plupart de ses acolytes par la suite, sans doute afin de tourner la page des coups de coude de ces derniers temps. À notre connaissance, cet interprète n’a jamais chanté Berlioz à la scène. C’est pourtant à lui qu’incombe le seul furtif hommage au répertoire français et dans la sérénade de Méphistophélès, tiré de la troisième partie de La Damnation de Faust, il poursuit sa tentative de séduction du spectateur, s’appuyant sur un Ludovic Tézier complice qui se prête au jeu du dialogue avec « Ma petite, bonne nuit, bonne nuit ! »
Luca Pisaroni et Ludovic Tézier © Elisa Haberer / Opéra national de Paris
Les deux se retrouvant aussitôt dans le magistral duo de Don Pasquale, une œuvre conçue pour le Théâtre Italien, l’un revêtant l’habit de Don Pasquale, l’autre celui de Malatesta, donnant corps à un sillabato à couper le souffle. Si le baryton français retrouve ainsi un rôle qu’il n’a que rarement approché à ses débuts, le chanteur italien renouvelle les fastes de la tournée No Tenors Allowed en compagnie de son beau-père, Thomas Hampson, notamment au Théâtre du Châtelet en 2014, sans pour autant n’avoir jamais joué le vieux barbon à la scène. Le premier fait quelque peu les honneurs de la maison, se relayant dans deux airs placés au centre du concert. Ces dix dernières années, il a souvent retrouvé Don Carlo de La forza del destino, malheureusement jamais sur cette scène parisienne. Il nous offre ainsi une remarquable leçon de diction dès son récitatif, insufflant un noble phrasé à une cavatine du doute qui donne le frisson. Puisqu’il nous fait aussi cadeau de la cabalette, rarement donnée en concert, il est bien dommage que l’on ait coupé le récitatif du tempo di mezzo, « E s’altra prova rinvenire potessi?... », qui nous aurait permis de le suivre également dans l’évolution psychologique du personnage, lorsqu’il vire définitivement du côté de la vengeance. « Egli è salvo!… Gioia immensa » fait néanmoins ressortir la maîtrise d’un interprète sachant superbement associer volume et élocution. Et fin diseur, Ludovic Tézier ne l’est pas qu’en italien, ou en français, mais aussi en allemand, comme le rappelle sa très émouvante prière au soir, et à Elisabeth, de Wolfram von Eschenbach.
Un Verdi politiquement incorrect
Maria Agresta est chez elle dans Puccini. La chaleur du timbre sied tout particulièrement au dernier air de Manon Lescaut, notamment dans les graves d’« in landa desolata! Orror! », tandis que le drame s’épanouit dans un cri « Ah! non voglio morir!… » qui remplit la salle, ensuite repris après un « Ah! tutto è finito! » arrachant les larmes. Elle n’a jamais abordé l’héroïne à la scène et nous espérons l’y retrouver bientôt, pourquoi pas en compagnie de Michael Fabiano son compagnon idéal dans le finale I de La Bohème. La soprano italienne et le ténor américain connaissent leurs Mimì et Rodolfo à la perfection pour les avoir interprétés sur les plus grandes scènes, parfois ensemble. Et pourtant ils ne laissent jamais s’installer la routine, même l’espace d’un concert. Très à l’aise dans « Che gelida manina! », lui fait étalage d’un spontanéité dans le souffle qui ne saurait que rivaliser avec le contrôle du legato de sa partenaire dans « Mi chiamano Mimì », aboutissant à une complicité sans faille, aussi bien sur le plan scénique que vocal, dans le véritable duo qui suit. Auparavant, le lirico du ténor aura fait des étincelles dans l’air de Corrado du Corsaro verdien. Avouons que nous avions eu quelques frayeurs en lisant le programme du gala, à la fois sur le site de l’Opéra et dans la brochure de salle : n’allait-il chanter que la cabalette ? Eh bien, non, c’est toute la scène que nous écoutons et son interprète sait subtilement alterner l’élégie de la cavatine du souvenir, où il fait preuve d’une ligne de chant parfaite, et l’héroïsme de la cabalette – vraisemblablement l’un des morceaux les plus politiquement incorrects de nos jours et l’administration de l’Opéra en est très probablement consciente, puisqu’on a édulcoré le surtitrage, mais il n’y a pas besoin d’être italophone pour découvrir la supercherie – ; de même, la projection de son récitatif d’introduction plonge le spectateur en plein théâtre et la vaillance du tempo di mezzo ne fait que préparer le terrain à une issue particulièrement percutante.
Le plaisir des retrouvailles
Très soignée, la direction de Mark Wigglesworth s’illustre singulièrement dans une ouverture de Guillaume Tell où il parvient à faire ressortir l’orchestre dans toute sa plénitude, notamment dans la tempête et le « Ranz des vaches », pour déboucher sur une marche des soldats suisses entièrement maîtrisée. Le dialogue entre les cordes se poursuit dans une bacchanale de Tannhaüser par ailleurs très harmonieuse.
Le public ne boude pas son plaisir, rappelant sans cesse les artistes au-devant de la scène pour les remercier de ces moments de bonheur.
Maria Agresta, soprano
Michael Fabiano, ténor
Luca Pisaroni, baryton-basse
Ludovic Tézier, baryton
Orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Mark Wigglesworth
Gioacchino Rossini – Guillaume Tell, Ouverture
Giacomo Puccini – Manon Lescaut, « Sola, perduta, abbandonata » (Maria Agresta)
Wolfgang Amadeus Mozart – Don Giovanni, « Madamina » (Luca Pisaroni)
Giuseppe Verdi – Il corsaro, « De’ corsari il fulmine » (Michael Fabiano)
Giuseppe Verdi – La forza del destino, « Una fatale » (Ludovic Tézier)
Richard Wagner – Tannhäuser, Bacchanale
Richard Wagner –Tannhäuser, « O du mein holder Abendstern » (Ludovic Tézier)
Hector Berlioz – La Damnation de Faust, « Devant la maison de celui qui t’adore » (Luca Pisaroni)
Gaetano Donizetti – Don Pasquale, « Cheti, cheti, immantinente » (Luca Pisaroni, Ludovic Tézier)
Giacomo Puccini – La Bohème, finale de l’acte I (Maria Agresta, Michael Fabiano)
Palais Garnier, mercredi 16 juin 2021