Filer la métamorphose – « Mahler intime » au Théâtre des Champs-Elysées – Ian Bostridge
Ce jeudi 13 janvier, l’Orchestre de chambre de Paris proposait autour du ténor Ian Bostridge un concert au programme apparemment disparate (Mahler-Strauss-Fauré-Britten), où il était néanmoins possible, en y regardant de près, de déceler tout un ensemble de liens subtils reliant ces pièces entre elles.
L’œuvre la plus longue était les Métamorphoses de Richard Strauss, sorte de « dernier Lied » pour 23 cordes solistes, où l’OCP fait valoir une admirable homogénéité, chacune des voix se fondant dans l’ensemble sans qu’aucune ne l’emporte, même celle de la « supersoliste invitée », la violoniste Sharon Roffman. Cette ultime partition orchestrale du compositeur ayant été écrite en 1945, elle a pour pendant – pour antithèse – une œuvre à peu près contemporaine, les Five French Folk Songs du jeune Britten dont la création eut lieu en 1944 à Londres. Ce recueil s’ouvre par une mélodie intitulée « Fileuse », et « La Fileuse » est le deuxième des quatre numéros retenus par Fauré lorsque, pour en tirer une suite, il habilla d’une nouvelle orchestration, parfaitement mise en valeur par la direction de Lars Vogt, sa musique de scène composée en 1898 pour des représentations londoniennes de Pelléas et Mélisande, alors même qu’à Vienne, Gustav Mahler mettait en musique des poèmes tirés du Knaben Wunderhorn. Et l’on retrouve peut-être ici l’idée de métamorphose, puisque les quatre Lieder retenus ce soir sont donnés non pas dans la version accompagnée au piano, ni dans celle que le compositeur orchestra lui-même, mais transformés par un arrangement conçu de nos jours par le pianiste et chef allemand Klaus Simon, version qui confère à la musique de Mahler des accents parfois inattendus (un petit côté mi-klezmer, mi-Stravinsky dans les interventions des bois, par exemple).
Les extraits du Knaben Wunderhorn étant donnés en ouverture de concert, Ian Bostridge n’a peut-être pas encore eu tout à fait le temps de se chauffer lorsqu’il attaque les premières mesures de « Saint Antoine de Padoue prêchant aux poissons », et quelques notes parmi les plus graves semblent ici transposées vers un registre plus accessible pour le ténor. L’expressivité du chant compense rapidement, avec une manière bien particulière de délibérément surarticuler certains mots pour les mettre en relief, les trois autres mélodies se situant dans un registre moins ironique et ayant en commun la thématique militaire (« Revelge », « Wo die schönen Trompeten blasen », « Der Tamboursg’sell »). Le chanteur britannique revient pour clore le concert, mais c’est pour interpréter l’œuvre d’un Britten francophone, arrangeur de chansons traditionnelles (on lui doit au moins trois autres « French Folk Songs » en plus des cinq qu’il réunit pour les orchestrer). Ian Bostridge joue franchement la carte du théâtre, incarnant à chaque fois un personnage, fière bergère ou pastoureau naïf, et le public ne reste pas insensible à l’humour de cette musique. Chaleureusement applaudi, le ténor concédera deux bis, pour lesquels Lars Vogt reprend sa casquette de pianiste : deux Schubert pour lesquels le temps semble s’arrêter, entre le jeu si sensible de l’accompagnateur et l’art si délicat du chanteur, « Der Wanderer an den Mond » et un ineffable « Nacht und Träume », où c’est Ian Bostridge qui, retrouvant un univers qui n’a plus de secret pour lui, apparaît métamorphosé et prend congé avec élégance d’un auditoire définitivement sous le charme.
Ian Bostridge, ténor
Orchestre de chambre de Paris
Lars Vogt, piano et direction
Mahler Des Knaben Wunderhorn (arrangement de Klaus Simon, Editions Universal)
Des Antonius von Padua Fischpredigt, Revelge, Der Tamboursg’sell, Wo die schönen Trompeten blasen
Strauss Métamorphoses
Fauré Pelléas et Mélisande, suite
Britten French Folk Songs
Théâtre des Champs-Élysées, Paris, jeudi 13 janvier 2022, 20h00