Récital CYRIELLE NDJIKI NYA au Musée d’Orsay – Qui peut le plus peut le moins
On se rappelle avoir entendu pour la première fois la soprano Cyrielle Ndjiki Nya lors de l’audition annuelle des lauréats de Génération Opéra, en novembre 2021 : dotée de moyens d’une ampleur remarquable, elle se lançait sans hésiter dans l’air de Chimène du Cid, et surtout dans le « Dich, teure Halle » de Tannhäuser. Un an après, elle était la grande-prêtresse d’une mémorable Aïda à Montpellier. A présent, elle forme avec Kaoli Ono, pianiste sensible et toujours attentive, l’un des duos parrainés par le Musée d’Orsay et la Fondation Royaumont. Et l’on se souvient justement d’avoir entendu ces deux musiciennes dans un contexte tout sauf idéal, lors d’un « concert promenade » où elles étaient placées dans une des salles du musée à l’acoustique fort peu propice, au milieu de la déambulation et du brouhaha des visiteurs.
Cette fois, l’Auditorium du musée offre un cadre bien plus adéquat, pour découvrir le programme que le duo a concocté. Les interprètes sont désormais invités à choisir une œuvre parmi les collections du musée, qui guide l’élaboration de leur programme. Kaoli Ono et Cyrille Ndjiki Nya ont choisi une rareté, quatre sculptures dues au Nabi Georges Lacombe, quatre bois de lit représentant le cycle de la vie humaine, de la naissance à la mort en passant par le couple, avec en plus une scène particulièrement énigmatique où un serpent se mord la queue, les anneaux de son corps formant les yeux de deux profils accolés. Avec un peu d’imagination, il est tout possible de réunir mélodies et lieder sur l’éveil de la vie, l’amour, le trépas et l’interrogation existentielle.
Pour autant, ce n’est pas la facilité qui prévaut ici, puisque la soprano a choisi de s’exprimer en quatre langues : français (Debussy, Chausson, Fauré), allemand (Schubert, Strauss), russe (Rachmaninov) et anglais (Britten, Bolcom). Avec sa discipline bien spécifique, l’exercice de la mélodie impose en outre à cette grande voix de se « rapetisser » à des dimensions bien différentes de celles d’une scène d’opéra. Et même si l’on sent que la voix de Cyrielle Ndjiki Nya n’aspire qu’à s’épanouir dans les puissantes passions du théâtre lyrique, l’interprétation des lieder a cela de précieux qu’il lui impose de prêter attention à une émission qu’on croirait volontiers naturelle, comme si elle n’avait qu’à ouvrir la bouche pour émettre les sons les plus puissants.
Excellent exercice de diction également : le français ici chanté est parfaitement limpide – on ne perd pas un mot de La Chanson perpétuelle, par exemple – et sans la moindre affectation. L’anglais paraît lui aussi tout à fait idiomatique, et nous laisserons à des juges plus compétents le soin d’évaluer l’articulation de deux autres langues. Les Trois Chansons de Bilitis sont sans doute le moment où la soprano doit le mieux doser sa voix, pour respecter ce chant si proche du parlé qu’a voulu Debussy, sans emphase même dans le passage le plus torride de « La Chevelure », et sans tomber dans l’excès inverse qui consisterait à détimbrer dans la nuance piano. La chanteuse est constamment expressive, et respecte tout l’humour des Cabaret Songs, qu’il s’agisse du « Funeral Blues », superbe tant dans sa première partie, dans le bas de la tessiture, que dans la deuxième, où la voix peut davantage se lâcher, ou des deux Bolcom, l’amusant « Toothbrush Time » marquant la fin du programme.
Chaleureusement applaudies, les deux interprètes concèdent en bis un « Allerseelen » de Richard Strauss parfaitement maîtrisé.
Cyrille Ndjiki Nya, soprano
Kaoli Ono, piano.
Œuvres de Debussy, Chausson, Fauré, Schubert, Strauss, Rachmaninov, Britten, Bolcom
Auditorium du musée d’Orsay, mardi 21 novembre, 12h30.