L’idée de départ est simple autant qu’originale : Guillaume Lekeu (Trois Poèmes : III. Nocturne) et Ernest Chausson (Chanson perpétuelle) ont offert à leurs mélodies non pas le support d’un simple piano, mais l’écrin que constitue un quintette composé de deux violons, un alto, un violoncelle et un piano, permettant ainsi à la mélodie de prendre une dimension, des couleurs, une ampleur nouvelles. Pourquoi ne pas offrir le même support musical à d’autres mélodies, et faire ainsi dialoguer la voix avec cinq instruments dans des pages qui, initialement, ne devaient être accompagnées que par le piano ?… Fort de cette idée, Alexandre Dratwicki a réalisé des transcriptions aussi habiles qu’évocatrices, permettant aux violons de Shuidi Okada et Guillaume Chilemme, à l’alto de Léa Hennino, au violoncelle de Pauline Buet et au piano de David Violi d’établir entre eux et avec la voix de Véronique Gens un dialogue où les timbres, les intensités, les lignes musicales construisent une délicate architecture sonore au sein de laquelle chacun trouve naturellement – et poétiquement – sa place.
Célébrées par notre confrère Nicolas Le Clerre à l’occasion de la sortie du CD Nuits proposant le même programme que celui interprété au Châtelet, les qualités bien connues de Véronique Gens, (élégance suprême de la ligne de chant, féminité frémissante, rondeur du timbre, parfait équilibre entre mots et musique) sont ici sublimées par l’urgence et la vie propres aux concerts live, ce récital étant, qui plus est, donné dans une salle (le Grand Foyer du Théâtre du Châtelet) dont les proportions sont très exactement celles requises pour une soirée de mélodies, créant une proximité, une complicité avec le public irremplaçables – et bien sûr impossibles dans les vastes salles de concert.
Au plaisir suscité par la qualité de l’interprétation s’ajoute celui de la découverte, le programme, outre certains morceaux célèbres (« L’Île inconnue » de Berlioz, « La vie en rose » de Louiguy, la « Chanson perpétuelle » de Chausson), faisant entendre des pages nettement moins rebattues, voire de vraies raretés (Orientale de Fernand de La Tombelle, Ceux qui parmi les morts d’amour de Guy Ropartz,…)
Après deux bis (L’Amour masqué de Messager et Après un rêve de Fauré, dont Véronique Gens est aujourd’hui sans aucun doute l’une des interprètes les plus envoûtantes), le public quitte à regret le Grand Foyer du Châtelet, ayant eu l’impression de revivre, par la seule magie de la musique, l’heureuse époque des salons musicaux du début du XXe siècle…
Fauré, Après un rêve
Parmi les projets de Véronique Gens : Junon dans La Calisto de Cavalli (à Milan dès le mois prochain), Ariane et Bacchus de Marais, Érinice dans Zoroastre de Rameau, Gudrun dans Hulda de Franck, Armide de Gluck : superbe galerie de personnages, à laquelle manque toujours hélas la Didon de Berlioz : quel théâtre proposera un jour ce rôle à Véronique Gens, qui semble disposer de tous les atouts pour incarner une Reine de Carthage bouleversante ?
Véronique Gens, soprano
I Giardini
Shuidi Okadaet Guillaume Chilemme : violons
Léa Hennino : alto
Pauline Buet : violoncelle
David Violi : piano
Œuvres de Guillaume Lekeu, Gabriel Fauré, Hector Berlioz, Fernand de la Tombelle, Jules Massenet, Camille Saint-Saëns, Ernest Chausson, Franz Liszt, Gabriel Fauré, Charles-Marie Widor, Marcel Louiguy, André Messager et Reynaldo Hahn.
Récital du mardi 14 septembre 2021, Théâtre du Châtelet (Grand Foyer).
1 commentaire
Quand on pense au si petit rôle que lui avait confié Lissner dans les Troyens… C’était honteux !