Sorte de compromis entre le flash mob et le concert « officiel », les « Promenades musicales » du Musée d’Orsay sont dorénavant bien connues, et l’on trouvait ce soir, face aux toiles de Gustave Courbet, Henri-Edmond Cross, Paul Chenavard ou Georges-Antoine Rochegrosse devant lesquelles se produisaient les artistes de l’Académie Orsay-Royaumont, aussi bien des amateurs de peinture tout surpris de découvrir ces chanteurs et pianistes au hasard de leur visite, que des mélomanes venus tout exprès pour profiter d’un beau concert dans un cadre pour le moins atypique.
Les avantages et les inconvénients de la formule sont également bien connus. Au nombre des inconvénients, bien sûr, le léger bruit diffus de la salle : déplacements, murmures des visiteurs (voire diffusion d’une annonce enregistrée pendant « L’indifférent » de Ravel !), qui exigent des interprètes une grande capacité de concentration. Mais parmi les avantages, il y a, et ce n’est pas le moindre mérite de ces mini-récitals, la surprise provoquée chez un public peut-être guère familier de ce genre de musique, et qui aura peut-être envie, qui sait, d’en entendre davantage dans le confort offert par une salle de concert.
Cette année encore, les huit lauréats sélectionnés pour l’édition 2023-2024 de l’Académie font preuve d’un excellent niveau. Accompagnés par quatre pianistes (Anni laukkanen, Emma Cayeux, Cole Knutson et Gyeongtaeck Lee) imperturbables et toujours impeccablement concentrés malgré les conditions assez particulières de l’exercice, les chanteurs ont tous montré de grandes qualités vocales ainsi qu’un excellent niveau de préparation.
Iida Antola, soprano d’origine finlandaise, fait entendre une voix longue (la belle envolée vers l’aigu qui conclut le « Welt ist stille eingeschlafen » de Korngold est bien maîtrisée) et se montre aussi à l’aise dans le répertoire allemand (avec un « Kennst du das Land » de Wolf habité) que français : son « Invitation au voyage », chanté dans un français très pur et coloré de nombreuses nuances, est peut-être le plus joli moment de son récital.
Emma Roberts, jeune mezzo britannique, possède dans sa voix les couleurs et dans son chant l’élégance d’une Frederica von Stade. Son chant raffiné et le répertoire assez feutré qu’elle choisit sont malheureusement peut-être ceux, qui ce soir, souffrent le plus des conditions matérielles du concert, la mezzo se produisant dans la salle 24 (niveau 0) du musée – une salle vaste et assez ouverte.
Jeeyoung Lim est un baryton-basse aux moyens déjà imposants, qui ne lui interdisent cependant nullement le raffinement poétique exigé par les deux Schumann au programme, joliment phasés. Le « Nell » de Gabriel Fauré montre par ailleurs que le français du chanteur, même s’il reste perfectible, a été travaillé avec beaucoup de soin et est déjà parfaitement compréhensible.
Joël Terrin enfin, baryton (à la voix ancrée nettement dans l’aigu), est pour nous une révélation. Le matériau vocal est d’une qualité exceptionnelle, l’émission d’un naturel absolu, le style parfait, avec juste ce qu’il faut d’émotion et de sensibilité pour habiter dramatiquement les lieder ou mélodies sans pour autant tomber dans le registre de l’opéra.
L’allemand de ce chanteur est extrêmement élégant, avec des consonnes dont la prononciation, précise, nullement esquivée, ne vient jamais rompre le legato. Le soin apporté à sa prononciation du français enfin, fait qu’on ne perd pas un mot du poème de Verlaine dans le « D’une prison » de Reynaldo Hahn, interprété avec une grande sensibilité. Un chanteur à suivre, assurément.
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Photos : Première Loge
Joël Terrin, Jeeyoung Lim, barytons
Iida Antola, soprano
Emma Roberts, mezzo-soprano
Anni laukkanen, Emma Cayeux, Cole Knutson et Gyeongtaeck Lee, piano
Mélodies et lieder de Schubert, Hahn, Tchaïkovski, Sibelius, Debussy, Ravel, Brahms, Fauré, Alma Mahler, Britten, Duparc, Korngold, Wolf.
Promenades musicales du Musée d’Orsay, jeudi 2 mai 2024