Lumières sur Sophie Koch et Bertrand Chamayou au Capitole
Crédit photos : © Patrice Nin
Au Capitole, le récital de Sophie Koch et de Bertrand Chamayou sonne en préambule aux représentations toulousaines de Wozzeck de Berg. La mezzo française y assurera sa prise de rôle en Marie. En lever de rideau, elle dédie ce récital à la mémoire de Nicolas Joël, qui, directeur du Capitole il y a 20 ans, contribuait au lancement de sa jeune carrière dans la ville de Jane Berbié (mezzo soprano), professeure de la chanteuse. Moment émouvant et généreusement applaudi !
Lumières sur la mélodie autour de 1900
Alors que les quais de la Garonne s’illuminent pour la 7e édition de « Lumières sur le quai[1] », les deux artistes allument les étoiles pour le public du Capitole.
Le versant mélodie française déploie une palette infinie de couleurs, en lien avec les raffinements poétiques des Cinq poèmes de Baudelaire de Claude Debussy et du cycle Shéhérazade de Maurice Ravel sur les poèmes de Tristan Klingsor. Lorsque la sensualité vocale de Sophie Koch nimbe Le Balcon (Debussy) – « Ô serments ! ô parfums ! ô baisers infinis ! », le pic d’expressivité musicale est cependant atteint lors du cycle ravélien. L’opulence des aigus de la mezzo, savamment distillés dans la première mélodie (Asie), magnifie son orientalisme. Tour à tour lascifs ou ardents, les tableaux évoqués défilent « Je voudrais voir (…) / Je voudrais voir (…) » jusqu’au climax « Je voudrais voir mourir d’amour et de haine ». Plus loin, le chant peut devenir doucement langoureux (La flûte enchantée) et même sobre dans la déclamation délicieusement archaïque de L’indifférent.
En revanche, les trois mélodies d’Igor Stravinsky, de facture traditionnelle, séduisent beaucoup moins. Le souci de prononciation occulte la direction de la phrase musicale, et la ponctuation dans les poèmes de Pouchkine (en traduction française) fait curieusement défaut. Seul « le faune à l’œil louche », satyre des bois (Le Faune), poursuit sa course, lestement conduite par le jeu pianistique.
Pianiste international, Bertrand Chamayou, n’est pas un accompagnateur en retrait. C’est un partenaire idéal, notamment du répertoire français où les couleurs et les textures (Debussy), les attaques, le jeu des registres ou des motifs rythmiques (Ravel), les ruptures de style (Stravinsky) sonnent avec un relief saisissant. Si sa complicité avec Sophie Koch est indéniable, la polyphonie du piano Steinway happe l’attention de l’auditeur. Rappelons que la riche discographie de Chamayou (Liszt, Saint-Saëns, Ravel) témoigne d’une exploration intime du répertoire, notamment son intégrale Ravel, couronnée du prestigieux Prix ECHO-Klassik (2016).
Sophie Koch, la plus straussienne mezzo française
Les lumières du versant Lieder sont plus lunaires en compagnie d’Alban Berg, plus éruptives chez Richard Strauss, en seconde partie de récital.
Tamisée dans le cycle des 7 Lieder de jeunesse d’Alban Berg, la lumière nocturne (« die helle Mondnacht ») palpite dans les sons filés de Traumgekrönt, sur un sublime poème de Rilke. Toutefois, nous préférons l’interprétation plus chambriste de ce cycle, par la soprano Sandrine Piau, dans son récent enregistrement de la version avec orchestre (CD Clair-Obscur, Alpha Classics,
Délaissant son pupitre, Sophie Koch s’engage pleinement dans les lieder de Richard Strauss, tirant profit de ses rôles straussiens et wagnériens de la décennie (Octavian du Rosenkavalier, récente Kundry de Parsifal au Capitole). L’amplitude généreuse des registres médium et aigu de la mezzo fait merveille, la longueur des phrases est modulée « à l’allemande » (l’ombre portée de Christa Ludvig ?). Le timbre s’assombrit avec la voix de poitrine dans Ruhe, meine Seele (Repose-toi, mon âme) et la déclamation devient expressionniste dans Schlechtes Wetter (Mauvais temps, poème d’H. Heine), préfigurant celle sarcastique de Wozzeck. Aussi, c’est dans cette proximité straussienne que la chanteuse sélectionne trois bis (dont la berceuse Meinem Kinde), salués par les acclamations d’une salle bien garnie.
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[1] Manifestation du 22 octobre au 7 novembre, Quai des Savoirs à Toulouse.
Sophie Koch, mezzo soprano
Bertrand Chamayou, piano
Mélodies d’Igor Stravinsky (La Bergère – Le Faune – Le torrent), de Claude Debussy (Cinq poèmes de Baudelaire), de Maurice Ravel (Shéhérazade). Lieder de Richard Strauss (Allerseelen – Befreit – Ruhe meine Seele – Schlechtes Wetter), d’Alban Berg (Sieben frühe Lieder).