Philippe Jaroussky, miroir de Farinelli et Carestini au Théâtre des Champs-Élysées
Accompagné du Concert de la Loge dirigé par Julien Chauvin, le contre-ténor offre un récital tout en grâce et virtuosité à travers les figures de Farinelli et Carestini et les répertoires d’Haendel et de Porpora.
Après Berlin, Hannover et Lyon, Philippe Jaroussky et le Concert de la Loge investissent le Théâtre des Champs-Élysées pour un programme qui met en dialogue les castrats rivaux Farinelli et Carestini, autour des deux compositeurs qui leur sont respectivement associés : Haendel et Porpora. Avec comme acmé de ce programme, les tubes que constituent le « Scherza infida » de l’un (extrait d’Ariodante) et l’« Alto Giove » de l’autre (extrait de Polifemo). Le dialogue est ainsi de mise entre les répertoires, les pièces lentes et rapides, de même que les parties vocales et instrumentales.
Posture statique, les bras ouverts vers le public, les paumes tournées vers le ciel, Philippe Jaroussky mobilise un sens théâtral pleinement incorporé, dès le récitatif « Oh volesser gli Dei » du Polifemo de Porpora. Le récitaliste devient personnage, et nous fait plonger dès la première note au cœur d’une intrigue soudainement invoquée. Le contre-ténor enchaîne avec l’aria « Dolce freschi aurette ». S’imprégnant du tempo mesuré de l’air et du son moelleux de l’ensemble, Jaroussky fait respirer un phrasé où l’art du legato se conjugue à une fine articulation. Le timbre, homogène en général (les forte aigus se crispant quelque peu), donne corps à des aigus et médiums d’une rondeur et d’une souplesse à flatter l’oreille. Avec l’aria « Dall’amor più sventurato » extrait d’Orfeo, Jaroussky nous laisse entrevoir les premières virtuosités, que ce soit dans des vocalises filées sans contrainte, ou dans la variété des affects dont il déploie toute l’intensité, au gré de nuances très colorées. Virtuosité de la ligne véloce retrouvée par la suite dans l’aria majeure « Agitato da fiere tempeste » d’Haendel extrait d’Oreste, au gré de gammes filées comme une comète et qui culmine avec le furieux air d’Achille « Alontanata agnella » d’Ifigenia in Aulide de Porpora et ses sauts de tessiture redoutables effectués avec pugnacité. Acmé intentionnelle du spectacle, les arias « Scherza infida » et « Alto giove » resplendissent dans une voix cultivant le diaphane et le caractère suspensif, dont les notes tenues forment une sublime représentation, et qui se voit couronnée de bravi.
Sous la direction de Julien Chauvin, Le Concert de la Loge montre une énergie considérable dans les parties instrumentales. L’ouverture du Prolifemo donne la tonalité : sobriété sonore, homogénéité et unité, textures très denses dans les passages verticaux et au contraire très fluides dans les parties horizontales et fuguées, le tout uni par un sens rythmique implacable et une pulsation presque métronomique. L’âme du jeu de l’ensemble ne se situe pas dans des fioritures exacerbées, mais dans un sens du contrôle musical, avec une coordination exemplaire. Les parties instrumentales n’étant pas en reste, il convient de saluer la vivacité de jeu dans les pièces présentées, jusqu’à puiser les lignes les plus retenues et solennelles dans l’Adagio du Concerto grosso op.6 n° 1 d’Haendel. Et après une première partie de concert presque motorique, on appréciera encore davantage la plus grande liberté de jeu dans les arias « Scherza infida » et « Alto giove », avec un jeu plus contrasté, des ralentis plus assumés, et une consistance dramatique finalement plus grande par le jeu avec ces paramètres.
Des interprètes chaleureusement applaudis par un public venu nombreux ce soir au Théâtre des Champs-Elysées.
Philippe Jaroussky, contre-ténor
Le Concert de la Loge, Julien Chauvin, violon et direction
Porpora / Farinelli Vs Haendel / Carestini
Porpora, Polifemo, ouverture
« oh volesser gli Dei » (recitativo), « dolce freschi aurette » (aria Aci)
« dall amor più sventurato » (aria Orfeo), extrait d’ Orfeo
Haendel, Concerto grosso op. 3 n° 5
« Mi lusinga il dolce affetto » (aria Ruggiero) extrait d’Alcina
« Agitato da fiere tempeste » (aria Oreste), extrait d’Oreste
Ariodante, ouverture
« E vivo ancora » (recitativo) et « Scherza infida » (aria Ariodante)
Concerto grosso op.6 n° 1
Porpora, « Alto Giove » (aria Aci) extrait de Polifemo
« Alontanata agnella » (aria Achille), extrait d’Ifigenia in Aulide