Concert lyrique à Montpellier, avec Cyrielle Ndjiki Nya, Anthea Pichanick et Fabien Hyon

Dans le cadre du World Opera Day, l’Opéra de Montpellier a eu l’excellente idée de proposer  un concert lyrique « Nouvelles voix » auquel ont pris part trois chanteurs parmi les plus talentueux de la nouvelle génération, la soprano Cyrielle Ndjiki Nya, la contralto Anthea Pichanick et le ténor Fabien Hyon.

Les choses n’ont pas été faites à moitié, les trois chanteurs bénéficiant pour ce concert de la présence de l’Orchestre national Montpellier Occitanie. Judicieusement, la jeune cheffe Teresa Riveiro Böhm choisit, pour les morceaux purement orchestraux interprétés ce soir, des pages qui permettent à l’orchestre de briller en déployant un grand panel de couleurs, particulièrement rutilantes dans les extraits d’œuvres russes et espagnoles, ainsi que des contrastes dynamiques électrisants. Il faut par ailleurs une fois encore louer la grande musicalité et l’homogénéité des pupitres (bravo notamment aux cordes pour leur belle virtuosité dans l’ouverture de Rouslan et Ludmila, et aux cuivres pour leurs difficiles interventions dans l’air de Fidelio). La cheffe, quant à elle, manifeste de belles qualités de précision (La boda de Luis Alonso de Gerónimo Giménez exige nombre d’attaques nettes et tranchantes !) mais aussi de versatilité stylistique, le programme donnant à entendre des extraits d’œuvres allemandes, russes, espagnoles, françaises ou italiennes, classiques ou romantiques, de veine bouffe ou sérieuse ! Les tempi choisis sont toujours adaptés (pas d’alanguissement excessif dans l’air de Lenski, ni de précipitation immodérée dans le « Ich folg’ dem innern Triebe » de Leonore), à l’exception peut-être du « Vous a-t-on dit souvent ? » de La Périchole, qui gagnerait sans doute à « aller plus grand train » !

Nous n’avons guère entendu jusqu’à présent la contralto Anthea Pichanick que dans le répertoire baroque, dans lequel elle enchante les mélomanes depuis qu’elle a remporté (en 2015) le Premier Prix du Concours International d’Opéra Baroque Antonio Cesti d’Innsbruck. (Cet été encore, elle était une formidable Pénélope dans Le Retour d’Ulysse du Festival de Beaune). Elle s’aventure ici avec bonheur dans des terres plus exotiques pour elle : le bel canto rossinien, avec le « Per lui che adoro » de L’Italienne à Alger qui lui permet de faire valoir un superbe legato, et l’opéra-bouffe français (avec les couplets des Aveux de La Périchole) où elle manifeste un sens de l’humour que nous ne lui connaissions pas ! On retrouve avec plaisir son timbre capiteux mais aussi de précieuses qualités de diction grâce auxquelles elle distille avec élégance et esprit les paroles de Meilhac et Halévy. En ce soir du 23 octobre, le registre supérieur de la voix se montre un peu capricieux, sans doute en raison d’une méforme passagère, obligeant la chanteuse à esquiver certains aigus ou à transposer la ligne vocale à l’octave inférieure. Heureusement, le public ne lui en tient pas rigueur et applaudit chaleureusement ses interventions, notamment le Desdichado de Saint-Saëns où le mariage de sa voix avec celle de la soprano se montre particulièrement séduisant !

Fabien Hyon propose quant à lui le rare « Dame des cieux, vous savez bien… » du Jongleur de Notre-Dame. La luminosité du timbre et la clarté de la diction du jeune ténor conviennent idéalement au répertoire français, on le savait notamment depuis le très beau CD Paris vagabond, mais aussi sa participation à La Dame blanche proposée par l’Opéra de Rennes l’an dernier (un spectacle prochainement repris à Compiègne et Tourcoing). On l’attendait a priori moins en Lenski, où il s’est pourtant montré en tout point convaincant. Les premiers « Kuda » par lesquels s’ouvre la scène de Lenski montrent à quel point le chanteur sait adapter sa voix aux styles, aux situations dramatiques, aux personnages qu’il interprète : les accents naïfs et juvéniles du Jean de Massenet font place à un timbre beaucoup plus sombre, plus mâle, et à des intonations désespérées qui s’épancheront au fil de l’air avec un lyrisme à la fois mesuré et poignant. Après avoir entendu, la veille à Liège, le Lenski d’Alexey Dolgov, il est passionnant d’observer comment, à partir de deux interprétations et de deux matériaux vocaux très différents, l’émotion peut jaillir d’un même air ! Son Piquillo est parfait de bougonnerie mêlée de tendresse, et surtout, la réplique que Fabien Hyon/Ottavio donne à Donna Anna dans le duo du premier acte de Don Giovanni montre que le ténor français a des choses très intéressantes à dire et à chanter dans le répertoire mozartien… Rendez-vous à la Philharmonie de Paris le 4 juin prochain pour confirmation à l’occasion d’un concert entièrement consacré à Mozart

Cyrielle Ndjiki Nya propose quant à elle, outre ce duo de Don Giovanni dans lequel elle incarne une Anna flamboyante, des extraits de La Force du destin et Fidelio. Des deux Leonore, celle de Beethoven (pourtant a priori adaptée à ses moyens) est celle dans laquelle elle se montre le moins à l’aise, peut-être en raison d’une moindre familiarité avec l’air « Abscheulischer ! », ou avec ce répertoire, ou encore avec la langue allemande. Si l’ambitus extrêmement large de l’air est crânement maîtrisé, la ligne vocale, moins souple et moins fluide que celle de Verdi, montre la chanteuse un brin tendue et occasionne ici ou là certaines approximations. En revanche, la Leonora de La Forza (« Pace, mio Dio ! ») est royale : variété des couleurs, émotion, nuances (quel bel aigu mezzo-forte sur « Invan la pace » !), tout est là. La voix de Cyrielle Ndjiki Nya offre une étonnante alliance de pureté, de fraîcheur… et de puissance, la voix emplissant l’espace sans que la chanteuse donne jamais l’impression de forcer ses moyens, même dans le forte ou le fortissimo. Un très beau soprano lyrique en devenir, à suivre avec attention…

Les artistes

Cyrielle Ndjiki Nya, soprano
Anthea Pichanick, contralto
Fabien Hyon, ténor

Orchestre national Montpellier Occitanie, dir. Teresa Riveiro Böhm

Le programme

Mikhaïl Glinka (1804–1857)          
Rouslan et Ludmila – Ouverture

Giuseppe Verdi (1813–1901)
La forza del destino – « Pace, pace, mio dio » (IV,2)

Jules Massenet  (1842–1912)
Le Jongleur de Notre Dame – Air de Jean (I,3) « Dame des cieux, vous savez bien… Liberté Ô Liberté »

Ludwig van Beethoven  (1770–1827)
Fidelio –  « Abscheulicher ! Wo eilst du hin ? » (I,6)

Piotr Ilitch Tchaïkovski  (1840–1893)
Eugène Onéguine – « Kuda, kuda » (II, 2)

Gerónimo Giménez (1854–1923)
La boda de Luis Alonso – Intermède

Jacques Offenbach (1819–1880)
La Périchole – « Dans ces couloirs obscurs… Tu n’es pas beau, tu n’es pas riche » (III, 17)

Gioachino Rossini (1792–1868)
L’italiana in Algeri – « Per lui che adoro » (II, 5)

Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)
Don Giovanni – « Ma qual mai s’offre » (I,2)

Camille Saint-Saëns (1835–1921)
El Desdichado – Boléro

Bis
La Périchole (« Vous a-t-on dit souvent ? »)

Montpellier, Opéra Comédie, concert du 23 octobre 2021.