Brillant sujet de l’Académie de l’Opéra de Paris, applaudi dans des rôles mozartiens – Figaro à Nancy, Masetto à Bastille en ce moment même –, Mikhaïl Timoshenko présente cette fois une facette cultivée dans le cadre de l’Académie Orsay-Royaumont, dont il est l’un des lauréats : la mélodie, dans un concert partagé entre répertoire français et répertoire russe. Équitablement partagé ? À voir.
D’Onéguine, Mikhaïl Timoshenko a la voix et l’allure : timbre glorieux de baryton-basse, crinière romantique, tenue de concert associant redingote et gilet noirs à une chemise blanche qui semble appeler le jabot, on l’imagine déjà dans le rôle du héros de Pouchkine, à moins qu’il ne campe Eletski dans La Dame de pique, ou le prince André dans Guerre et paix. Pourtant, le concert s’ouvre comme il se fermera, sur le personnage de Don Quichotte, d’abord vu par Ravel. Et là, dans les premières minutes, on se dit d’abord qu’un petit effort s’impose encore sur le plan de la diction du français : o trop systématiquement ouverts, nasales pas toujours exactes, quelques e muets surprenants… Cela sonne un peu trop « basse russe » ! Et puis il manque peut-être aussi un soupçon de second degré, dont la pianiste Elitsa Desseva, elle, semble avoir à revendre, tant elle paraît s’être assimilé l’idiome ravélien. Cette impression se confirme avec Banalités de Poulenc, recueil dans lequel on entend rarement des voix d’une étoffe aussi généreuse : c’est un vrai plaisir que d’écouter « Hôtel » si somptueusement servi, ou « Voyage à Paris » pour une fois repris aux sopranos, mais on ne comprend pas grand-chose à « Fagnes de Wallonie », où l’articulation se perd dans le débit rapide. Pour relever ce genre de défi, Mikhaïl Timoshenko devra se faire diseur, sans rien perdre de la beauté de son timbre.
Écueil naturellement surmonté dans la partie russe du programme. D’abord, une révélation pour le public français : un cycle de Georgy Sviridov composé en 1987 sur des poèmes de Sergueï Essénine, La Russie à la dérive. Malgré leur date récente, ces pièces ne jurent pas avec les Poulenc qui précèdent, et la musique en porte admirablement le texte, incarné par le chanteur avec une intense conviction. Après les paysages dépeints par les quatre premiers numéros, le dernier conclut sur une sorte d’hommage mystique au pays natal. Viennent ensuite trois mélodies de Tchaïkovski parmi les plus connues, aux caractères bien distincts : communion avec la nature, souffrance de l’amour, et enfin espagnolade truculente de la « Sérénade de Don Juan ». Là encore, Mikhaïl Timoshenko se montre totalement maître du style requis, et Elitsa Desseva trouve dans ces partitions de quoi déployer une belle sensibilité.
Retour à la France et à Don Quichotte pour la fin, cette fois sous la plume de Jacques Ibert, et dans un français qui sonne déjà plus juste. S’il veut poursuivre son exploration du héros de Cervantès, on rappellera au chanteur que, comme celui du film de Pabst, le Don Quichotte de Massenet fut certes créé par Chaliapine, à Monte Carlo, mais qu’il eut pour créateur parisien Vanni-Marcoux, qui mérite aussi une oreille en matière de diction. Heureusement, le Debussy donné en bis, la troisième mélodie du Promenoir des deux amants, confirme que Mikhaïl Timoshenko ne travaille pas en vain dans notre pays, car le poème de Tristan L’Hermite est déclamé avec un soin qui force le respect.
Mikhail Timoshenko, baryton
Elitsa Desseva, piano
- Maurice Ravel
Don Quichotte à Dulcinée, O 84 - Francis Poulenc
Banalités, FP 107 - Georgij Vasil’evič Sviridov
Osen
Gde ti, gde ti otchii dom
Tam za mlechnimi kholmami
O, veryu, veryu schast’e est!
O rodina, schastlivii I neiskhodnii chas! - Piotr Illich Tchaikovsky
Blagoslavlâû vas, lesa, op. 47, no 5
Net, tol’ko tot, kto znal, op. 6, no 6
Sérénade de Don Juan, op. 38, no 1 - Jacques Ibert
Quatre chansons de Don Quichotte, L 46a