So british au Festival Radio-France Occitanie Montpellier
FROM – Journal de bord 2 : du motet à la pop, en extérieur et à l’intérieur
Parmi les 6.800 festivals français, le Festival Radio-France Occitanie Montpellier (FROM) a plusieurs atouts dans son jeu. Si les infrastructures de Montpellier (Corum) en demeurent l’épicentre, il couvre l’espace de la région Occitanie pour des prestations tant sur le littoral méditerranéen que dans l’arrière-pays. Le public aspire à ce retour de sorties festivalières, des remparts d’Aigues-Mortes (Gard) au cloître de Conques (Aveyron). Ce 17 juillet, c’est sur le parvis du Château d’O, une folie montpelliéraine du XVIIIe siècle, que nous écoutons les Voix animées. Et le 18 juillet dans l’Opéra Berlioz que se produisent les King’s Singers : So british !
Plus de quatre siècles de musique avec les légendaires King’s Singers
Être musicalement parfaits sur plus quatre siècles de musique et captiver l’intérêt de l’auditoire, les King’s Singers relèvent le défi avec un brio et un humour So british. Cet ensemble vocal a cappella est devenu légendaire depuis sa fondation (1968) au King’s College de l’université de Cambridge (Collège fondé par Henry VI). En 2010, le renouvellement des six solistes s’avère non seulement d’un niveau vocal toujours inégalé, mais d’une complicité musicale d’autant plus stupéfiante que leur technique vocale s’adapte aux styles sélectionnés. Les voix lissées, à peine vibrées, s’enchevêtrent avec lisibilité dans le répertoire de la Renaissance anglaise, de Thomas Tallis – sévérité du God grant with grace – à William Byrd – fluidité palestrinienne du Vigilate. Dans les Folk Songs, recueillis au XIXe siècle, de l’Ecosse à l’Irlande, la simplicité de déclamation et une certaine rugosité s’harmonisent à la vive émotion de Quick ! We have but a second, ou encore à l’imitation savoureuse de la forge par le biais d’onomatopées (comparables à celles de la Bataille de Marignan) ou d’ostinati sur le rythme de l’enclume. La performance est atteinte dans la surréaliste Time Piece op. 16 de Paul Patterson (1972) : la production de sons et de résonances buccales devient un catalogue ludique « à la Berio ». Toutes ces pièces sont enchaînées par cœur et précédées d’une présentation orale dans un français châtié (lue sur tablette). Au vu de la polyvalence des artistes dans les parties mélodiques ou d’accompagnement, il serait vain de citer les noms des 2 contre-ténors, plutôt que celui du ténor, des 2 barytons (cependant le timbre de Christopher Bruerton est si chaleureux) et de la basse (bluffant Jonathan Howard).
En seconde partie, on pénètre dans le monde de l’excentricité ou de la pop britanniques, une posture pionnière en 1968 pour un ensemble de musique baroque. Toujours en smoking et vernis noirs (mais chaussettes rose fluo !), les chanteurs se décontractent et leur gestuelle révèle un humour irrésistible au fil de pièces excentriques qui déchainent les éclats de rire en salle. Dès lors, les effets calibrés de bruitage ou de distorsion sonore couvrent le second XXe siècle, des Spirituals à l’arrangement de Yersterday des Beatles, de Queen aux guitares électriques d’Elton John (Crocodile Rock). Performance théâtrale et scénique, Masterpiece de Paul Drayton (1987) balaie l’histoire de la musique depuis J.-S. Bach jusqu’à John Cage en neuf minutes de parodies hilarantes et stylistiquement si justes ! En bis, l’adaptation du Vol du bourdon de Rimski-Korsakov (arrangement de Daryl Runswick) donne lieu à un numéro de cabotins qui emporte l’adhésion du public, debout aux applaudissements.
Voix animées au Château d’O : la folie !
Sur le parvis du Château d’O, une folie montpelliéraine du XVIIIe siècle, l’ensemble Les Voix animées fait un tabac face à un large public et … aux stridentes cigales ! Tracer les tours et détours de la chanson française et britannique en 1 h 45 de spectacle : mission accomplie pour cet ensemble de solistes a cappella, fondé en 2009 par Luc Coadou. Pour ce programme du FROM, ils sont sept, soit deux sopranos, une mezzo, un contre-ténor, deux ténors et un baryton (voir la rubrique Artistes).
Le concert est jubilatoire à plus d’un titre, déjà par le site sous les ombrages de micocouliers. D’une part, le lien avec le public s’instaure d’emblée grâce à l’humour So british (pince-sans rire in french) du chef de l’ensemble, le baryton-basse Luc Coadou. En introduisant chaque pièce par des précisions ou des anecdotes, il capte l’attention tandis que les chanteurs sollicitent ponctuellement la participation du public pour un refrain (« ça va de soi ! » de La mauvaise réputation de Brassens). Ou même pour un Quizz lancé à la cantonade – quelle chanson remporte le Grand prix de l’Eurovision en 1974 ? Et les réponses d’auditrices et d’auditeurs fusent ! En chantant les Do-Ré-Mi de La Mélodie du bonheur (Richard Rodgers), l’auditoire jubile : vive la culture festivalière sans entrave sanitaire !
D’autre part, l’homogénéité des voix solistes et la qualité des arrangements sont deux atouts puissants pour revisiter la variété franco-britannique, des années 50 à 80. Si Les Voix animées sont plutôt spécialistes du répertoire Renaissance (rubrique « Pour aller plus loin »), l’écoute mutuelle des parties solistes et d’accompagnement est dans leur ADN. Ce jeu s’établit en toute complicité puisque ces parties circulent d’un.e soliste à l’autre. Cette polyvalence s’élargit à des clins d’œil vers les citations musicales, tel l’ostinato du Boléro de Ravel, pulsé en onomatopée dans Et maintenant, que vais-je faire ? Elle s’élargit à des imitations réussies d’instruments– j’ai adoré la section de cuivres dans Lady Madonna des Beatles, ou encore le vibrato de l’orgue Hammond dans la chanson de John Lennon. Elle peut être transposée par l’arrangeur (Etienne Planel), depuis la flûte de feu Roger Bourdin vers la voix de soprano dans le mythique Il est cinq heures de Jacques Dutronc. Elle rebondit simplement sur de simples onomatopées pour asseoir la basse de la polyphonie ; Le Chant des oiseaux de Clément Janequin n’est pas loin … Plus hilarant, le public savoure les bruitages de freinage ou de fermeture des portes du métro dans Il est cinq heures, Paris s’éveille. Quant au phrasé jazzy, il est cultivé par tout soliste, depuis le Je suis snob (Boris Vian) jusqu’au Musicales britanniques, dont le medley sur Cats d’Andrew Webber. Et le ténor Mathieu Becquerelle (artiste de comédie musicale) excelle dans Yersterday (Beatles), le bis vibrant d’émotion.
Merci aux King‘s Singers et aux Voix Animées de ranimer l’enthousiasme des festivaliers pour cette édition So british du FROM !
Pour aller plus loin …
Concert des King’ s Singers sur France Musique et sur l’Union européenne de Radio Télévision (UER)
Les spectacles estivaux des Voix Animées
Notamment Canticum Canticorum de G. P. da Palestrina (29 motets d’après Les Cantiques des cantiques) – Sancta Barbara de G. de Werts (motets de la cour des Gonzague à Mantoue) – Alter ad alterum (madrigaux et chansons spirituelles de la Renaissance italienne) – podcast du nouveau spectacle 1514
The King’s singers :
Patrick Dunachie, Edward Button : contre-ténors
Julian Gregory : ténor
Christopher Bruerton, Nick Ashby : barytons
Jonathan Howard : basse
Les Voix animées :
Anara Khassenova, Sterenn Boulbin : soprani
Isabelle Schmitt : mezzo soprano
Cyrille Lerouge : contre-ténor
Damien Roquetty, Mathieu Becquerelle : ténors
Luc Coadou : baryton et direction
Avec les King’s Singers :
Œuvres de Thomas Tallis, William Byrd, T. Vaughan Williams, C. Villiers Stanford, James McMillan, Bob Chilcott, Paul Patterson, Joby Talbot, Paul Drayton, Laura Mvula, Beth Orton, The Beatles, Elton John.
Avec les Voix animées :
Chansons de Georges Brassens, Gilbert Bécaud, Joe Dassin, Yves Montand, Boris Vian, Jacques Dutronc, d’ABBA, des Beatles, Paul McCartney, John Lennon, extraits de comédies britanniques et américaines : Mary Poppins, La mélodie du bonheur, Cats, etc.