Si Émilie Brouchon n’a pas toujours été photographe pour l’Opéra de Paris, elle arpente les scènes des théâtres depuis déjà plusieurs années, en tant que comédienne, assistante à la mise en scène ou traductrice de plateau. La photographie de scène est un peu arrivée par hasard dans son parcours personnel : souhaitant être créatrice lumières, elle a choisi de suivre une formation proposée par la Scala de Milan
(un master en photographie de scène proposé par l’Accademia Teatro alla Scala), et s’est ainsi retrouvée à pratiquer la photographie dans une perspective professionnelle alors qu’il ne s’agissait jusqu’alors pour elle que d’un agréable passe-temps. Émilie juge excellente la formation dispensée par l’Accademia : elle lui a permis de faire ses armes et notamment d’essaimer les scènes italiennes pour travailler les prises de vue dans différentes conditions.
De retour en France, c’est l’Opéra de Paris qui l’a directement sollicitée !
L’univers d’ Émilie Brouchon, c’est la scène. S’il lui arrive de faire des books pour des acteurs, rien ne remplace selon elle l’urgence de la représentation, le cliché à ne pas rater, le fait de n’avoir droit qu’à un seul essai. Ses photographies sont toutes prises dans la grande salle. L’Opéra de Paris dispose de ses propres photographes, qui officient dans tous les locaux et couvrent donc également la partie technique du travail. Mais les photographes présents sur le plateau complètent le travail des collègues de la maison en apportant un regard extérieur, différent. Ils sont choisis pour leur « patte », leur style, la spécificité du regard qu’il porte sur les artistes et les spectacles.
Quand on demande à Émilie s’il y a une grande différence entre la photographie de spectacles de danse et la photographie d’opéra, elle répond immédiatement dans un grand sourire : « Oh oui ! La rapidité ! Il faut saisir l’instant, c’est extrêmement difficile et cela comporte toujours une part de chance. Pour être sûre d’avoir le bon mouvement, le plus simple est encore de « doubler » la photo… Rien à voir, en tout cas, avec le fait de photographier une mise en scène d’opéra… surtout quand elle est réalisée par un Bob Wilson, par exemple ! Même si un opéra mis en scène par Bob Wilson, c’est finalement presque de la danse… »
La danse classique, en tout cas, est sans doute encore plus difficile à photographier que les ballets modernes : il n’est pas concevable de publier une photo dans laquelle une position n’est pas absolument parfaite. Heureusement, Émilie Brouchon a derrière elle 14 années de danse classique ! Cela aide, bien sûr, à apprécier et saisir la pose, le mouvement, le geste parfaits…
Quelles sont les spécificités, les caractéristiques des photos d’Émilie Brouchon ?
« J’essaie de transmettre un équivalent visuel de l’émotion générée par la musique. Aussi, j’écoute toujours les opéras que je dois photographier, je les connais par cœur avant de venir faire les photos ; et je me renseigne également sur l’univers visuel du metteur en scène. C’est donc un assez long travail en amont… Mais en fait mon métier, c’est donc aussi, en grande partie, me cultiver, c’est extraordinaire ! Lorsque je fais des photographies en fosse d’orchestre, la connaissance de l’œuvre est également indispensable : il faut absolument que je sache à quel moment je ne dois plus photographier pour ne pas déranger tel musicien, le chef d’orchestre dans tel ou tel passage… S’il n’y a plus qu’une note tenue, si seules les trois contrebasses sont en train de jouer, je ne déclenche pas mon appareil, même si j’ai tout ce qu’il faut pour atténuer le bruit. C’est la musique d’abord. Et les musiciens nous en sont reconnaissants ! ».
Ajoutons à cela une grande habileté à composer ses photographies comme des tableaux, en sur le parallélisme ou le croisement des lignes et des plans, comme dans le portrait d’Anita Rachvelishvili en Carmen ; ou en révélant la dimension quasi cubiste du décor de Michael Levine pour La Flûte enchantée de Carsen.
Une grande habileté, également, à capter la lumière et les couleurs avec une finesse de peintre : voyez la silhouette blanche de Charlotte se détachant sur un jour blafard dans une scène d’intérieur à la Vermeer, l’éclairage à la bougie de la scène finale de Werther, digne d’un Georges de la Tour, ou encore le très beau portrait de Roberto Tagliavini en Escamillo : le cliché semble avoir été pris à l’instant précis ou la moitié du visage et du torse du chanteur disparaît dans la pénombre, rehaussant ainsi l’éclat des habits de lumière du torero tout en plongeant le personnage dans un clair-obscur mystérieux et poétique…
Enfin, Émilie Brouchon excelle également à saisir l’expression parfois fugitive mais très forte d’un personnage : Carmen, tête inclinée en arrière, fascine et inquiète, à la fois offerte et distante, comme saisie dans un moment de calme mais lourd de menaces…
Aucun doute : porté à ce degré d’excellence, la photographie d’opéra est infiniment précieuse en ceci qu’elle pérennise, prolonge, approfondit l’émotion esthétique vécue lors de la représentation. Elle participe ainsi, en quelque sorte, de la fusion des arts propre au genre lyrique !
Reportage réalisé par Stéphane Lelièvre
Légendes :
(avec l’aimable autorisation de l’Opéra national de Paris)
La Traviata, Giuseppe Verdi (1, 6)
Bastille, février 2018
Mise en scène de Benoît Jacquot
Violetta : Marina Rebeka
La Cenerentola, Gioacchino Rossini (2)
Garnier, novembre 2018
Mise en scène de Guillaume Gallienne
Un Bal masqué, Giuseppe Verdi (3)
Bastille, janvier 2018
Mise en scène de Gilbert Deflo
Ulrica : Varduhi Abrahamyan
Le Lac des cygnes, P. I. Tchaikovski (4, 5)
Bastille, février 2019
Chorégraphie de Rudolf Noureev, d’après Marius Petipa et Lev Ivanov
Odette/Odile : Léonore Baulac, Étoile de l’Opéra
Rothbart : François Alu, Premier danseur de l’Opéra
La Flûte enchantée, W. A. Mozart (7)
Bastille, janvier 2017
Mise en scène de Robert Carsen
Tamino : Stanislas de Barbeyrac
Werther, Jules Massenet (8, 9)
Bastille, janvier 2016
Mise en scène de Benoît Jacquot
Charlotte : Elina Garanca
Werther : Piotr Beczala
Carmen, Georges Bizet (10, 11)
Bastille, avril 2019
Mise en scène de Calixto Bieito
Carmen : Anita Rachvelishvili
Don José : Jean-François Borras
Escamillo : Roberto Tagliavini