Jakub Józef Orlinski au Festival de musique ancienne d'Innsbruck
L’invité des Innsbrucker Festwochen der Alte Musik (Festival de musique ancienne d’Innsbruck) est Jakub Józef Orlinski, un contre-ténor de 31 ans qui a acquis une grande popularité dans le répertoire baroque grâce à une personnalité assez peu conventionnelle. Pour son premier concert en Autriche, le chanteur polonais choisit de proposer les airs de son dernier album, Facce d’amore, consacré au thème éternel de l’engouement amoureux décliné dans toutes ses possibilités.
Les pièces choisies couvrent une période allant de 1661 (année de composition de « Erme solinghe … Lucidissima face » de l’Endimione de Francesco Cavalli) à 1731 (les deux airs de Luca Antonio Predieri). Entre ces deux dates, nous retrouvons Händel et d’autres compositeurs italiens tels que Giovanni Antonio Boretti, Giovanni Bononcini, Francesco Bartolomeo Conti, Giuseppe Maria Orlandini et Nicola Matteis le Jeune, dont la « Danse Bagatellieri » de Don Quichotte à Sierra Morena (1719) est interprétée avec verve et portée par de de vives couleurs par l’ensemble Il Pomo d’Oro, dirigé avec passion par Zefira Valova.
Le récital débute par la scène d’Endymion de La Calisto de Cavalli, dans laquelle on peut immédiatement admirer le timbre naturel et le son plein de l’interprète, qui sait tirer le meilleur parti de sa voix dans le texte très élégant de Faustini : « Lucidissima face di Tessaglia, le note non sturbino i tuoi giri, e la tua pace ». Un ton méprisant caractérise la première pièce de Boretti sur les mots d’Aureli, « Chi scherza con Amor | scherza col fuoco » (Qui plaisante avec l’amour joue avec le feu), extrait de son Elagabalus. La seconde est plus dramatique, « Crudo amor non hai pietà » de Jules César, dans lequel Orlinski démontre sa capacité à s’adapter à différents registres expressifs. Cette dernière pièce est précédée de la sinfonia interprétée par l’ensemble complet. Dans la pièce de Bononcini, « Infelice mia costanza » de l’Aminta de Stampiglia, des dissonances livides sur le mot « cruauté » se font entendre, démontrant comment un texte de quatre lignes seulement peut produire des effets très contrastés. Avec l’air de Conti, « Odio, vendetta, amore » du Don Quichotte d’Apostolo Zeno et Pietro Pariati, les coloratures ont des effets expressifs créés avec aisance par le chanteur dont la présence scénique très efficace, le langage corporel et les expressions du visage subjuguent le public du hall de la Haus der Musik. La première partie du concert se termine par deux pièces de Händel : l’intense « Pena tiranna » de l’Amadigi di Gaula, une magnifique page où le hautbois et le basson soutiennent et contrepointent la voix dans sa complainte, et le « Spera che tra le care gioie » de Muzio Scevola.
La deuxième partie reprend avec Händel, et plus précisément le récitatif et air d’Ottone dans Agrippine, dans lesquels Orlinski fait preuve d’une grande pyrotechnie. Les deux pièces vocales qui suivent constituent la surprise de la soirée car elles nous présentent un compositeur méconnu qui enchante par la beauté d’une veine mélodique d’origine nettement napolitaine, même s’il s’agit en l’occurrence du Bolognais Luca Antonio Predieri (1688-1767), maître de chapelle des Habsbourg à Vienne et auteur prolifique d’opéras et de musique sacrée. Nous entendons ensuite deux extraits du Scipione il giovane présenté à Venise en 1731, « Finché salvo è l’amor suo » et « Dovrian quest’occhi piangere », dont la délicate ligne mélodique, interprétée avec une douce expression, est rehaussée par un accompagnement orchestral d’une grande simplicité. Le récital se termine triomphalement avec « Che m’ami ti prega » du Nerone de Giuseppe Maria Orlandini, accueilli par un tonnerre d’applaudissements. Les vingt minutes suivantes permettent d’écouter trois bis : un extrait du précédent CD Anima Æterna, une reprise (à la grande joie du public) de l’air de Boretti, et enfin l’« Agitato da fiere tempeste » extrait du Riccardo Primo de Händel. Orlinski fait dans ce dernier air une prestation du plus pur esprit baroque : les cadences interminables sont autant d’occasions de mettre en valeur l’agilité de l’interprète, de même que les sauts de registre et les divers effets vocaux. Ces qualités, associées à une attention rigoureuse portée à la musique, à des compétences vocales hors du commun, à une présence scénique magnétique et à une sympathie naturelle,font de Jakub Józef Orlinski lui le phénomène pop de la musique baroque.
Jakub Józef Orlinski, contre-ténor
Le Pomo d’Oro, dir. Zefira Valova
Extraits d’œuvres de Francesco Cavalli, Luca Antonio Predieri, Giovanni Antonio Boretti, Giovanni Bononcini, Francesco Bartolomeo Conti, Giuseppe Maria Orlandini, Nicola Matteis le Jeune et Georg Friedrich Haendel.
Festival de musique ancienne d’Innsbruck, 13 août 2021.