Après sa très belle Pamina dans la Flûte enchantée proposée par Jérémie Rhorer, le public était très impatient de retrouver Mari Eriksmoen en récital… et son attente n’a pas été déçue !
Dans la célèbre « Salle des pôvres » des Hospices, la soprano norvégienne a offert un florilège d’airs de Händel et Mozart, célèbres (Così fan tutte, Le Nozze di Figaro, Giulio Cesare, Rinaldo,…) ou moins rebattus (le « Amarti sì vorrei » de Teseo), accompagnée au piano par Antoine Palloc comme toujours très impliqué et attentif à sa partenaire (autant que faire se peut, la configuration des lieux faisant que le pianiste est séparé de la chanteuse par la clôture du chœur), même si son jeu nous a paru parfois un peu plus approximatif qu’à l’ordinaire…
© JCC
La soprano commence son tour de chant en se glissant subrepticement dans la salle, et en prononçant les paroles de l’air de Despina (« In uomini, in soldati ») sur le mode de la confidence. Puis elle établit une relation simple et directe avec son public en présentant chaque page de son programme par quelques phrases dites en français (avec, parfois, l’aide amicale d’Antoine Palloc !), et offre un programme long et difficile (d’autant que, la chanteuse ayant demandé aux spectateurs s’ils souhaitaient faire une pause et ceux-ci ayant répondu par la négative, le spectacle est donné sans entracte !), mettant en valeur la grande étendue de son talent : les pages choisies par Mari Eriksmoen font en effet appel à la virtuosité aussi bien souriante (« Oh had I Jubal’s lyre » de Joshua ») que dramatique (le « Da tempeste » de Gulio Cesare), mais aussi au chant sur le souffle et à la maîtrise du legato (le « Porgi, amor » de la Comtesse, le « Lascia ch’io pianga »), aux sauts de tessiture vertigineux (air de Fiordiligi)… Or la soprano déjoue tous ces pièges avec une maîtrise admirable : la virtuosité reste constamment élégante et musicale – et nous change agréablement de la pyrotechnie à la fois agressive et désincarnée qui prévaut depuis trop longtemps et qui, sous couvert de dramatisme (?), ne donne à entendre qu’un chant uniformément staccato alignant notes détimbrées ou abusivement poitrinées. La maîtrise du souffle est parfaite, et même les écarts redoutables du « Per pietà » mozartien ne parviennent à briser la continuité d’un legato ductile et admirablement conduit. Pourtant, même si les prouesses vocales sont indéniables, elles sont effectuées avec une telle facilité qu’on les remarquerait à peine si l’on n’avait dans l’oreille d’autres interprétations quelque peu plus « résistantes »… Si bien que ce que l’on retient avant tout de l’art de Mari Eriksmoen, c’est l’impression d’un parfait naturel, d’un chant qui coule de source, avec une spontanéité de tous les instants. Impression renforcée par la nature même de la voix, assez étonnante : le timbre présente en effet une fraîcheur et une légèreté qui est d’ordinaire le fait des sopranos légers, tout en possédant une densité, une rondeur qui lui permettent de belles envolées lyriques, de sorte que la chanteuse peut se permettre d’aborder avec le même bonheur Despina, Fiordiligi, Susanna ou la Comtesse.
Une artiste infiniment attachante, qui a désormais sa place parmi les toutes premières sopranos mozartiennes du moment.
Mari Eriksmoen, soprano
Antoine Palloc, piano
MOZART
Così fan tutte
« In uomini, in soldati » ; « Per pietà »
Le nozze di Figaro
« Deh, vieni » « Porgi, amor »
Air de concert : « Voi avete un cor fedele »
HÄNDEL
Joshua
« Oh had I Jubal’s lyre »
Giulio Cesare
« Da tempeste »
Scipione
« Scoglio d’immota fronte »
Rinaldo
« Lascia ch’io pianga »
Teseo
« Amarti sì vorrei »
Bis : deux mélodies de Grieg.
Récital du 25 juillet 2021, Salle des Pôvres des Hospices de Beaune.