L’ensemble Il Caravaggio vient de proposer un fort séduisant concert dans des Concerts d’hiver, un festival de musique classique gratuit organisé par Marco Avallone à la Mairie du XIXe arrondissement de Paris. Séduisant, ce concert le fut par sa programmation autant que par la qualité de ses deux interprètes. Intitulé « Près de mon cœur », il propose, à travers un choix de mélodies rarement entendues, un voyage en des contrées assez opposées – comme l’explique avec humour Camille Delaforge après les Quatre chansons de Don Quichotte de Jacques Ibert qui ouvrent la soirée : tantôt nous nous trouvons sous le soleil brûlant de l’Andalousie ou de contrées hispaniques – grâce à la compositrice Emiliana de Zubeldia, ou à certains musiciens français d’inspiration hispanisante ; tantôt nous affrontons les frimas de régions plus septentrionales, aux cieux bas et couverts et aux atmosphères plus mélancoliques… Ce n’est pas le moindre mérite des deux artistes (Camille Delaforge au piano, Guilhem Worms, baryton-basse) que d’avoir su rendre compte musicalement de ces deux atmosphères, en trouvant au piano ou dans le chant les couleurs tantôt vives et chaudes, tantôt plus nostalgiques et parfois désabusées requises par les différentes mélodies. Si certains compositeurs au programme (Bizet, Lalo, Saint-Saëns) sont bien connus (encore qu’il ne nous soit pas si souvent donné d’entendre les mélodies de Lalo !), d’autres sont peut-être moins familiers au mélomane, et l’on sait gré aux musiciens d’être sortis des sentiers battus et d’avoir mis à l’honneur certaines pages trop peu souvent programmées. La soirée s’ouvre certes par les mélodies bien connues de Jacques Ibert – dans lesquelles Guilhem Worms excelle, et qui pourraient bien devenir sa « carte de visite » ! – et s’achève par le célèbre « Après un rêve » de Fauré, proposé en bis. Mais entre ces deux « classiques », elle permet de (re)découvrir certaines pages de Clémence de Granval, Déodat de Séverac, Henri Collet, ou encore Louis Niedermeyer dans deux fort belles mélodies sur des poèmes de Lamartine (« L’Isolement » et « Le Lac »). Camille Delaforge explique que ces mélodies comptent parmi les rares qui ont su trouver grâce aux yeux du poète. De fait, leur pouvoir d’évocation est grand et l’émotion qu’elles dégagent certaine, au point qu’on aimerait beaucoup en découvrir d’autres (et pourquoi pas, entendre certains des opéras composés par Niedermeyer : Il Reo per amore (1820), La Casa nel Bosco (1828), Stradella (1837), Marie Stuart (1844) ou La Fronde (1853).
Habitués à se produire ensemble en récital, Camille Delaforge et Guilhem Worms font preuve d’une parfaite complicité musicale, le piano, bien plus qu’un simple accompagnement, proposant un véritable dialogue avec la voix, subtil jeu de questions et de réponses, de prolongements et d’anticipations, de superpositions et de fusions de couleurs. Guilhem Worms fait quant à lui valoir la beauté de son timbre profond et velouté, son habituelle attention aux mots, sa musicalité constante, mais aussi ce soin apporté à la ligne de chant, capable de subtils allègements dans l’aigu (très belle conclusion de la « Chanson de la mort » de don Quichotte !) conférant une grande élégance à son interprétation.
Les Concerts d’hiver s’achèvent ce dimanche même : rendez-vous le 1er février prochain pour l’édition 2024 de ce festival, qui réserve toujours une part non négligeable à la voix et au chant (cette année ont été programmés, outre ce récital, une soirée de mélodies et lieder sur le thème du voyage, une autre consacrée à Peer Gynt, un concert de l’ensemble La Palatine ou encore la Messa di Gloria de Puccini…).
Guilhem Worms, baryton-basse
Camille Delaforge, piano
Près de mon cœur
Mélodies d’Ibert, Bizet, Grandval, Séverac, Zubeldia, Collet, Lalo, Saint-Saëns, Niedermeyer.
Concert du vendredi 10 février 2023, Mairie du XIXe arrondissement, Paris.