Instant Lyrique – Sans Marie-Nicole Lemieux, la musique serait une erreur
Il faisait bon être salle Gaveau ce jeudi soir. La verve était à l’honneur et vous pouviez, au choix, assister à une rencontre autour de Nietzsche entre Fabrice Luchini et Michel Onfray dans la salle Ravel ou, en montant quelques étages, écouter Marie-Nicole Lemieux dans un magnifique récital consacré à Goethe et Baudelaire.
Nous avons opté, sans hésitation, pour ce 63e Instant Lyrique de la contralto canadienne qui inaugurait par la même occasion cette nouvelle salle Marguerite Long. Goethe et Baudelaire donc et une farandole de compositeurs, de Schumann à Duparc en passant par Wolf et Fauré, sorte de sommet littéraire et musical franco-allemand avec comme ambassadeurs Marie-Nicole Lemieux et Daniel Blumenthal.
Il faut savoir reconnaître l’immense chance d’avoir pu entendre Marie-Nicole Lemieux deux fois en moins d’une semaine dans des répertoires absolument différents si ce n’est opposés et de pouvoir encore une fois constater les immenses talents de l’artiste. Impressionnante dans le bel canto à Bordeaux (compte-rendu à lire ici), elle sait également mettre ses vastes moyens au service du répertoire plus intime du lied et de la mélodie en faisant valoir de nouvelles qualités mais sans y sacrifier cette générosité et ce sens du théâtre qui sont les siens.
Chaque pièce musicale devient par l’art de la chanteuse un moment de vie et de sentiments. Et puis, surtout, il y a cette diction ciselée et ce sens du mot justement dessiné, portés par une maîtrise subjuguante du souffle. Marie-Nicole Lemieux nous embarque avec elle, dans les peines comme dans les joies, et, on se surprend à se demander de quel monde intérieur elle se chauffe pour avoir tant à nous transmettre.
Détailler le programme ne serait qu’une litanie ennuyeuse de louanges qui risquerait de passer vite pour de la flagornerie. Tel Mignon qui traversera toute cette soirée, osons seulement poser à Marie-Nicole Lemieux une question : « Connais-tu le pays ? » « Quel pays ? » pourrait-elle répondre. Celui qui mériterait de vous avoir comme ambassadrice de l’art lyrique dans sa moindre petite école et en son territoire le plus éloigné. La contralto a ce sens du naturel dans son rapport au public qui rend son art vivant et humain. Rire d’une planche qui grince, interpeller un spectateur derrière son téléphone et, en même temps, être l’artisane d’un art porté vers une inaccessible perfection. En cette période pré-électorale, osons déjà suggérer d’offrir à Marie-Nicole Lemieux un futur maroquin de ministre en charge du remplissage des salles par un nouveau public. Le titre est laid mais la fonction vitale pour les salles de spectacles françaises qui peinent à s’ouvrir à de nouvelles oreilles. Osons également paraphraser maladroitement Nietzsche et écrire béatement que sans Marie-Nicole Lemieux, la musique serait une erreur.
N’oublions pas également d’associer Daniel Blumenthal au succès de ce récital. L’imperturbable pianiste sait, avec une économie de moyens étonnante et une technique accomplie, accompagner la chanteuse et créer autour d’elle un monde sonore tout en nuances et subtilités.
Cet Instant Lyrique, 63e du nom est un nouveau succès public et artistique. Vivement le 64e !
Marie-Nicole Lemieux, contralto
Daniel Blumenthal, piano
R. SCHUMANN
Kennst du das Land – 4’10
Wie mit innigstem Behagen – 2’50
F. SCHUBERT
Der Musensohn – 2’00
Ganymede – 4’15
Gretchen am Spinnrade – 3’35
L.V. BEETHOVEN
Wonne der Wehmut – 2’10
Die Trommel gerühret – 2’35
F. HENSEL-MENDELSSOHN
Harfners Lied – 2’10
Über allen Gipfeln ist Ruh – 1’20
H. WOLF
Blumengruss – 1’10
Frühling übers Jahr – 1’45
Mignon: Kennst du das Land ? – 6’25
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E. CHAUSSON
L’albatros – 3’20
G. FAURÉ
Chant d’automne – 5’15
D. DE SEVERAC
Les Hiboux – 3’40
G. FAURÉ
Hymne – 2’10
G. CHARPENTIER
La mort des amants – 4’25
C. DEBUSSY
Le Jet d’eau – 6’10
Recueillement – 5’0
H. DUPARC
L’invitation au voyage – 4’25
La Vie antérieure – 4’25
Paris, salle Gaveau
Instant Lyrique – Récital du jeudi 18 novembre, 20h30