Oubliés les feux d’artifice vocaux et les trilles en cascades ! Dans la suite de son dernier opus sorti le mois dernier (un CD de lieder de Mozart et Strauss, paru chez Erato), Sabine Devieilhe met à l’honneur à la fois des jeunes chanteurs, et la face pudique et sobre de Mozart, avec au programme quelques lieder du compositeur.
Même si on aimerait réentendre les vocalises envoûtantes de Lakmé, ou les dernières notes d’Ophélie filant sur l’eau, c’est tout en sobriété que Sabine Devieilhe chante ce soir sur la scène de la salle Gaveau, accompagnée de Mathieu Pordoy au piano, comme sur son album, et de quelques camarades chanteurs (et d’autres en invités surprise !)
Depuis son enfance jusqu’à l’année de sa mort, Mozart n’aura cessé de composer des lieder. On aurait tort de penser que ces derniers, écrits en marge de ses opéras, seraient inférieurs au reste de son œuvre ou moins intéressants. Simplement leur intérêt est différent : en effet leur écriture vient en écho à certains des airs d’opéras de Mozart, mais reflète aussi l’évolution des goûts de l’époque, tirant déjà vers le romantisme (avec par exemple Das Veilchen, sur un poème de Goethe). Le talent espiègle du compositeur transparaît à travers la musique, mais, plus appuyée encore que dans ses opéras, on constate aussi sa volonté de planter un décor musical plutôt que de pousser vers une démonstration vocale, car beaucoup des lieder étaient destinés à être chantés dans des salons plutôt que sur scène, tout en requérant une technique solide – ne serait-ce que pour faire ressortir toutes leurs nuances mélodiques et leur caractère presque introspectif.
Après quelques mots d’introduction de la part de la cantatrice, on retrouve ainsi Axelle Saint-Cirel, gagnante de l’édition 2021 du Concours des voix d’outre-mer, ainsi que le ténor Lucas Pauchet, et le baryton Lysandre Châlon. Tous trois bénéficiant du programme Momentum crée par Barbara Hannigan, invitant de jeunes chanteurs à se produire aux côtés d’artiste reconnus.
Plus qu’un cérémonial autour du compositeur viennois, la générosité de Sabine Devieilhe vient placer le divertissement au centre de la soirée, pour mieux mettre en lumière ses camarades. Ainsi Axelle Saint-Cirel (dont Stéphane Lelièvre avait apprécié la prestation lors du dernier concours Voix nouvelles) fait montre d’un bel engagement et de beaucoup de sensibilité, la mezzo-soprano fait voler les notes avec un souffle toujours tenu, et garde la compréhension du texte au premier plan malgré les difficultés de la partition. Lucas Pauchet se veut complice avec son audience, le ténor sait être tour à tour cajolant, implorant, et sarcastique, grâce à son timbre chaud et ses talents de comédien. Se démarquant un peu de ses collègues chanteurs, Lysandre Châlon, impose d’office une voix large de baryton-basse enveloppant toute la salle d’un seul trait. Avec un timbre splendide et une diction claire, le jeune chanteur semble être fait pour ce type de répertoire. Et bien sûr, comme élément liant le tout, Matthieu Pordoy au piano, ami des chanteurs, complice des spectateurs : le pianiste emmène toute l’assistance avec lui dans la bonne humeur qui semble être le mot d’ordre du récital.
Comme pics de la soirée, on retient un très beau trio de Cosi fan tutte, avec l’invitation au voyage de « Soave sia il vento… » : les harmonies entre Axelle Saint-Cirel, Lysandre Châlon et Sabine Devieilhe fonctionnent à merveille, le baryton venant en parfait contrepoint des voix chaudes et éthérées des deux chanteuses. De l’harmonie, il en est aussi beaucoup question par la suite, avec de beaux airs d’ensemble et des invités surprise, faisant merveille dans une version de l’ouverture des Noces de Figaro façon chorale, pas moins que ça ! A cette occasion, on note la venue des chanteurs Judith Derouin, Agathe Peyrat, Florent Baffi, et Guillaume Gutierrez. Un magnifique « Solfeggios », chant sans parole, tout en douceur et aigus flottant, vient rappeler le talent et la maîtrise de son art par Sabine Devieilhe : la voix file, et s’élance sur les hauteurs de la partition sans peur du vide.
Gourmand, le public en redemande et après un encore plein de fantaisie sur « Ah, vous-dirais-je maman… » il tremble, ravi, devant la Reine de la nuit criant vengeance. Et malgré une ou deux approximations dues probablement au tempo très rapide sur cette version au piano, il ressort maudit… mais enchanté !
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Retrouvez Sabine Devieilhe en interview ici !
Sabine Devieilhe, soprano
Mathieu Pordoy, piano
Avec la participation de
Axelle Sain-Cirel, mezzo-soprano
Lucas Pauchet, ténor
Lysandre Châlon, baryton-basse
WOLFGANG AMADEUS MOZART, lieder
Abendempfindung an Laura
Se lontan, ben mio, tu sei
Vorrei spiegarvi
Oiseaux si tous les ans
Das Veilchen
Komm liebe Zither
Cosi fan tutte, « Soave sia il vento »
Dans un bois solitaire
An Chloe
Mi lagneró tacendo
Medley lieder (quatuor)
Solfeggios
Salle Gaveau, représentation du 24 avril 2024.