Il a récemment remporté de très beaux succès dans des œuvres aux styles très différents : Viva la mamma ! de Donizetti en Suisse (Opéra de Genève, après Lyon en juin 2017), Le Chapeau de paille de Florencede Nino Rota aux États-Unis (Minnesota Opera), ou encore La Dori de Cesti à Innsbruck. Retour sur le parcours atypique de ce baryton-basse plus que prometteur que rien, a priori, ne prédisposait au chant !
Pietro di Bianco, comment définiriez-vous votre voix aujourd’hui ?
Je suis baryton-basse di coloratura. Je me sens particulièrement à l’aise dans Haendel, Rossini, Mozart. Qui sait comment ma voix évoluera dans le futur ? Peut-être s’ouvrira-t-elle à d’autres répertoires, mais difficile de savoir lesquels… Un répertoire plus spinto ? Verdi ? Puccini ? Laissons faire le temps, nous verrons bien…
Pietro di Bianco dans Le Chapeau de paille de Florence de Nino Rota au Minnesota Opera
© Opéra national de Paris
Le chant correspond-il chez vous à une passion ancienne ?
Le chant, non, mais la musique certainement. En fait, je suis venu assez tard au chant. Je suis né dans un petit village du sud de l’Italie, dont les trois centres principaux d’activités étaient l’école, le sport, et la paroisse ! La nièce du curé prenait des cours de piano avec ma sœur. Je n’avais que 4 ans, mais en les entendant jouer, j’ai immédiatement été attiré par cet instrument et par la musique. Pourtant, il n’y avait pas de tradition musicale dans la famille. À sept ans, j’ai demandé à mon père si je pouvais prendre moi aussi des cours de piano. Vers 11 ans, je tenais l’orgue dans la paroisse. Je me suis mis à chanter tout en jouant. Finalement, les messes, dans leur côté « théâtral », ont été ma première école.
J’étais déjà soucieux de placer ma voix pour ne pas être entendu que des trois premières rangées de fidèles ! Par la suite, au conservatoire de Salerne, j’ai aidé bénévolement les professeurs de chant en tenant le piano. C’est là qu’un professeur, m’ayant entendu chanter, m’a affirmé que ma vraie nature était dans le chant plus que dans le piano. J’avais 22 ans.
C’est à ce moment que vous vous êtes véritablement lancé dans le chant ?
Non, toujours pas ! Je suis allé à Rome, et j’y ai enseigné en tant que professeur de collège, je faisais du soutien pour des élèves handicapés. Mais pendant 4 ou 5 ans, j’ai pris des cours privés avec une dame retraitée qui avait été professeur de chant au conservatoire de Salerne. Je ne pensais toujours pas du tout devenir chanteur professionnel. Et puis un jour j’ai vu sur internet une annonce pour une académie de chant gratuite : c’était l’Accademia Rossiniana de Pesaro. J’ai été auditionné par Alberto Zedda (je ne savais même pas qui c’était à l’époque !), qui m’a accepté dans l’Académie. Je n’avais pourtant aucun autre bagage que mes quelques cours particuliers ! Après l’Académie, les choses ont commencé à s’accélérer : Je suis arrivé en finale au concours de chant de l’AsLiCo (un concours très important en Italie). Mais j’ai vraiment hésité avant de basculer dans le professionnalisme : j’avais 27 ans, et déjà mon métier d’enseignant…
Est-ce la période à laquelle vous êtes arrivé en France ?
Oui ! J’avais été accepté à l’École Normale de Musique, mais en fait j’ai tout de suite été pris à l’Atelier lyrique et l’Académie de l’Opéra de Paris.
Et c’est là que votre carrière a véritablement commencé ?
Oui, même si mon parcours atypique, qui a retardé mon entrée dans le métier, n’a pas facilité les choses : je n’ai pas pu, notamment, participer à des concours de chants, souvent réservés à des candidats plus jeunes que moi, et c’est dommage car c’est un excellent moyen de se faire connaître !
Viva la mamma !
Vous venez de participer à deux très beaux spectacles, dans lesquels vous avez rencontré un vif succès : Le convenienze ed inconvenienze teatrali ou Viva la mamma ! de Donizetti à Genève, et Il Capello di paglia di Firenze de Nino Rota au Minnesota Opera. Pouvez-nous parler de ces deux expériences ?
Elles ont été formidables toutes les deux. Dans Le Chapeau de paille de Florence, grâce à la mise en scène d’Andrea Cigni et aux décors et costumes de Lorenzo Cutùli, nous avions l’impression de nous trouver dans un film de Fellini ! C’est une œuvre absolument magique, et je ne comprends pas qu’elle soit si peu montée en France. Quant à Laurent Pelly qui a mis en scène Viva la Mamma !, outre les qualités professionnelles qui sont les siennes et que
chacun connaît, c’est aussi un homme d’une grande gentillesse, d’une grande sensibilité. Il est extrêmement respectueux des artistes. Il arrive aux répétitions incroyablement préparé ; il travaille avec toute l’équipe artistique avec rigueur et précision tout en étant à l’écoute, sans jamais s’énerver ! Il construit les personnages à partir de la personnalité des chanteurs, c’est ainsi que ma formation première de pianiste lui a permis de concevoir un Biscroma Strappaviscere [le personnage du chef] qui accompagne lui-même les chanteurs au piano. Notre entente artistique a été parfaite, et je n’ai qu’une hâte : pouvoir travailler de nouveau avec lui.
Vous qui parlez remarquablement français, aimeriez-vous chanter plus souvent dans cette langue ?
Oui bien sûr, il y a des rôles du répertoire français que j’aimerais beaucoup interpréter, à commencer par le Méphisto dans La Damnation par exemple. En français, j’ai déjà chanté le rôle d’Hidraot dans l’Armide de Lully au Festival de musique baroque d’Innsbruck.
Pietro di Bianco dans Armide de Lully
Et je vais très prochainement chanter Escamillo pour la première fois, dans une série de Carmen qui sera proposée dans les Marches par la fondation « Rete lirica delle Marche », dans différents théâtres inscrits dans ce circuit.
D’une manière générale, j’apprécie de chanter dans diverses langues et je ne dis pas non à des incursions à plus ou moins long terme dans le répertoire allemand, jusques et y compris Wagner.
Pour finir : des spectacles récents auxquels vous avez heureux de participer ? Des envies ? Des rêves ? Des projets ?
Dans les spectacles récents, il y a eu, entre autres, Beaupertuis dans Il Cappello di Paglia di Firenze, ce merveilleux opéra de Nino Rota trop peu souvent joué. C’était aux USA, au Minnesota Opera, en janvier/février derniers. Ou encore Noé, un spectacle dansé conçu sur la musique de la Messa di Gloria de Rossini. C’était au Zénith de Pau, en avril dernier.
Pietro di Bianco dans la Messa di Gloria de Rossini
J’ai aussi chanté Pistola dans Falstaff au Grange Festival de Northington, Et j’ai participé tout récemment à la redécouverte de La Dori de Cesti à Innsbruck Mes envies ? Chanter tous les grands Rossini pour lesquels il me semble que ma voix est faite : reprendre Le Turc en Italie, ou chanter Mustapha dans L’Italienne à Alger, par exemple. Et puis Les Noces de Figaro : aussi bien le Comte que Figaro, qui, selon moi, doivent avoir la même voix pour pouvoir exprimer au mieux l’espèce de défi, de challenge qu’il y a entre eux deux.
Quant aux projets, je ferai partie de la distribution de la reprise de Don Carlos à l’Opéra Bastille ; et donc il y aura aussi ces Escamillo dans les Marches en décembre 2019 / janvier 2020.
Interview réalisée par Stéphane Lelièvre – Août 2019