Les festivals de l’été –
Aix-en-Provence : Sentimental journey en toute intimité, la force sensible de SONDRA RADVANOVSKY en récital
Une immersion dans la douleur de la perte et le chemin vers l’espoir
Pour ses débuts au festival international d’art lyrique, Sondra Radvanovsky propose un récital qui n’appartient qu’à elle puisque le programme en est construit autour de la perte de sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer et disparue il y a deux ans, mais également d’un certain nombre d’êtres chers (parmi lesquels sera cité le regretté baryton russe Dmitri Hvorotovsky) qui ont accompagné son parcours de chanteuse et de femme. Pas étonnant, dans ce cadre, que le récital débute avec le Lamento de Didon (Henry Purcell) où la reine de Carthage demande à sa confidente de se souvenir de sa personne plus que de sa destinée fatale, et s’achève – avant ses bis du moins ! – par le bouleversant air de Maddalena di Coigny La mamma morta.
Pourtant, c’est hors d’un répertoire lyrique attendu que la si captivante soprano d’origine canado-américaine ose s’aventurer ce soir puisque après Purcell et Haendel (Giulio Cesare), c’est autour de romances de Rachmaninov, de lieder de Richard Strauss puis des Trois sonnets de Pétrarque de Liszt que s’axe la soirée, un répertoire dans lequel on ne l’attend pas mais qui s’impose dans un récital avec piano.
Drapée, tout au long de la première partie, dans une robe noire dont elle sait dégager tout le potentiel dramaturgique, celle qui promène aux quatre coins des scènes lyriques internationales ses reines donizettiennes, donne de l’air de la reine d’Egypte Cleopatra Piangerò la sorte mia une interprétation bravache – ce qui était moins le cas dans son air de la reine de Carthage – où l’on sait d’emblée que l’interprète – à la technique de chant fort peu baroque ! – ne lésinera pas sur la puissance et la fierté de l’accent même si l’aigu n’est pas, ce soir, sans accuser une certaine stridence, ici plus évidente qu’ailleurs…
Ce qui emporte l’adhésion, c’est cette facilité dont dispose Sondra Radvanovsky pour très vite créer avec le public un rapport d’intime complicité : s’adressant directement à lui – à la manière de ces chanteuses de cabaret new yorkais interprétant le songbook américain ! -, celle qui, pour un soir, évolue sur la scène du conservatoire comme une authentique entertainer passe de l’émotion sincère – quand elle évoque en des termes simples le caractère d’abord insupportable de la perte et de l’absence de sa mère puis le lent chemin vers la reconstruction – à l’humour comique revigorant, lorsque l’on croit comprendre qu’elle a fait de l’un des médecins de celle-ci son compagnon actuel, présent a priori dans la salle…
On passera donc rapidement sur les magnifiques romances de Rachmaninov – qu’Asmik Grigorian avait interprétées en ces lieux il y a un an – qui, même dédiées à Dmitri Hvorotovsky et toutes (trop ?) débordantes de lyrisme, peinent à trouver leur juste émotion, tout comme sur quatre des lieder parmi les plus incontournables de Strauss (Allerseelen, Befreit, Morgen ! et Heimliche Aufforderung) dont le style et la fluidité du legato semblent étrangers à l’artiste – prudente, l’interprète les chante avec pupitre, soulignant par ailleurs auprès de l’auditoire le baptême du feu auquel elle s’expose dans ce répertoire – pour insister sur l’adéquation que trouve, enfin, Sondra Radvanovsky avec les Trois sonnets de Pétrarque. Dans ces mélodies où Liszt chante sa muse et amante Marie d’Agoult, la cantatrice, superbe dans une robe désormais aux couleurs de la vie – son pianiste, le très attentif et solide Anthony Manoli arbore d’ailleurs désormais un tee-shirt rouge ! – retrouve le chemin de la dramaturgie et parvient à faire entrer son programme dans une autre dimension où la prise de risque, sur certaines demi-teintes et mezze di voce, est couronnée de succès – ce qui n’avait pas été toujours le cas jusque là ! – et où le bel canto retrouve ses droits. On est plus très loin, il est vrai, du chant bellinien dans ce cycle dédié à l’illustre ténor Rubini, où le geste et le regard de la diva se laissent aller soudain à l’inquiétude vis-à-vis de l’être aimé : comme on pouvait s’y attendre, le public en redemande et, après l’émotion brute du texte écrit par Sondra Radvanovsky pour le fort bel air de Jake Heggie[1] If I had known qui, en évoquant la démence sénile de sa mère, parle directement au cœur, place est laissée à l’opéra ! Terminant le récital officiel, l’interprétation donnée de « La mamma morta » offre un parfait dosage des contrastes – on aurait presque envie d’écrire enfin !- entre les nuances piano, mezzo forte et forte et l’aigu, redevenu vaillant, annonce une série de quatre bis absolument irrésistibles qui déchaînent l’enthousiasme du public ! Noblesse oblige, c’est tout d’abord sous l’aile de la muse du théâtre dramatique que se réfugie la diva avec un « Io son l’umile ancella » (Adriana Lecouvreur) de parfaite facture où la palette infinie des clairs-obscurs et des diminuendi est bien au rendez-vous. De même, l’attaque pianissimo du « Pace, pace de La forza del destino » restera longtemps gravée dans notre oreille tout comme, dans le même air, l’impérieuse nécessité d’un chant discipliné, sans débordement, avec pour seul soucis le style verdien d’une très grande dame du chant. Si, surfant sur la vague, le « Vissi d’arte« à la messa di voce finale ahurissante donne envie d’aller entendre notre diva à Naples, la saison prochaine, dans les tenues de Floria Tosca, « O mio babbino caro », le dernier bis de cette « troisième partie » qui décidément aura raflé la mise, donne de l’Entertainement façon Sondra Radvanovsky une épure parfaite, construite sur l’émotion vraie et l’espérance du Bonheur.
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[1] Jake Heggie (né en 1961) est l’un des plus prolifiques compositeurs américains actuels. Parmi ses opéras, régulièrement représentés aux Etats-Unis, on lui doit en particulier Dead Man Walking (2000) et Moby-Dick (2010).
Sondra Radvanovsky, soprano
Anthony Manoli, piano
Airs d’opéras d’Henry Purcell (1659-1695), Georg Friedrich Haendel (1685 -1759), Umberto Giordano (1867-1948), Francesco Cilea (1866-1950), Giuseppe Verdi (1813-1901), Giacomo Puccini (1858-1924). Mélodies et lieder de Sergei Rachmaninov (1873-1943), Richard Strauss (1864-1949), Franz Liszt (1811-1886), Jake Heggie (1961)