Midsummer Festival d’Hardelot : une nuit de la Saint-Jean enchantée

Midsummer Festival d’Hardelot : Mon amant de Saint-Jean

Pendant que le public continue de s’installer, une petite voix fredonne, puis chante sur le plateau. Stéphanie d’Oustrac y installe pupitres et tabouret, en compagnie de Vincent Lhermet et de son accordéon. Quelques phrases d’un air du Chérubin des Noces de Figaro, de Carmen ou de la mort de Didon de Purcel… et puis s’en va.
Le ton de la soirée est donné. Complice, détendu, inventif.
Dans le magnifique théâtre de bois d’Hardelot, dans le cadre de la soirée d’ouverture de ce Midsummer Festival[1], le public eut la chance de vivre une soirée magique et surprenante. A priori, on pouvait s’interroger : comment lier deux répertoires aussi éloignés que le baroque et le monde des chansons réalistes ? La réponse est venue, immédiate. C’est la subtilité des enchaînements et plus encore des arrangements musicaux des deux Vincent (Dumestre et Lhermet), qui ouvrait un monde inattendu[1].

Inentendu aussi, par le choix des œuvres – de Monteverdi, Marin Marais ou Cavalli à Damia, Fréhel, Yvette Guilbert et quelques autres – comme par la dramaturgie présentant une femme qui se retourne sur son passé, nous le fait vivre en chantant et en nous le racontant. Musiques du temps qui passe, des amours perdues, impossibles, trahies.
Pourtant, tout commence bizarrement. Le Prélude et la passacaille de Marin Marais sonnent aigres, en raison des aigus des deux violons. L’explication est simple, les instrumentistes n’y sont pour rien. Car là où Marais se joue au diapason 392, nous l’entendons à 442 dans un tempérament égal ! C’était le passage obligé afin de rendre possible la fusion de ces deux mondes musicaux si éloignés. L’impression ne dure pas d’ailleurs et le concert offre ensuite des moments beaucoup moins tendus pour les instruments.
Après l’ouverture instrumentale de Marais, Stéphanie d’Oustrac fait une entrée en douceur et nostalgie, avec une chanson de Damia, « J’ai perdu ma jeunesse », qui annonce d’emblée les choix artistiques. Par sa déclamation incarnée, d’une rare intensité, d’une présence qui nous happe, elle nous entraîne dans la ronde de la vie d’une femme. Et l’accompagnement lui aussi ouvre sur l’originalité de la soirée, passant du rythme de la passacaille à un style alla Piazzola, puis à une musique aussi déconstruite que la femme qui chante – pour revenir à la chaconne.

© Pascal Brunet

Ensuite, tout se déroule dans cette atmosphère de surprises, de contrastes, avec un grand moment lyrique, enchainant Monteverdi à Cavalli, l’extrait de l’Egisto suivant immédiatement le Lamento d’Arianna, incarné par la tragédienne drapée dans une robe princière moirée dont elle se dépouillait ensuite pour interpréter, en écho, l’autre répertoire. L’autre ? Mais il s’agit des mêmes tourments : « je meurs de tout cela et ma chanson s’arrête là… »
Tourments et volupté. Celle des souvenirs grisants de l’Amant de Saint-Jean, grand succès de Damia, celle, plus qu’érotique, du pur plaisir sexuel cru dans « Les nuits d’une demoiselle », rendu célèbre par Colette Renard. Humour aussi, par l’interprétation malicieuse et délicieuse de Stéphanie d’Oustrac, comme par ce chemin qui emprunte un des grands succès de Theresa, la célèbre chanteuse du Second Empire (dont le nom est cité dans la Vie Parisienne d’Offenbach), faisant entendre d’improbables Canards tyroliens avec yoddle et vocalises délirantes.
Partout, lorsqu’il intervient, l’accordéon de Vincent Lhermet nous étonne par sa musicalité , son sens de l’à-propos et sa façon tellement délicate de se fondre, jusqu’au souffle le plus ineffable, dans les sonorités des instrumentistes baroques, tous excellents. Heureusement, un enregistrement va suivre !

Le pari de ce spectacle était osé, mais il correspondait à une nécessité intérieure pour Vincent Dumestre dont un des ancêtres fut poète-chanteur au fameux cabaret du Chat Noir. D’où la fluidité, la subtilité de l’ensemble, porté par une incroyable tragédienne-actrice-diseuse, nous faisant vivre son expérience désabusée par une voix qui visite toute la plus vaste palette imaginable. Nous sortons tous bouleversés et enchantés, au vrai sens : sous le charme.

[1] Le programme est en ligne ici.

Les artistes

Stéphanie d’Oustrac, mezzo-soprano
Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre : guitare et direction
Arrangements musicaux : Vincent Dumestre et Vincent Lhermet

Le programme

Midsummer Festival d’Hardelot : Mon amant de Sait-Jean

Théâtre d’Hardelot – Jeudi 23 juin 2022