Les festivals de l’été – Aix-en-Provence : Barbara Hannigan à l’Hôtel Maynier d’Oppède, la Terre et le Ciel
Crédit photos: © Vincent Beaume
Une fois de plus, la présence de Barbara Hannigan à Aix-en-Provence constitue un évènement musical !
Dans un programme où elle partage la scène avec Bertrand Chamayou (piano), Patricia Kopatchinskaya (violon) et le ténor Charles Sy, mêlant grandes pièces du répertoire de la mélodie française et création mondiale, le concert de la toujours atypique soprano canadienne aura constitué sans nul doute un moment important de cette édition 2021 du festival.
Axé autour du « leitmotiv » de la Terre et du Ciel, c’est irrésistiblement au magnifique texte de la philosophe Simone Weil « La pesanteur et la grâce », dans sa combinaison si harmonieuse entre Raison et Mystère, que nous a fait penser l’atmosphère générale de ce programme.
C’est d’abord sous les auspices d’Henri Duparc, dont les mélodies constituent des paradigmes de richesse et de limpidité harmonique, que se place ce concert. Ayant encore dans l’oreille les frémissements de l’orchestre du début du deuxième acte de Tristan et Isolde, entendu trois jours auparavant, le piano de Bertrand Chamayou nous transporte tout naturellement dans un univers onirique constitué de visions de vie, de mort, de transcendance.
Plus encore que « l’Invitation au Voyage », c’est le « Lamento », issu du texte bouleversant de Théophile Gautier, qui retient l’attention dans cette ouverture de programme, d’autant plus que l’intelligence interprétative et la finesse de récitaliste du ténor canadien Charles Sy, ancien membre de la Résidence de chant de l’Académie du Festival d’Aix, en cisèle chaque accent dans une projection et une prononciation qui forcent le respect. En discutant avec ce jeune interprète, on évoque le grand Nadir des Pêcheurs de Perles qu’il pourra être… demain.
Commande du festival donnée en création mondiale, La natura del mondo de Pascal Dusapin, d’après un texte du Paradis de Dante, succède idéalement à Henri Duparc, lui-même grand lecteur du poète florentin. Avec une prononciation italienne que, pour notre part, on ne lui connaissait pas, Barbara Hannigan a ici des accents de tragédienne lyrique particulièrement bien mis en valeur par l’écriture, ici très mélodique, de Dusapin, décidément toujours aussi imprévisible et visiblement conquis, aux saluts, par l’interprétation de sa créatrice. L’œuvre prélude à un nouvel opéra inspiré donc a priori de La Divine Comédie.
Mais c’est, en ce qui nous concerne, les cycles de mélodies d’Olivier Messiaen La mort du nombre (1929) pour soprano, ténor, violon et piano et Chants de Terre et de Ciel (1938) pour soprano et piano qui nous ont particulièrement transporté. Il faut dire que l’ensorcelante poésie du violon de Patricia Kopatchinskaja n’y est pas pour peu avec une élévation qui, dans cette première pièce souvent impressionniste dans ses accents, en se mêlant aux arpèges mystiques du piano de Bertrand Chamayou, nous entraîne bien loin.
Dans ces mélodies, dont certaines répondent au désir de médiation – bien connu chez le compositeur – entre enveloppe terrestre et enveloppe céleste, d’autres dressent, plus simplement, un portrait de la vie domestique du compositeur entre sa femme et son jeune fils, la succession des atmosphères musicales, parfois romantiques, parfois dissonantes, est magnifiquement mise en valeur par la voix humaine et l’art du phrasé des deux chanteurs. Cette écriture souvent scintillante où la partie aiguë de la voix est particulièrement sollicitée (« Résurrection » !), Barbara Hannigan sait en révéler toutes les nuances, avec une intelligence du texte qui force l’admiration.
Il revient au piano et au violon de terminer ce magnifique programme par le mouvement final du « Quatuor pour la fin du Temps » (1940), nouvel exemple-type du sens de l’éternité dans la musique de Messiaen.
Dans le vacarme du monde, ce programme était une bénédiction. Tout simplement.
Barbara Hannigan, soprano
Charles Sy, ténor
Patricia Kopatchinskaja, violon
Bertrand Chamayou, piano
Henri DUPARC (1848-1933)
L’invitation au voyage pour voix et piano (1870), poème de Charles Baudelaire
Lamento pour voix et piano (1883) poème de Théophile Gautier
Pascal DUSAPIN (né en 1955)
La natura del mondo pour soprano et piano (2020) d’après un texte issu du Paradis de Dante Alighieri
Création mondiale, commande du Festival d’Aix-en-Provence
Olivier MESSIAN (1908-1992)
La Mort du nombre (1929) pour soprano, ténor, violon et piano, poème du compositeur
Chants de terre et de ciel (1938) pour soprano et piano, textes du compositeur
Quatuor pour la fin du Temps (1940), mouvement final « Louange à l’Immortalité de Jésus », pour violon et piano
Concert du 8 juillet 2021, Hôtel Maynier d’Oppède, Festival d’Aix-en-Provence 2021