Le 70e Instant lyrique (mardi 12 avril 2022) fut (presque) exclusivement belcantiste, avec un florilège de pages signées Rossini, Bellini, Donizetti ou Verdi interprétées par deux des plus brillantes représentantes de ce répertoire : Patrizia Ciofi et Karine Deshayes (remplaçant Michèle Losier initialement prévue).
© Harcourt
Entre Patrizia Ciofi et le public français, c’est une longue histoire d’amour, commencée en 1997 à l’Opéra de Nice (avec Susanna des Noces de Figaro), même si l’attention se focalise sur la soprano surtout à l’occasion de sa Lucie de Lammermoor lyonnaise (20002), où elle remplace Natalie Dessay. Depuis, le public français l’a applaudie à maintes reprises : elle a notamment remporté un extraordinaire succès tout récemment dans le rôle-titre de Maria Stuarda au Théâtre des Champs-Élysées en 2018. C’est avec une autre reine donizettienne que Patrizia Ciofi ouvre ce concert : Anna Bolena, dont le « Al dolce guidami » la cueille un peu à froid, avec un grave et un médium qui se dérobent parfois. De fait, ils se montreront quelque peu rebelles au cours de la soirée, visiblement en raison
d’un rhume : plus d’une fois, la chanteuse est contrainte de tousser discrètement pour éclaircir sa voix… Dans ces conditions, la liaison entre les registres est parfois un peu périlleuse (air de Gilda)… mais le registre aigu, en revanche, est absolument intact, avec une souplesse, une agilité, une transparence, une palette de nuances dignes des meilleurs soirs. Et puis surtout il y a cette poésie, cette émotion qui émanent du chant de Ciofi dès que la chanteuse ouvre la bouche et qui sont le fruit sans doute d’une sensibilité à fleur de peau, mais aussi d’un savant jeu sur les couleurs et le clair-obscur d’une voix vraiment atypique, légèrement voilée, reconnaissable entre toutes. Patrizia Ciofi excelle dans l’élégie, la tendresse et la mélancolie ; elle le sait et a judicieusement choisi des pages qui participent de ces registres : « Al dolce guidami », « Il faut partir », « Caro nome »… Elle atteint des sommets d’émotion dans le « Ah! da me che più richiedi » des Capulets de Bellini, rappelant le frisson qu’elle faisait passer dans le rôle de Giulietta à Bastille en 2008. Le public, tout au long de la soirée, exprime son admiration et sa reconnaissance envers celle qui compte, sans aucun doute, parmi ses divas préférées.
I Capuleti e i Montecchi à barcelone en 2016
Il réserve un accueil tout aussi enthousiaste à Karine Deshayes, laquelle interprétait déjà le Romeo de Bellini auprès de Patrizia Ciofi à Marseille en 2017. L’air « Se Romeo t’uccise un figlio » sera d’ailleurs l’un des meilleurs moments de la soirée, avec un legato impeccable dans la cavatine et une autorité dans l’accent toute martiale et virile dans la cabalette – dont la mezzo ne chante qu’un couplet, mais avec les variations traditionnellement proposées pour la reprise. La chanteuse, à peine reposée de la triomphale Anna Bolena donnée la veille au Théâtre des Champs-Élysées, apparaît dans une forme vocale éblouissante, avec notamment une projection d’une facilité insolente et une virtuosité jamais prise en défaut. L’entente entre les deux chanteuses est évidente (elle se manifeste au mieux dans les deux duos programmés, I Capuleti e i Montecchi et Norma, ainsi que dans celui de Lakmé proposé en bis),
© Aymeric Giraudel
comme l’est la complicité qui les unit au pianiste Antoine Palloc, comme toujours impeccable de précision et de musicalité – et qui propose à mi-parcours du concert une pause instrumentale bienvenue avec une interprétation pleine de tendresse et de mélancolie de l’Andante sostenuto de Donizetti.
I Capuleti e i Montecchi à l'Opéra Bastille
La soirée se termine sous les applaudissements nourris et prolongés du public, les artistes recevant des mains de Richard Plaza un gros bouquet de fleurs – y compris Antoine Palloc, L’Instant lyrique étant l’une des rarissimes institutions à ne pas priver les hommes de fleurs à l’issue des concerts !
Rendez-vous le 10 mai prochain pour L’Instant lyrique du très talentueux Charles Castronovo, à qui se joindra la soprano Catherine Trottmann.
Patrizia Ciofi, soprano
Karine Deshayes, mezzo-soprano
Antoine Palloc, piano
- Gaetano Donizetti
– Anna Bolena : « Piangete voi … al dolce guidami » ; « Per questa fiamma indomita »
– Andante
– La Fille du régiment : « Il faut partir … » - Vincenzo Bellini
– I Capuleti e i Montecchi : « Ascolta ! Se Romeo t’uccise un figlio » ; « Si, fuggire … a noi non resta »
– Norma : « Mira, o Norma » - Gioachino Rossini
– Elisabetta, regina d’Inghilterra : « Quant’è grato all’alma mia » - Giuseppe Verdi
– Rigoletto : « Caro nome »
Bis
- Leo Delibes
Lakmé : « Viens, Malika »