Viva Puccini !
Gala lyrique avec Jonas Kaufmann, Opéra de Monte-Carlo (Grimaldi Forum), dimanche 17 novembre 2024
Il revenait à Jonas Kaufmann, ténor coqueluche des scènes internationales, de clore le festival Puccini conçu par la direction de l’Opéra de Monte-Carlo tout au long de ce mois de novembre. On aurait pu s’attendre à un programme de circonstance faisant se succéder airs et intermezzi célèbres : on a eu droit à un concert lyrique des plus électrisants… et à la découverte, par-dessus le marché, d’une jeune soprano lyrique des plus fascinantes !
Un programme festif, deux artistes de haut lignage et un chef au service de Puccini
C’est sous le signe des trois impressionnants accords initiaux de Tosca – entendue deux jours auparavant – que s’ouvre un programme dont, sur le papier du moins, la première partie n’est que le bis repetita de ce que le festival a déjà programmé – et plutôt bien ! – lors de cette semaine folle. Comparaison n’étant pas raison, on ne s’évertuera surtout pas à jouer au match du qui était le meilleur entre Roberto, vendredi, et Jonas, dimanche ! Disons d’emblée, par contre, que ce concert lyrique nous a directement envoyé côtoyer les étoiles… et que nous étions loin de nous y attendre, tant les performances du ténor bavarois, ces derniers mois, ont été chroniquées comme aléatoires[1]…
En choisissant d’amorcer son programme par l’air d’entrée de Mario « Recondita armonia », Jonas Kaufmann prend le parti de la sécurité mais souhaite judicieusement arguer de ce qui, pour une part du moins, a assuré sa notoriété dans la galaxie de ses collègues ténor : le bronze d’un médium qui, ce soir, somptueux, nous fait irrésistiblement penser à celui du si regretté Giuseppe Giacomini et la qualité de la mezza voce qui, lorsqu’elle lui réussit sans donner le sentiment désagréable que la voix se détimbre – et ce sera le cas lors de cette matinée sans accroc – est tout simplement enivrant. Certes, l’émission est toujours ingolata mais comme la voix, ce soir, semble avoir retrouvé une égale puissance sur tout l’ambitus, cela ne gêne jamais l’audition, permettant ainsi dans le lamento « E lucevan le stelle » d’apprécier le technicien hors-pair que demeure Kaufmann, surtout lorsqu’il est dirigé par un chef aussi attentif, une fois de plus, que Marco Armiliato. Le résultat est d’autant plus probant que l’introduction du lamento et l’instant musical du « lever du jour sur Rome » nous ont précédemment permis d’être capté par le si poétique violoncelle solo de Delphine Perrone puis la clarinette hypnotique de Marie-B. Barrière-Bilote. À la fin de cet ensemble de véritable grâce, je constate que ma voisine de fauteuil essuie discrètement quelques larmes : l’effet Kaufmann semble donc toujours garanti !
C’est, en outre, dans les nombreux duos au programme que le ténor nous semble au mieux de sa forme : il faut dire qu’en la personne de Valeria Sepe (récemment applaudie en liù à Florence), il est en fort bonne compagnie. Dès son entrée en scène, dans une élégante robe couleur de nuit – dont elle changera après l’entracte pour mieux camper les deux dernières héroïnes pucciniennes au programme, Cio-Cio-San et Manon – la soprano napolitaine fait une véritable entrée de théâtre dans le duo du premier acte de Tosca, où son assise vocale dans le bas-médium et dans le grave permettent de croire en le personnage… même le temps d’un duo ! L’émission, située haut dans le masque, peut d’emblée surprendre mais l’envergure vocale est bien celle d’un authentique soprano lirico tel que le réclame l’ensemble des rôles mis au programme ce soir. On saura gré aux artistes de ce duo de charme de ne pas oublier de jouer leur rôle et de parvenir même, par leurs attitudes et leurs regards, à amuser le public et tout simplement à le séduire ! Après avoir donné à entendre des interprétations du « Vissi d’arte » puis de « Si, mi chiamano Mimi » à la musicalité sans faille et au goût parfait sans compter, pour ce dernier air, une montée en puissance à partir de « Ma quando vien lo sgelo » qui est un pur bonheur, Valeria Sepe et Jonas Kaufmann réunissent leurs voix pour un duo final du premier acte de La bohème d’une grande souplesse dans l’expression, couronné par un contre-ut final glorieux auquel le ténor ne nous avait pas si souvent habitué !
Amorcée par l’intermezzo de l’acte III de Madama Butterfly, la deuxième partie du Gala permet de pleinement goûter tous les mélismes et toutes les innovations orchestrales étonnantes de la partition, rendus plus visibles par la présence sur le plateau d’une phalange monégasque à l’attention sans faille envers le chef. On ne manquera pas de citer ici le mélancolique legato qui s’élève soudain du cor anglais de Matthieu Petijean. Donné dans sa totalité, « Viene la sera », le duo qui clôt le premier acte de Madama Butterfly, permet d’entendre, une fois de plus, toutes les sonorités capiteuses – et ici orientalisantes – de l’orchestre puccinien et le dialogue qui s’instaure un moment à la petite harmonie : c’est de toute beauté. Sur un tel tapis sonore et un tempo rubato que Marco Armiliato sait parfaitement conserver, le duo vocal ne peut se trouver qu’en confiance et prendre tous les risques dans ce qui constitue l’un des plus beaux moments de la soirée. Sans ne guère laisser de répit à ses chanteurs – ni au public ! -, ce duo achevé, c’est l’illustrissime intermezzo de Manon Lescaut, sans lequel il ne peut y avoir de concert hommage au compositeur toscan, qui s’élève, plaintif, tout d’abord avec le violoncelle chambriste de Delphine Perrone puis, progressivement, avec tout l’orchestre auquel la baguette du maestro insuffle sa vision de larges – et à l’occasion tristaniennes ! – lignes mélodiques. Là encore, le duo de la passion amoureuse entre Des Grieux et Manon qui suit – et termine le programme officiel – se situe sur les mêmes sommets que celui de Butterfly, favorisant, par le sens du théâtre que le chef sait en dégager à l’orchestre, la dramatisation des deux interprètes dont les voix fusionnent encore admirablement ici.
On aurait pu légitiment croire, après un tel programme, que l’exercice des bis serait relativement restreint : bien au contraire, c’est quasiment à une troisième partie que nous convient Jonas Kaufmann et Valeria Sepe dans une salle des Princes que, de mémoire, nous n’avons jamais entendue à ce point en délire ! Du « Ch’ella mi creda » de La Fanciulla del West à l’incontournable « O mio babbino caro » de Gianni Schicchi en passant par « Signore, ascolta » et « Non piangere, Liù » de Turandot, c’est à un véritable bouquet final de sfumature[2], de messe di voce et de morbidezza que nous assistons, ébahis – y compris au sens propre, en ce qui concerne l’auteur de ses lignes ! – et heureux.
Comme on pouvait s’y attendre, c’est bien sûr « Nessun dorma » chanté d’une voix de bronze à la vaillance glorieuse qui vient clore sur une spontanée standing ovation ce festival que l’on n’oubliera pas de si tôt et ce festin lyrique auquel les chanceux présents dans la salle ne regretteront pas d’avoir pu prendre part !
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[1] À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous apprenons que Jonas Kaufmann annule la totalité des représentations de La forza del destino à Milan où il devait chanter Alvaro dans le cadre du spectacle d’ouverture de la nouvelle saison scaligère – mais non pour des raisons médicales ; voyez nos « Brèves de novembre ».
[2] Notion difficilement traduisible en français qui désigne la maitrise chez un chanteur lyrique d’un infini nuancier dans la palette des sonorités vocales émises.
Jonas Kaufmann, ténor
Valeria Sepe, soprano
Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, dir. Marco Armiliato
Viva Puccini !
Airs, duos et intermezzi extraits d’opéras de Giacomo Puccini (1858-1924) : Tosca, La bohème, Madama Butterfly, Manon Lescaut, La fanciulla del West, Gianni Schicchi, Turandot
Opéra de Monte-Carlo (Grimaldi Forum), dimanche 17 novembre 2024
2 commentaires
J’ai lu cette critique avec un grand plaisir et je remercie l’auteur de m’avoir permis de « assister » à cette soirée lyrique inoubliable par le génie de Jonas et de toute la Merveilleuse pléiade d’artistes.
J’étais à ce gala . Qui restera sans nul doute dans toutes les mémoires des spectateurs.
Ce fut une incroyable et sublime soirée lyrique. Un Jonas Kaufmann en très grande forme quand à Valeria Sepe une grande carrière s’ouvre à elle