AUDE EXTREMO ET STANISLAS DE BARBEYRAC : 5 questions à Carmen et Don José !
Au lendemain de la première représentation de Carmen à l’auditorium de Bordeaux (voyez ici notre compte rendu), nous avons échangé avec Aude Extrémo et Stanislas de Barbeyrac, les interprètes de Carmen et José, afin de recueillir leurs impressions sur ce spectacle très particulier (le premier donné à Bordeaux depuis la fermeture de l’Opéra en raison de la pandémie), d’en savoir plus sur leur conception de ces deux rôles, et de faire le point sur leurs projets et envies…
Stéphane LELIEVRE : Vous êtes tous les deux liés à la ville de Bordeaux et à son Opéra, dans lequel vous vous produisez régulièrement. Le fait de chanter dans cette ville représente-t-il quelque chose de particulier pour vous ?
Stanislas DE BARBEYRAC : J’ai effectivement fait mes études au Conservatoire de Bordeaux, j’y suis d’ailleurs entré avec Aude et nous en sommes sortis en même temps ! Nous avons par la suite intégré l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, et ce qui est amusant, c’est que nous avons déjà chanté ensemble Carmen dans une petite troupe que nous avions appelée l’Opéra Bastide : c’était la version courte de l’opéra imaginée par Peter Brook et intitulée La Tragédie de Carmen. C’est donc à la fois sympathique et émouvant de nous retrouver aujourd’hui tous les deux dans cette production !
© Ledroit Perrin
Aude EXTREMO : J’ai effectivement chanté assez souvent à Bordeaux ces dernières années, des rôles aussi variés que Nicklausse, Fricka, La Périchole, Dalila,… Cela tient notamment à la complicité et à la bonne entente dans le travail qui me lient à Marc Minkowski. Quant à cette Tragédie de Carmen, nous étions vraiment très jeunes ! Effectivement, nous avions fondé une petite compagnie, qui nous permettait tout simplement de nous produire sur scène, devant un public. Nous l’avions pensée comme un outil de formation. Cette pratique de la scène, c’est en effet une chose qui m’a manqué pendant mes premières années d’étude : au Conservatoire, on ne pouvait pas aller sur scène avant d’avoir intégré le 3e cycle…
S. L. : Carmen et Don José sont des rôles qui ont évidemment été marqués par d’immenses chanteurs, aux personnalités d’ailleurs parfois très différentes : Vanzo, Gedda, Vickers, Domingo, Kaufmann pour José ; de los Angeles, Berganza, Troyanos, Bumbry, Crespin, pour Carmen… Ces références sont-elles écrasantes ? Stimulantes ?
S. de B. : J’écoute beaucoup les chanteurs du passé mais aussi ceux d’aujourd’hui, et je suis attentif aussi bien à leurs qualités et points forts qu’à leurs éventuels défauts ou aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer ici ou là : les deux sont très intéressants pour travailler soi-même et progresser. Ceci dit, par la suite, lorsque je chante le rôle, je me concentre sur ma propre voix et mes propres moyens : il s’agit pour moi de trouver ma pâte vocale et de la travailler en fonction de mes possibilités. C’est le meilleur moyen pour ne pas être tétanisé par les références trop prestigieuses !
A. E. : Je répondrais un peu de la même façon : j’ai bien sûr écouté de nombreuses références, il faut savoir comment l’œuvre s’est jouée et se joue ! D’autant qu’il y a une grande diversité dans ces interprétations, et cette diversité est rassurante dans la mesure où elle donne un sentiment de grande liberté. En revanche, je n’essaie pas du tout de ressembler à qui que ce soit : je rêve le personnage, je travaille le rôle, mais j’essaie de m’affranchir de ces références quand je dois aller sur scène.
S. L. : Stanislas, vous vous êtes montré très convaincant dans le rôle de José, vocalement mais aussi scéniquement… Il s’agit pourtant d’une (quasi) prise de rôle, n’est-ce pas ?
S. de B. : C’est exact – si l’on excepte l’expérience de La Tragédie de Carmen ! Et cela n’a pas été de tout repos car les conditions dans lesquelles nous devions faire le spectacle ont beaucoup changé au fil du temps, en raison de la crise sanitaire : cela devait être à l’origine une production scénique à l’Opéra, puis une version de concert à l’auditorium, puis finalement une version mise en espace… Nous avons eu au total assez peu de répétitions, mais la joie est grande évidemment de pouvoir de nouveau chanter face au public !
© Y. Priou
S.L. : Pour vous, Aude, Carmen est un personnage que vous connaissez déjà bien…
A. E. : Je l’ai abordé à Lille en juillet 2019 en version de concert, et je l’ai chanté cette saison à Monte-Carlo en version scénique. Musicalement, il présente des univers à explorer extrêmement divers, et qui changent notamment en fonction de la vision du chef, c’est passionnant, et cela semble quasi infini ! Prenez le seul exemple de la Habanera: on peut l’aborder piano, la rendre plus dramatique… Cette fois-ci, avec Marc, le tempo en est assez rapide et je l’aborde comme une simple chanson, c’est très séduisant !
S.L. : Quels sont vos projets, ou plus généralement vos envies pour les années à venir ?
S. de B. : Après José, et en fonction de l’évolution de ma voix, je pourrais continuer à explorer certains emplois plus lyriques et notamment le répertoire français, avec par exemple, à plus ou moins longue échéance, des rôles comme Werther, et surtout Samson qui me tente beaucoup ! Mais je ne renonce pas pour autant à Mozart : il va y avoir Titus le mois prochain au Palais Garnier, mais aussi Ottavio à la Staatsoper de Vienne… et un Idoménée est aussi en projet… mais c’est encore (presque) top secret !
A. E. : Pour ma part, j’aimerais avoir la possibilité de refaire de nombreuses fois mes grands rôles (Carmen, Dalila, Fricka, la Princesse de Bouillon, Amneris), afin de les peaufiner, de les approfondir… Après Amneris, j’aurais également plaisir à aborder d’autres mezzos verdiens. Et j’aimerais beaucoup faire plus de concerts : des lieder, des mélodies, des symphonies de Mahler,… C’est un répertoire qui me passionne !