Les festivals de l’été – Une soirée qui tutoie les anges… : ANNA NETREBKO et YUSIF EYVAZOV triomphent au théâtre antique d’Orange
Connaissant la fragilité et l’extrême prudence des grandes vedettes internationales de l’art lyrique dans la programmation de leurs dates de concert – jamais à l’abri d’une annulation de dernière minute – nous avions gardé la tête froide, jusqu’à ces dernières heures, quant à la venue du couple d’or de l’opéra sous le mur d’Auguste. Mais « la » Netrebko est bien là pour le plus grand bonheur des quelque quatre mille spectateurs venus clamer bien fort leur amour de la diva et de Yusif Eyvazov, son ténor, compagnon à la scène comme à la ville.
Un couple d’artistes glamour mais pas que…
Depuis leur rencontre romaine, en 2014, dans une Manon Lescaut, conduite de main de maître par le maestrissimo Riccardo Muti, Anna Netrebko et Yusif Eyvazov ont régulièrement l’occasion de se retrouver sur scène ou lors de concerts lyriques qui, la plupart du temps, soulèvent l’enthousiasme de publics de spectateurs à la fois avertis ou, et c’est souvent le cas, ayant découvert grâce à eux une certaine esthétique de l’art lyrique. Glamour en diable – c’est encore le cas hier soir, entre smoking parfaitement cintré pour monsieur, robes rouge et argentée pour madame qui porte des bijoux de la maison Chopard – le couple a su montrer qu’il mettait au-dessus de tout la notion de travail partagé… et acharné, en particulier pour Yusif qui ne commençait pas dans la carrière avec les mêmes moyens naturels qu’Anna !
De fait, après avoir eu l’occasion d’entendre plusieurs fois les deux artistes, ensemble ou de façon séparée, il n’est pas exagéré d’écrire que le concert proposé en fermeture des Chorégies 2023 constituera un moment mémorable dans l’histoire de la manifestation d’art lyrique la plus ancienne de France.
Il y a, en effet, dans le cas de ces deux artistes, une magie qui opère et qui, au-delà du nombre de répétitions – certes très réduit pour ne pas écrire inexistant ! – avec un orchestre philharmonique de Nice heureusement rompu à ce type de programme, crée immédiatement cette sorte d’alchimie indéfinissable, gage du succès absolu de la soirée.
On aimerait trouver les mots justes pour définir justement ce mélange vocal concocté à partir des graves capiteux d’Anna – et ô combien toujours bien présents dans l’air d’entrée de Lady Macbeth qui lance le programme…en robe rouge donc ! -, et de cette longueur de souffle qui, chez Yusif, semble inépuisable : j’avoue en cela avoir été assez bluffé par la ligne de chant de « Parmi veder le lagrime » dans Rigoletto et, plus généralement, par l’endurance avec laquelle les notes de la cabalette « Possente amor », dont les deux couplets sont chantés, sont prolongées…à l’infini ! Les voix de ces deux artistes hors-normes finissent d’ailleurs toujours par se mêler en un savant dosage de subtiles mezze voci s’élevant jusqu’à de vigoureux forte comme le prouvent sans conteste les extraits de La Forza del destino au programme (« Pace, pace » pour elle et « La vita è inferno all’infelice » pour lui). Si le quatuor de Rigoletto n’ajoute pas grand-chose à la gloire de nos deux divi – et ce d’autant plus que ni le baryton Elchin Azizov, seulement efficace, y compris dans les autres airs et duos à son programme, ni, hélas, la mezzo-soprano Elena Zhidkova, entendue pourtant ailleurs en bien meilleure forme[1], ne parviennent à hisser leurs interventions sur des cimes comparables au couple vedette – c’est, selon nous, la scène finale d’Aïda qui constitue le moment le plus exceptionnel de la soirée. Avec ce duo, qui allie idéalement la délicatesse quasi-chambriste de l’orchestre – un philharmonique de Nice dirigé par Michelangelo Mazza souvent obligé de composer avec les tempi parfois surprenants de lenteur de nos deux stars ! – et le chant céleste des deux principaux personnages se préparant à mourir, le public assiste, médusé, à la succession de ces phrases vaporeuses en sol bémol sur « O terra, addio », chantées par Aïda seule puis par Radamès et, enfin, par les deux voix à l’unisson. Alors, il se produit dans ce théâtre antique qui, pourtant, en a entendu bien d’autres, ce bref instant suspendu, aérien, où le temps semble s’arrêter.
Suivront encore un vigoureux trio de la fin du premier acte du Trouvère – quoique sans les fulgurances finales que l’on pourrait y entendre, surtout avant de quitter ce public… de toute façon acquis ! – puis un « Libiamo » offert, comme il se doit, en bis, qui nous rappelle un instant par les quelques pas de valse esquissés par la belle Anna combien cette interprète éternellement hors-norme fut, au moins en version de concert, une fabuleuse Princesse Czardas !
Une soirée qui clôt en toute beauté cette édition 2023 des Chorégies d’Orange !
[1] Elena Zhidkova avait en particulier incarné une fort belle Kundry à l’ Acropolis de Nice en 2010.
Anna Netrebko, soprano
Yusif Eyvazov, ténor
Elchin Azizov, baryton
Elena Zhidkova, mezzo-soprano
Orchestre philharmonique de Nice, dir. Michelangelo Mazza
Lumières : Vincent Cussey
Airs, duos, trio, quatuor, ballet, extraits d’opéras de Giuseppe Verdi (1813-1901)