Festa dell’opera®, marque déposée pour un festival d’opéra à Brescia !
Un programme d’opéra qui investit plusieurs lieux de la cité lombarde
La Festa dell’opera se donne pour mission de rapprocher l’opéra des passionnés et des néophytes, en investissant plusieurs lieux de la ville de Brescia et en proposant plusieurs concerts, tous gratuits. Mission réussie !
Depuis une dizaine d’années, la fondation du Teatro Grande de Brescia organise une journée consacrée à l’opéra, sans doute dans le sillage des nombreuses fêtes de la musique, et le directeur artistique de la salle, Umberto Angelini, a eu la très bonne idée de déposer son label de manière que, du moins en Italie, aucune autre manifestation du même genre ne devrait pouvoir se tenir sous la même dénomination.
Pendant plusieurs années ces rencontres ont eu lieu en septembre, vraisemblablement pour se démarquer de sa grande sœur de la Saint-Jean, et en une seule journée, un samedi, sauf en 2019 où elles se sont tenues en juin. C’est très probablement afin de compenser l’annulation du millésime 2020, pour cause de pandémie, que les festivités de cette année se sont étalées sur trois jours, du vendredi 2 au dimanche 4 juillet, peut-être aussi dans le but d’éviter les rassemblements et de permettre au public de mieux se répartir dans les différents espaces consacrés aux événements. La réservation était d’ailleurs obligatoire pour chaque concert et la distanciation impressionnante, voire excessive. Mais on ne plaisante pas avec le covid en Lombardie.
En effet, l’une des caractéristiques majeures de cette fête est d’investir plusieurs site de la ville, souvent en plein air (nous en avons compté une bonne dizaine pour la dernière manifestation entre théâtres, auditoriums, cloîtres, églises, cours de palais, musées), dans la perspective d’approcher l’opéra de tout le monde, « passionnés et néophytes de tout âge », comme le décline le programme, selon une formule trop souvent galvaudée qui cependant trouve ici sa véritable raison d’être, toutes les représentations étant gratuites.
Place à la jeunesse
Rappelons également que les épisodes plus proprement lyriques sont accompagnés de moments à la fois réfléchis et distrayants, comme le prologue des Pazzi per l’opera, ces intellectuels fous d’opéra qui encadrent habituellement les œuvres de la saison du Teatro Grande d’informations historiques et d’anecdotes cocasses. Nous n’avons malheureusement pas pu assister à la séance inaugurale, consacrée au thème de la victoire.
Septième centenaire oblige, passé quelque peu inaperçu à l’étranger, notamment en France, une partie des rencontres se penche sur Dante, d’une certaine façon le père de la poésie italienne : un premier concert illustrant les personnages de la Divine Comédie à l’opéra, un second revenant sur Paolo et Francesca, les malheureux amants de Rimini, par le biais de la production de Zandonai.
L’une des caractéristiques de la Festa dell’opera consiste aussi à laisser une large place à des approches parallèles (Re-reading Verdi, par exemple) et surtout à des jeunes interprètes, parfois encore élèves des conservatoires ou d’autres écoles lyriques. Nous avons pu assister à la version scénique de La cambiale di matrimonio de Rossini, aux extraits des Capuleti e i Montecchi de Bellini et au Gran finale.
Donnée dans la belle salle XIXe du Teatro Grande, la jolie mise en scène de Luca Baracchini transpose la première dans une société viticole da la plaine environnante, visiblement en Franciacorta, étant donné les nombreux clins d’œil à l’adresse de l’un des sponsors de ce mini-festival et notamment de la soirée, dont le jéroboam de vin mousseux local trône sans hésitation à l’entrée du foyer. Les voix manquent certes de maturité et s’épanouissent davantage dans les duos et les ensembles. Mais saluons l’intéressante prestation d’Erika Tanaka dans l’air de Fannì.
Le choix du titre bellinien n’est pas des plus faciles pour de jeunes chanteurs. Il devait être donné dans la cour du Broletto, actuelle préfecture de la cité lombarde et ancien siège de la commune médiévale. Le mauvais temps nous a fait nous replier vers la jolie salle Art nouveau du Teatro Sociale. Si Marta Pluda fait preuve d’un beau legato dans l’air de présentation de Romeo, « Se Romeo t’uccise un figlio » (I, 3), la cabalette qui suit se révèle néanmoins assez périlleuse. Dans le morceau équivalent de Giulietta, « Oh! quante volte, oh! quante » (I, 5), le souffle est très bien maîtrisé par Nina Solodovnikova. Les deux voix s’ouvrant davantage dans le duo d’amour et dans une poignante scène finale. Malgré une émission probablement encore trop claire, Matteo Roma s’illustre à son tour dans la sortita de Tebaldo, « È serbata a questo acciaro » (I, 2), et surtout dans le duo du défi avec son rival, tiré de la troisième partie.
Grand final dans les mains de professionnels
Le concert de clôture devait aussi se donner en plein air, dans l’écrin Renaissance de la Piazza della Loggia mais les aléas atmosphériques l’ont détourné vers le Teatro Grande. Pour ce grand final, la direction a fait appel à des professionnels qui, sans être des stars, ne sont pas non plus des débutants. Quatre voix, deux femmes, deux hommes, se partagent donc l’affiche dans un équilibre défiant toute parité : deux airs chacun(e), deux duos, l’un pour mezzo et baryton, l’autre pour soprano et ténor. On commence par les voix graves. Le baryton Federico Longhi incarne alors un Conte di Luna à l’accent noble, nuancé dans l’alternance des clairs-obscurs, et, dans le monologue de Schicchi, il sait savamment allier ironie et gravité. Il renouvelle son assurance dans le duo de Cavalleria rusticana où c’est le théâtre qui a le dessus lorsqu’il trouve chez la mezzo Agostina Smimmero une partenaire d’exception, donnant corps à une Santuzza d’une grande intensité, comme l’avait déjà annoncé l’air « Voi lo sapete, o mamma », à l’aigu percutant et à la ligne magistralement tenue. Dans l’air de Rodolfo de l’acte I de La bohème, « Che gelida manina! », Ivan Ayon Rivas trouve mille ressources dans un timbre solaire et à la projection spontanée, un beau lirico que vient confirmer l’air de Rinuccio de Gianni Schicchi dans lequel le jeune ténor se fait un plaisir à tenir la note à l’envi pour la plus grande joie du public.
Après l’air de Micaëla, hommage furtif au répertoire français, au portamento singulier, Ruth Iniesta déploie une maîtrise surprenante de legato dans le premier air de Lucia di Lammermoor de l’opéra homonyme, « Regnava nel silenzio » (I, 4) et son interprétation se révèle tout particulièrement impressionnante.
La cavatine fait déjà état de belles variations et de vocalises bien menées ; dans un concert de ce genre, rien ne l’aurait obligée à exécuter aussi la cabalette ; eh bien, la cantatrice n’hésite pas une seconde à offrir aux spectateurs une leçon de chant prodigieuse, enrichissant la reprise par des trilles aussi variés qu’originaux. Le dernier acte de La traviata lui fait retrouver le ténor en Alfredo dans un duo à l’enseigne de la passion.
Bonne tenue de la Filarmonica dell’Opera italiana « Bruno Bartoletti » dirigée par un Marco Boni plus à l’aise dans l’Intermezzo de Cavalleria rusticana, d’où ressort la douce harmonie des cordes, que dans l’ouverture des Nozze di Figaro.
Une ville qui vaut le détour
Une belle soirée en conclusion d’une grande fête de l’opéra que l’on espère retrouver l’an prochain, bon prétexte pour faire un détour par Brescia, une ville au passé opératique certain, ayant notamment vu renaître la Madama Butterfly puccinienne après la débâcle de la Scala, et ayant accueilli de jeunes interprètes devenus par la suite prestigieux, tels Maria Callas, Magda Olivero et plus récemment Luciano Pavarotti. Une ville réputée surtout pour ses industries mais qui vaut le déplacement aussi pour ses beautés artistiques. Sans doute pénalisée par la proximité de Bergame et de Vérone, voire de Milan ou de Venise, elle vaut le déplacement aussi pour ses vestiges médiévaux et Renaissance, nous y avons fait allusion, ses fouilles romaines, les plus étendues de Lombardie, et sa victoire de Samothrace en bronze, la Vittoria alata récemment restaurée, son site lombard, de mémoire manzonienne, classé par l’UNESCO, et ses deux cathédrales. Et pour ses vins…
Ruth Iniesta, soprano
Agostina Smimmero, mezzosoprano
Ivan Ayon Rivas, ténor
Federico Longhi, baryton
Filarmonica dell’Opera italiana « Bruno Bartoletti », dir. Marco Boni
Giuseppe Verdi – Il trovatore, « Il balen del suo sorriso » (Federico Longhi)
Giuseppe Verdi – Nabucco, « Oh dischiuso è il firmamento! » (Agostina Smimmero)
Georges Bizet – Carmen, « Je dis que rien ne m’épouvante » (Ruth Iniesta)
Giacomo Puccini – La Bohème, « Che gelida manina! » (Ivan Ayon Rivas)
Wolfgang Amadeus Mozart – Le nozze di Figaro, Ouverture
Giacomo Puccini – Gianni Schicchi, « Era eguale la voce? » (Federico Longhi)
Pietro Mascagni – Cavalleria rusticana, « Voi lo sapete, o mamma » (Agostina Smimmero)
Gaetano Donizetti – Lucia di Lammermoor, « Regnava nel silenzio » (Ruth Iniesta)
Giacomo Puccini – Gianni Schicchi, « Firenze è come un albero fiorito » (Ivan Ayon Rivas)
Pietro Mascagni – Cavalleria rusticana, « Oh! Il signore vi manda compar Alfio » (Agostina Smimmero, Federico Longhi)
Giuseppe Verdi – La traviata, « Parigi, o cara noi lasceremo » (Ruth Iniesta, Ivan Ayon Rivas)
Pietro Mascagni – Cavalleria rusticana, Intermezzo
Brescia, Teatro Grande, dimanche 4 juillet 2021