Après la sortie de leur album Passacalle de la Follie, le récital du contre-ténor Philippe Jaroussky et de l’Arpeggiata a fait les délices du public au Corum de Montpellier. Le parcours du baroque européen au début du XVIIe siècle est savamment conçu et distillé par le chanteur et la cheffe Christina Pluhar dont la complicité est scellée … depuis 20 ans !
Du baroque italien et français aux variations jazzy : une même virtuosité
Un concert captivant d’une heure trente de musique sans entracte ! Airs de cour, madrigaux et danses instrumentales de ballet de cour forment le creuset du récital consacré à un XVIIe siècle plutôt méconnu, hormis des auditeurs ayant acquis le cd des mêmes artistes, paru en février dernier :
La thématique amoureuse relie les goûts italien, français et anglais pour les pièces vocales programmées, tandis que l’écriture sur basso ostinato rassemble les pièces instrumentales : passacaille, ciacona, passamezzo.
Cependant, à l’écoute, les différences paraissent plus le fait d’une sensibilité créatrice, ou bien d’une poésie, que celui d’un style délimitant la sphère italienne (prétendument mouvementée) ou bien celle française, de réputation raisonnée à l’époque de Descartes. Or, si Luigi Rossi, actif à Naples et à Rome, fut invité à la cour de France par le cardinal Mazarin, si l’occitan Estienne Moulinié fut aisément contaminé par l’influence italienne via les circulations méditerranéennes, le ballet de cour accueillait, de son côté, des airs dans la langue de Cervantès. Du premier (Rossi), la saynète italienne Dormite begl’occhi (Dormez, beaux yeux) devient l’occasion d’improvisations fantasques des instrumentistes : du baroque au jazz, avec citation de La panthère rose au facétieux cornet à bouquin ! Du second (Moulinié), le Concert des différents oiseaux déroule un émouvant cantabile. Les ornements du chant y déploient la nature de leurs « voix plus divines qu’humaines Qui tiennent les soucis charmés » : une véritable métaphore du langage musical. Concernant la langue espagnole, acclimatée par Henry de Bailly dans Yo Soy la Locura, son hispanisme est appuyé par la gestuelle satirique du chanteur avec éventail et par les percussions toujours inventives (David Mayoral, excellent musicien sur les peaux ou aux idiophones).
Du côté des poèmes, les émois, plaintes ou Folies de bergers et bergères forment un ensemble français fort diversifié grâce aux compositions de Michel Lambert et de Pierre Guédron. Les passions et ardeurs exprimées par les madrigaux et extraits d’opéra italien génèrent des pièces plus tourmentées (Si dolce è il tormento de Monteverdi), voire pathétiques (Lasciate averno de L. Rossi) que l’instrumentarium de l’Arpeggiata magnifie. Tous les musiciens de cet octuor sont excellents sous la houlette de Christina Pluhar au théorbe. Signalons la virtuosité du cornet à bouquin (Doron Sherwin), du luthiste et guitariste (Miguel Rincon) et les facultés d’improvisation de l’organiste (Dani Espasa). Car, selon les usages du temps, les instrumentistes improvisent des contrechants, des ornementations ou diminutions au gré des prélude, interlude ou postlude des pièces vocales. Quant aux danses instrumentales, l’énergique Canarie de Lorenzo Allegri ou bien la délirante Ciaccona de Cazzati acclimatent avec succès l’exubérance des chorus d’une formation jazz.
Le talent scénique de Philippe Jaroussky
Avec l’Arpeggiata et la complicité de Christina Pluhar, le contre-ténor se délecte de chanter … et de jouer ! Au sein de la formation chambriste, sa qualité de timbre est quasi instrumentale tandis que son écoute des soli de violon ou de cornet (de même registre) est l’occasion de tisser des enchainements suaves. On demeure charmé par la finition des ornementations et la manière d’étirer ou de sculpter les mots chantés : voir le sublime Lasciate avern, issu de l’Orfeo de Rossi. Sa souplesse vocalique fait briller la seule pièce d’Henry Purcell (Music for a while ), qui célèbre opportunément la puissance réparatrice de la musique en final.
Son expérience de l’opéra baroque est l’occasion d’animer certaines pièces avec une présence toute naturelle. Toutefois, le public plébiscite les mimiques histrionesques du Dormite de Rossi, puis réclame des bis par des trépignements de plaisir. La petite cantate italienne (anonyme) du Paradis et de l’Enfer est alors chantée-mimée en duo vocal par le contre-ténor et le cornettiste, devenu chanteur aussi histrion que la vedette ! Au second bis, le public découvre une facette inattendue de Jaroussky dans la chanson Déshabillez-moi (Juliette Gréco, montpelliéraine), mimée avec un humour sensuel et superbement accompagnée par l’Arpeggiata.
L’Opéra Orchestre national de Montpellier a la chance d’accueillir l’artiste Jaroussky pour une seconde année de résidence. Rendez-vous pris pour la recréation de l’Orfeo d’Antonio Sartorio le 7 juin prochain, que l’artiste dirigera à la tête de son Ensemble Artaserse.
Philippe Jaroussky, contre ténor
L’Arpeggiata, direction Christina Pluhar (théorbe)
Antoine Boësset, Nos esprits libres et contents ; Gabriel Bataille, El baxel està en la playa, La Dia Spagnola ; Henry de Bailly, Yo Soy la Locura. Passacalle (La Follie) ; Pierre Guédron, Aux plaisirs, aux délices, bergères ; Antoine Boësset, À la fin de cette bergère ; Lorenzo Allegri, Canario (instrumental) : Estienne Moulinié, Concert des différents oiseaux ; Orilla del claro tajo ; Michel Lambert, Ma bergère est tendre et fidèle ; Pandolfo Mealli, La Vinciolina (instrumental) ; Estienne Moulinié, Enfin la beauté ; Claudio Monteverdi, Si dolce è il tormento ; Maurizio Cazzati, Ciaccona (instrumental) ; Claudio Monteverdi, L’incoronazione di Poppea – Oblivion suave ; Ohime, ch’io cado ; Luigi Rossi, Dormite begl’occhi ; Lasciate averno ; Henry Purcell, The Curtain Tune (instrumental) ; Music for a while.
Concert du lundi 27 mars, Le Corum (Montpellier)