Fidèle à Aix-en-Provence et en résidence pour la quatrième année au Grand Théâtre de Provence, Le Cercle de l’Harmonie y est accueilli, sous la direction de son chef Jérémie Rhorer, qui créa la formation en 2005, dans un programme intitulé « Un Noël italien ». Ce concert fournit aussi la précieuse occasion d’écouter Michael Spyres, désormais présenté comme baryténor par le programme de salle. Si le chanteur s’est déjà produit dans la cité (Il trionfo del tempo e del disinganno en 2016, Idomeneo et Norma en 2022), c’est bien sa première apparition en dehors du festival estival du mois de juillet. Il est accompagné de la soprano Tara Stafford, Madame Spyres à la ville, pour interpréter des extraits de bel canto italien en première partie, suivis de chants religieux traditionnellement programmés en cette période précédant Noël.
Le concert démarre par l’ouverture du Barbiere di Siviglia, où la générosité de la grosse caisse (qui nous ferait presque sursauter dans notre fauteuil !) contraste avec la délicatesse des pizzicati, tandis que les soli des bois sont passés avec virtuosité, mais un peu moins pour ce qui concerne le cor, légèrement capricieux d’intonation. On apprécie en seconde partie un nouvel extrait du Barbier, la Musique d’orage, jouée avec nerf et précision rythmique. L’ouverture de Guillaume Tell apporte en revanche de petites déceptions, à commencer par le solo de violoncelle introductif, pas vraiment séduisant à l’oreille pour sa justesse de ton. Dans le même registre, le solo de cor anglais plus tard s’avère meilleur que celui de la flûte, même si on prend plaisir au jeu vif-argent de cette dernière. Les cordes sont véloces et assurent une belle cohésion, donnant à l’auditeur l’impression d’une meilleure maîtrise collective des tutti.
Le bel canto italien est représenté par Rossini et Donizetti, l’ouverture du Barbiere enchaînant avec l’air d’entrée de Figaro, « Largo al factotum ». En émettant sereinement toutes les notes de cet air de baryton, Michael Spyres réalise un véritable tour de force, amenant évidemment un éclat unique à certaines notes aigües. Si son italien est très bon, sans être parfait, l’interprète se montre particulièrement à l’aise, autant dans le geste que dans la voix, en passant du falsetto haut perché pour la « donnetta » évoquée au grave abyssal du « cavaliere », et débitant d’autre part son chant sillabato avec un abattage gourmand.
Donizetti succède et ses passages tirés de L’elisir d’amore, dont les deux grands airs de Nemorino. L’entrée du personnage (« Quanto è bella, quanto è cara ») nous fait entendre un ténor en très bonne forme, accédant avec facilité à l’aigu et au suraigu, une voix large et franche mais pas spécialement di grazia. L’air plus connu « Una furtiva lagrima » nous confirme cette impression, le souffle est long et l’instrument homogène sur la tessiture, et le deuxième couplet est par ailleurs agrémenté de petites variations bienvenues. Tara Stafford rejoint son mari pour deux duos, d’abord en Norina au cours de la charmante cantilène « Tornami a dir che m’ami » tirée de Don Pasquale, puis en Adina pour « Esulti pur la barbara ». On entend un soprano de petit format vocal, musical et de timbre agréable, mais qui a tendance à disparaître acoustiquement, couverte par le baryténor ou l’orchestre.
Après l’entracte, aux côtés des extraits symphoniques du Barbiere di Siviglia et de Guillaume Tell déjà cités, s’intercalent quatre passages religieux qui élargissent à l’Europe le Noël « italien » du concert. Parité d’abord pour l’Ave Maria : celui de Gounod est défendu par Michael Spyres, puis la version de Schubert par Tara Stafford. Pour lui, après une très mélodieuse introduction de la harpe et du premier violon, un chant plein se déploie, assez volumineux et solennel mais pas spécialement angélique, alors qu’on trouve cette dernière qualité davantage chez elle, un instrument mieux en adéquation ici avec le petit volume de l’orchestre, ce qui lui permet de faire passer l’émotion. Cet équilibre est cependant rompu lors du Panis Angelicus de César Franck, le medium devenant confidentiel dès que l’orchestre monte un tant soit peu en décibels. Le baryténor retrouve quant à lui une meilleure zone de confort vocal et interprétatif dans le cantique de Noël « Minuit, chrétiens » d’Adolphe Adam : diction du texte français d’une clarté prodigieuse, morceau idéal pour la partie centrale de la voix, ponctuée par certains aigus bien épanouis.
Au bilan du programme, ce sont Figaro et le « Minuit, chrétiens » d’Adam pour lui, l’Ave Maria de Schubert pour elle que l’on trouve les plus réussis. Mais le meilleur arrive au premier bis : le fameux « Ah ! mes amis » de La fille du régiment, où les neuf contre-ut du ténor sont particulièrement percutants. Il faut également souligner l’aisance de l’interprète, une prononciation à nouveau remarquable, et on sourit de bon cœur à son geste de la main vers sa femme restée en coulisses, lorsqu’il prononce « L’amour qui m’a tourné la tête… ». Le traditionnel « Libiamo » de La Traviata fait ensuite, un peu, claquer des mains le public, et confirme qu’on imagine plus volontiers à la scène Tara Stafford dans la Nanetta de Falstaff qu’en Violetta. Chose rare, un bis supplémentaire est accordé après le tube des bis verdiens, Spyres reprenant, pour le bonheur de nos oreilles, la fin du « Minuit, chrétiens » d’Adam.
Le Cercle de l’Harmonie, dir. Jérémie Rhorer
Tara Stafford, soprano
Michael Spyres, baryténor
« Un Noël italien » – Le Cercle de l’harmonie
Gioachino Rossini
Le Barbier de Séville, Ouverture
Le Barbier de Séville, « Largo al factotum »
Guillaume Tell, ouverture
Gaetano Donizetti
L’elisir d’amore, « Quanto è bella, quanto è cara »
L’elisir d’amore, « Una furtiva lagrima »
L’elisir d’amore, « Caro elisir! se il mio!… Esulti pur la barbara »
Don Pasquale, « Tornami a dir che m’ami »
Jean-Sébastien Bach / Charles Gounod, Ave Maria
César Franck, Panis Angelicus
Franz Schubert, Ave Maria
Adolphe Adam, Cantique de Noël
Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, concert du vendredi 16 décembre 2022