L’art de la mélodie par ADRIANA GONZALEZ, Salle Cortot
À l’occasion du concert anniversaire des 10 ans du label Audax Records et la parution du CD « À deux voix » avec la mezzo-soprano Marina Viotti et le pianiste Iñaki Encina Oyón, la soprano guatémaltèque a transporté l’auditoire avec un bouquet de mélodies signées Robert Dussaut, Hélène Covatti et Isaac Albéniz.
On ne dira jamais assez tout le mérite du travail de défrichage de répertoires oubliés ou méconnus ces dernières décennies, à l’instar de celui entrepris par le label Audax Records depuis maintenant 10 ans, avec 45 albums à son actif. À la salle Cortot, l’ambiance est ce soir festive, avec deux programmes pour ce concert anniversaire, puisés dans deux nouvelles parutions discographiques :
trois sonates en trio de Johann Gottlieb Goldberg (1727-1756) et Wilhelm Friedemann Bach (premier fils de Jean-Sébastien Bach, 1710-1784) par l’Ensemble Diderot (qui célèbre ici son 15e anniversaire, réuni autour de Johannes Pramsohler, premier violon, par ailleurs producteur exécutif et directeur artistique du label), et des mélodies de Robert Dussaut (prix de Rome de 1924, élève de Widor, D’Indy et Büsser), Hélène Covatti (son épouse) et Isaac Albéniz
© P Foster Williams
par la jeune soprano guatémaltèque Adriana González (premier Prix Operalia 2019 ; elle chante actuellement Liù en alternance avec Ermonela Jaho à l’Opéra Bastille) et Iñaki Encina Oyón. Le programme de ce soir est modifié en raison de l’absence de Marina Viotti, souffrante, avec laquelle devait être célébrée la parution d’un nouveau CD « À deux voix ». Un programme intégralement composé d’œuvres méconnues, savamment introduit par les interprètes.
Le quatuor instrumental de l’Ensemble Diderot introduit le concert par une célébration de la forme de la sonate en trio, qu’il porte avec homogénéité et dynamisme. On apprécie une interprétation éclairée et compréhensive des œuvres, sensibles au ton de chaque mouvement, porté avec beaucoup de justesse (continuo imperturbable des passages rythmés, souplesse du phrasé dans les mouvements lents, portés avec beaucoup de souffle). Le raffinement et la délicatesse d’expression sont les maîtres-mots d’un ensemble dont la sobriété et le raffinement dans l’exécution va de pair avec le répertoire incarné.
Après avoir fermé le clavecin et amené le piano au milieu de la scène, Adriana González et Iñaki Encina Oyón s’avancent pour quelques mélodies de Robert Dussaut, Hélène Covatti et Isaac Albéniz. La sonorité ample des premiers accords du piano emplit l’espace de la salle Cortot d’une énergie nouvelle, rejointe bientôt par la voix de la soprano pour « Quand le cœur s’éveille » du Prix de Rome de 1924. D’emblée, la voix remplit l’espace d’un timbre généreux et « plein », le vibrato ample. On est immédiatement frappé par cet aigu sûr, à la fois puissant et légèrement enrobé, et par la verve narrative de la soprano, qui captive du regard l’attention de la salle arquée autour d’elle, incarnant le texte avec une belle intention. Le phrasé est élégant, le son filé dans un legato naturel avec une syllabisation du français très évidente. On apprécie particulièrement cette maîtrise des nuances, avec des piani installant l’auditoire dans la confidence des mélodies, et qui, dans l’intimité de la Salle Cortot, sont du plus bel effet (« Crépuscule », « Tristesse » d’Isaac Albéniz). Dans les dernières mélodies de Dussaut, l’engagement théâtral se gorge d’une intensité dramatique presque scénique (« Adieu », « L’Oracle »), la voix évoluant quant à elle dans un registre opératique, avec une puissance expressive nouvelle. Compagnon fidèle de la chanteuse, avec laquelle il forme la paire, Iñaki Encina Oyón installe tout au long du concert un jeu tout en sobriété, dans la juste mesure, sans effet ni esbroufe. Cultivant un son perlé et chantant, le pianiste offre un cadre idoine au déploiement de la voix, sans hésiter à déployer toute la force expressive de son instrument.
Les artistes de la soirée seront accueillis par un public enthousiaste dans l’atmosphère chaleureuse de la Salle Cortot.
Ensemble Diderot, dir. Johannes Pramsohler
Adriana González, soprano
Iñaki Encina Oyón, piano
Œuvres de Johann Gottlieb Goldberg, Wilhelm Friedemann Bach, Robert Dussaut, Hélène Covatti et Isaac Albéniz.
Concert du dimanche 12 novembre 2023, salle Cortot (Paris)