Les festivals de l’été – Salzbourg : Traversée baroque avec Joyce Di Donato et Il pomo d’oro
Quelques années après leur enregistrement paru chez Warner, War and Peace, Joyce DiDonato et Maxim Emelyanychev, avec son ensemble Il pomo d’oro, proposent un autre programme baroque au titre éloquent, My favorite things, également construit sur une balancement dialectique, plus chronologique, sinon didactique, mais défendu avec non moins de panache et de conviction : les Anciens et les Modernes, sans intention de reconstituer quelque antique polémique, si ce n’est d’éclairer l’évolution du chant et de sa rhétorique entre le seicento et le siècle suivant. Les deux parties du concert, donné dans la Haus für Mozart, met ainsi en valeur l’adaptation de la soliste – et des effectifs orchestraux – à ce renouvellement de l’écriture musicale à quelques décennies d’intervalle.
La première partie, les Anciens, s’ouvre sur une Sinfonia grave a 5 tirée du Primo libro delle sinfonie et gagliarde de Salamone Rossi, où l’on reconnaît un remarquable sens de la couleur et du geste expressifs dans la sobriété du continuo à peine élargi, auquel se résume généralement l’effectif de l’ensemble des pages de la première moitié du dix-septième siècle retenues pour ce spicilège. Dès l’air de Pénélope Illustratevi, o cieli, du Ritorno d’Ulisse in patria de Monteverdi, Joyce DiDonato démontre une belle attention à l’articulation entre le mot et l’affect, dans une émission lumineuse qui résume la respiration réconciliatrice de la page, contrastant avec l’intériorité délicate d’Orontea dans Intorno all’idol mio, extrait de l’opéra éponyme de Cesti. La Ciaccona op.12 n°20, puisée dans le recueil de Canzoni, overo sonate concertate per chiesa e camera de Tarquinio Merula, fait dialoguer une mélodie avec une trame enjouée, tandis que la Sinfonia extraite de L’incoronazione di Poppea de Monteverdi prélude aux adieux d’Octavie dans ce même opus, Addio Roma, addio patria, dont la mezzo américaine détaille les nuances, regrets et rancunes, avec une saisissante vérité psychologique, sinon théâtrale, sans exhiber de facilités démonstratives. Le Ballo del Granduca, du Quarto libro de varie sonate, sinfonie, gagliarde, corrente et brandi de Giovanni Battista Buonamente oppose ses textures alertes et nourries, avant la tendresse songeuse de Come again, sweet love doth now invite du First booke of songes or ayres de Dowland. Si dolce e’l tormento de Monteverdi referme cette première partie placée sous le signe de la connivence intime entre le verbe et la musique.
Après l’entracte, en endossant les tourments de Cleopâtre, Joyce Di Donato prend le tournant de la virtuosité plus explicite propre au settecento, et répond, avec un accent mis sur la couleur de l’affect – plus que sur la déclamation, tropisme du siècle précédent – aux chatoiements et à la vitalité d’un orchestre étoffé. L’air de la sérénade de Hasse Marc’Antonio e Cleopatra fait éclater une fureur et une vélocité que contrebalance le Piangerò la sorte mia du Giulio Cesare de Haendel, où la soliste fouille, avec une évidente alchimie entre calcul et instinct, les ressacs sentimentaux de l’héroïne amoureuse. Ce cisèlement des da capo, comme du contraste d’éclairage psychologique entre les deux parties de l’air se retrouve dans le Scherza infida d’Ariodante, livré après les élans vigoureux de l’Ouverture du même opéra. La déploration du héros aveuglé par un stratagème de son rival constitue l’un des morceaux de bravoure de toute mezzo, qui peut y faire montre de la richesse de sa sensibilité musicale. Plus que le souffle et le timbre, qui peut souffrir quelques comparaisons, c’est la précision, au moins autant dans le détail que dans l’effet, dans les évolutions ondoyantes du désespoir qui retient l’attention, et façonne la valeur d’une interprétation qui se confirme dans le retour à bonne fortune après dissipation des illusions tragiques, Dopo notte, vaillance conclusive précédée d’un intermède orchestrale puisé dans Rameau – une Sarabande, un Air tendre en rondeau et un Air très vif de Zoroastre, ainsi qu’un Orage des Indes galantes, où l’énergie suggestive et descriptive de Maxim Emelyanychev et Il pomo d’oro ne se démentent pas. Haendel sera à l’honneur en bis, avec Theodora. Les affinités de Joyce Di Donato avec le Caro Sassone sont électives.
Il pomo d’oro
Maxim Emelyanychev : direction musicale
Joyce Di Donato : mezzo-soprano
My Favourite Things
GLI ANTICHI :
SALAMONE ROSSI
Sinfonia, Il primo libro delle sinfonie et gagliarde
CLAUDIO MONTEVERDI
Pénélope : ‘Illustratevi, o cieli’ (Il ritorno d’Ulisse in patria)
ANTONIO CESTI
Orontea : ‘Intorno all’idol mio’ (Orontea)
TARQUINIO MERULA
Ciaccona op. 12/20
CLAUDIO MONTEVERDI
Sinfonia et air d’Ottavia : ‘Addio Roma, addio patria’ (L’incoronazione di Poppea)
GIOVANNI BATTISTA BUONAMENTE
Ballo del Granduca (Il ballo degli reali amanti)
JOHN DOWLAND
Come again, sweet love doth now invite
CLAUDIO MONTEVERDI
Sì dolce è’l tormento
I MODERNI :
JOHANN ADOLPH HASSE
Cléopâtra : ‘Morte col fiero aspetto’ (Marc’Antonio e Cleopatra)
GEORGE FRIDERIC HANDEL
Cléopâtre : ‘Piangerò la sorte mia’ (Giulio Cesare in Egitto HWV 17)
Ouverture et airs d’Ariodante : ‘Scherza infida, in grembo al drudo’ et ‘Dopo notte, atra e funesta’ (Ariodante HWV 33)
JEAN-PHILIPPE RAMEAU
Sarabande, Air tendre en rondeau et Air très vif (Zoroastre)
Orage des Indes galantes
Concert Joyce Di Donato / Il pomo d’oro, Festival de Salzbourg, Haus für Mozart, 26 août 2021.