Crédit photo : © Adami 2017
Une Marzelline (Fidelio) à Tourcoing, une Pamina à Tours, un CD récemment paru (Une jeunesse à Paris, Harmonia Mundi) ont suffi à braquer les projecteurs sur Marie Perbost, qui vient tout juste de chanter dans le très beau Richard Coeur de Lion proposé par l’Opéra de Versailles. Rencontre avec l’une des jeunes chanteuses françaises les plus prometteuses du moment.
De quand datent vos débuts professionnels, Marie Perbost ?
Je suis issue d’un milieu de musiciens : mon père est spécialisé dans le répertoire baroque et ma mère est chanteuse. C’est donc assez naturellement que j’ai été amenée au chant ; j’ai fait la Maîtrise de Radio France : en fait, on est déjà quasi professionnel quand on est à la Maîtrise, même si bien sûr cela n’a pas grand-chose à voir avec le fait d’être chanteur soliste… Mais ma toute première saison date vraiment de l’an dernier. Il y a deux ans j’étais encore à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, ce qui reste quand même un contexte très cadré et protecteur.
Le magnifique Fidelio de Tourcoing en décembre 2018 avec Nicolas Kuger, c’était votre première vraie production ?
Oui ! Quelle expérience magnifique ! Et quel plateau : Véronique Gens (j’avais l’impression de chanter mieux chaque fois qu’elle intervenait !), et puis Alain Buet en Don Pizzaro, c’était trop amusant de le voir en méchant, lui qui est l’homme le plus gentil du monde !
Puis il y a eu Pamina à Tours, dans la mise en scène de Bérénice Collet…
J’ai adoré… D’autant que j’étais bien préparée puisque je venais de faire La Flûte dans le cadre de l’Académie du Festival de Salzbourg. L’allemand sied bien à me voix me semble-t-il, j’ai d’ailleurs un grand faible pour le lied que je pratique assidûment depuis mes tout débuts. Chanter en allemand ou en italien, c’est presque un plaisir physique pour moi. Chanter en français, c’est différent : ce que j’apprécie surtout, c’est le rapport immédiat au texte et les palettes de couleurs que cela m’ouvre instantanément, bien plus facilement et naturellement, bien sûr, que dans une langue étrangère. Le travail avec Hervé Niquet, sur cette production de Richard Cœur de Lion, est passionnant. Hervé Niquet est très exigeant : au-delà de ma voix, d’essence plutôt lyrique et assez « ronde » de couleur, il me faut absolument retrouver la spécificité du français et ce rapport aux mots particulier, cette intelligibilité du texte.
Marie Perbost dans Richard Coeur de Lion à Versailles. © Agathe Poupeney
Pour lui, ce travail participe donc autant du théâtre que de musique ?
Mais oui, il s’agit d’ailleurs d’un opéra-comique avec vraiment beaucoup de texte à dire ! L’aspect dramatique est primordial et nos talents de comédiens sont extrêmement sollicités. Mon collègue Rémy [Mathieu] qui joue le rôle principal, Blondel, est formidable pour cela : c’est impressionnant de le voir passer en un claquement de doigt du chant au texte avec autant de justesse !
Vous-même êtes très à l’aise sur les planches : vous avez bénéficié d’une formation de comédienne efficace dans votre parcours ?
Oui, la formation au Conservatoire est v raiment très complète. La seule chose qu’il est difficile au Conservatoire de mettre en place, c’est un module sur la réalité du métier et ses aspects pratiques, parce que tout change tellement vite…
En fait, on apprend beaucoup sur le terrain, spécialement lorsque le plateau est intergénérationnel : c’est très enrichissant de profiter des expériences, positives ou négatives, dont peuvent témoigner les collègues qui ont plus de métier.
Depuis vos débuts professionnels, encore tout récents, sentez-vous que votre voix évolue ?
Je passe progressivement d’un répertoire léger à un répertoire nettement plus lyrique. Il y a tout un panel de rôles qui semblent s’ouvrir à moi, et j’ai un peu l’impression que les astres s’alignent : je ne me sentais pas parfaitement à ma place dans un répertoire lyrique léger, par rapport à ma personnalité, mon caractère, mon physique. Dorénavant je me sens en phase avec ma voix et les rôles qu’on me propose. C’est très agréable. Même si les rôles qui s’offrent à moi sont impressionnants : Fiordiligi, Elvira, la Comtesse, Mimi,… Quand on songe à toutes les voix sublimes qui ont chanté ces rôles, évidemment, cela donne un peu le vertige !
Revenons à Richard Cœur de Lion que vous venez de chanter. Quel serait spontanément le qualificatif qui vous viendrait à l’esprit pour caractériser l’œuvre ?
La légèreté, certainement. La thématique politico-historique est sombre en réalité, mais la tonalité de l’œuvre, non. On reste dans la légèreté, et c’est aussi le parti pris par le metteur en scène Marshall Pynkoski et la chorégraphe Jeannette Lajeunesse Zingg, qui proposent un spectacle extrêmement plaisant et léger.
Vous vous intéressez d’ailleurs à la musique dite légère et à l’opérette, un répertoire négligé depuis de décennies …
J’aime beaucoup. Et indépendamment de l’intérêt que je peux porter à la musique elle-même, cela correspond sans doute aussi à un besoin plus profond, celui d’une légèreté, d’un bien-être dans une société bien morose… Il y a peu, par un pur hasard, j’ai été amenée à chanter dans le camp de Calais. Pour la première fois je me suis sentie utile dans le métier. J’ai compris que je pouvais apporter quelque chose aux autres et que mon métier n’était pas vain… Car je me pose parfois la question en tant que chanteuse : je ne soigne personne, je ne sauve pas de vie, je me dis que je pourrais utiliser mon temps de vie pour une belle cause ! Cela fait du bien de se sentir utile, et j’éprouve cette sensation lorsque je porte la musique dans des endroits où, habituellement, elle ne pénètre pas. Mon métier prend son sens lorsque je vois le bien-être que la musique peut apporter aux gens. Il ne m’est pas possible de ne chanter que pour des gens privilégiés. C’est peu comme si, en tant que médecin, je choisissais de ne soigner que les patients qui acceptent des dépassements d’honoraires les plus élevés ! Je tiens à ce que l’humain soit au centre de mon métier. C’est très noble de mettre la musique au service de belles causes, et j’admire beaucoup pour cette raison le parcours de Barbara Hendricks.
Concernant le répertoire léger, l’opérette, l’opéra bouffe, vous seriez prête à tenter l’expérience sur scène?
Mais je vais le faire bientôt puisqu’on vient de me proposer le rôle du Prince Caprice dans Le Voyage dans la lune d’Offenbach ! Il s’agit de la tournée qu’organisera prochainement le Centre Français de Promotion Lyrique. Je suis ravie de participer à cette aventure, et de chanter cette partition vocalement très exigeante (l’air du Prince « Monde charmant que l’on ignore » est très beau mais particulièrement difficile !)
D’autres projets, dans l’immédiat ?
Ce seront essentiellement des concerts, ce qui me va très bien : j’aime autant le concert que l’opéra, et ne peux me passer ni de l’un ni de l’autre. Le stress est sans doute supérieur au concert, en tout cas pour moi. Mais j’adore ce moment d’épure où seule la musique est mise en lumière. Je vais participer à un concert Beethoven à Tours avec Benjamin Pionnier, et j’y chanterai l’air de concert : Primo amore. Je chanterai également dans la Messe en ut, toujours de Beethoven, à Massy, le dimanche 2 février.
Pour retrouver Marie Perbost au disque…
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Le rôle que, même dans vos rêves les plus fous, vous adoreriez chanter ?
Plutôt un rôle que j’aimerais faire de nouveau : c’est Blanche. J’adore ce personnage…
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le métier ?
Sa variété extraordinaire : celle du répertoire qu’on chante, celle des collègues avec lesquels on travaille, celle des lieux différents qu’on traverse,…
Ce qui vous plaît le moins ?
La pression qu’on se met parfois soi-même pour être à la hauteur des enjeux et la vulnérabilité qui peut s’ensuivre.
Qu’auriez-vous pu faire si vous n’aviez pas chanté ?
De la radio. Comme le chant, c’est une façon de toucher l’autre, par la voix, les mots.
Une activité favorite quand vous ne chantez pas ?
Le bricolage ! Il faut dire que je viens d’acheter un appartement…
Un livre ou un film que vous appréciez particulièrement.
En ce moment, c’est Bernard Werber, L’Arbre des possibles. Idéal pour bouquiner pendant les répétitions !
Une cause que vous défendez ?
Je suis évidemment sensible au statut des femmes dans le métier. On en parle beaucoup en ce moment…. Mais en même temps, je crois que ce qui me tient le plus à cœur, ce serait vraiment de retrouver un équilibre serein dans la relation hommes/femmes : que les gens ne soient pas toujours sous tension, n’aient pas à se surveiller en permanence, qu’un chef, par exemple, puisse déjeuner avec la soprano sans que cela fasse jaser ou que chacun aille imaginer quoi que ce soit…