Élisabeth de Valois (© Michèle Clavel)
C’est à l’issue d’une série de représentations triomphales du Don Carlo de Verdi à l’Opéra de Marseille, où elle faisait ses débuts en Élisabeth de Valois, que l’artiste vénétienne CHIARA ISOTTON a accepté – pour la première fois sur un support écrit français – de converser avec Première Loge. Elle revient, en particulier, sur les moments importants d’une carrière qui se présente désormais sous les meilleurs auspices.
Lisez ici la biographie de Chiara Isotton.
Hervé CASINI : Le public français vient, il y a quelques jours[1], de vous découvrir à l’Opéra de Marseille pour cette prise de rôle en Élisabeth de Valois. Même si vous êtes une jeune artiste, vous êtes pourtant loin d’être une débutante dans le métier ! La Scala, La Fenice, les salles du Japon comptent, en particulier, parmi les lieux où vous vous produisez régulièrement. On peut dire que de bonnes fées se sont penchées sur votre berceau ! Comment en êtes-vous arrivée jusqu’aux portes du théâtre probablement le plus mythique de la galaxie de l’art lyrique et quelles sont les personnalités artistiques qui à ce jour ont le plus influencé votre parcours ?
Chiara ISOTTON : Issue d’une famille dans laquelle la musique constituait le pain quotidien, j’ai commencé mon parcours musical dans un chœur de voix d’enfants puis à l’école de musique «Antonio Miari» de Belluno, ma ville natale, avant d’intégrer le conservatoire de Venise. Dès cette époque, j’ai obtenu mes premiers emplois puis les choses ont commencé à devenir plus sérieuses avec mon prix à Spoleto et, surtout, après avoir fréquenté l’Académie du théâtre de la Scala : c’est là où les choses se sont enchainées positivement pour moi car ce théâtre a cru en moi jusqu’à me proposer, en 2015, le rôle de la grande prêtresse d’Aïda sous la direction de Zubin Mehta.
Effectivement, parmi celles que vous avez déjà citées, une personnalité telle que Renato Bruson, avec lequel je continue à être en contact, a beaucoup compté dans ma trajectoire. Sa rigueur professionnelle, son immense culture musicale (il connaît tellement d’ouvrages et parmi les plus rarissimes !) mais aussi sa grande simplicité m’ont tout de suite convenu ! C’est vers son jugement sûr que je me tourne encore pour savoir si un rôle peut me correspondre ou s’il vaut mieux le laisser de côté pour le moment. Raina Kabaivanska a également énormément compté dans ma formation : c’est avec elle, qui fut l’une des plus grandes Tosca du XXe siècle, que j’ai, notamment, préparé ce rôle et ses conseils ont été pour moi absolument essentiels !
© Michele Monasta
J’apprécie également le travail en lien direct avec les chefs d’orchestre lorsqu’ils sont également de véritables connaisseurs des voix… ce qui n’est pas si fréquent hélas ! Je viens de récemment faire une série de Tosca à Palerme avec Valerio Galli, l’une des personnalités les plus étonnantes du monde actuel de la direction d’orchestre. Avec lui, on peut parler des heures de la manière d’aborder une phrase ! Je dois dire d’ailleurs que le travail sur Don Carlo avec Paolo Arrivabeni, lui aussi un authentique maestro concertatore e di canto, m’a également permis de créer une véritable complicité, tant ce chef sait mettre ses interprètes en confiance : il assistait à toutes les répétitions pour être le plus proche possible de la distribution et ça aussi c’est très important pour nous !
H. C. : Comment qualifieriez-vous l’évolution de votre voix ? Vous avez à votre répertoire Mimi tout comme Tosca et, désormais, Élisabeth de Valois : votre tessiture vous prédispose aux grands rôles de soprano lyrique avec néanmoins des incursions vers des emplois plus dramatiques…
C. I. : Je crois que le choix du répertoire dépend avant tout du développement naturel de l’instrument vocal au cours des années. En ce qui me concerne, je pense que l’évolution naturelle de ma voix ira de plus en plus vers un répertoire dramatique, mais je veux avancer là très prudemment.
Je reste par contre persuadée qu’une approche respectueuse à l’égard de la partition – en tenant compte de toutes les indications données par le compositeur – reste la chose la plus saine pour la voix d’un chanteur et c’est dans cette optique que je cherche à étudier toutes les choses nouvelles et à réétudier celles déjà faites !
Je demeure également certaine que même le répertoire dit « vériste » tout comme celui davantage «lirico-spinto» doit être abordé comme si, techniquement, il s’agissait de « belcanto » (pas du point de vue du style, évidemment, mais de l’approche de la technique vocale) : c’est, selon moi, l’unique manière de maintenir saine une voix !
H. C. : Vous avez eu l’occasion de dire combien l’écoute sur scène des Contes d’Hoffmann avait constitué pour vous un « coup de foudre » musical. Est-ce à dire que vous aimeriez chanter dans notre langue ?
C. I. : Vous avez raison ! C’est lorsque j’étais au collège que j’ai eu l’occasion d’entendre les vainqueurs du concours Toti dal Monte dans une représentation des Contes d’Hoffmann au théâtre de Trévise qui a totalement décidé de mon désir de faire de l’opéra ! Je ne parle pas à ce jour suffisamment bien votre langue pour prétendre la chanter dans les prochains mois mais je nourris le secret espoir de pouvoir, le moment venu, chanter Thaïs et, pourquoi pas, justement, Antonia dans Les Contes d’Hoffmann !?
H. C. : Le constat est de plus en plus évident de l’impérieuse nécessité de renouveler l’auditoire des théâtres lyriques et, en particulier, de faire en sorte que l’Opéra se tourne davantage vers le jeune public. Quelle est votre point de vue sur cette question ?
C. I. : Je dois tout d’abord vous confier avoir été très agréablement surprise, lors des représentations de Don Carlo à Marseille, par la présence de jeunes générations et de scolaires parmi le public… et ceci pas seulement lors de représentations dédiées ! Croyez-moi, c’est loin d’être le cas en Italie !
Pour ma part, je pense que pour attirer davantage les jeunes générations dans les théâtres lyriques, il faudrait favoriser l’accès à des répétitions ouvertes dès le début du travail de l’équipe et non pas seulement le soir de la Générale… Cela permettrait de mieux appréhender la manière de travailler d’un chanteur avec le chef ou le metteur en scène et je veux croire que cela pourrait créer des vocations !
H. C. : Revenons sur votre prise de rôle en Élisabeth de Valois. Pour avoir écouté les commentaires du public à la sortie du théâtre, nombreuses étaient les personnes sensibles à l’émotion qui s’est dégagée de votre interprétation. Un artiste peut-il se laisser emporter par l’émotion du personnage qu’il incarne ?
C. I. : Quand j’ai obtenu ce rôle, je ne pouvais y croire tant, pour moi, Don Carlo est l’un des plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’Opéra ! Pour rentrer dans ce personnage, j’ai bien évidemment beaucoup lu, depuis la tragédie de Schiller jusqu’à l’environnement du romantisme allemand.
En ce qui concerne le personnage d’Elisabetta, tel que voulu par Verdi, toutes les indications écrites dans la partition sont là pour faire émaner sa psychologie. Le travail avec le metteur en scène et le chef ont été, bien évidemment, essentiels : j’ai déjà évoqué la complicité que j’ai eue, dès le début, avec ce grand chef qu’est Paolo Arrivabeni mais j’ai été également mise à l’aise par Charles Roubaud qui, lui aussi, connait les voix et qui a toujours su me laisser ma part d’autonomie, tout en me conseillant, par exemple, pour l’acte du tombeau, au moment de mon air « Tu, che le vanità », d’éviter d’arpenter l’espace scénique de long en large et de me concentrer totalement sur la psychologie d’une femme dont la vie sentimentale est sur le point de se terminer et qui, à ce moment précis, entre, elle aussi, définitivement dans la tombe.
Quant à l’émotion qui afflue en moi au moment d’attaquer un air, je crois que je ne cherche pas à la limiter : là encore, je pense aux propos du maestro Bruson quand il parle d’aborder un rôle avec le cœur sur la main…
H. C. : Dans votre répertoire, vous ne laissez pas de côté la musique sacrée mais aussi les parties vocales des symphonies de Mahler, par exemple…
C. I. : C’est une partie de mon répertoire à laquelle je tiens effectivement beaucoup. Outre le Requiem de Verdi, j’ai souvent eu l’occasion d’interpréter la partie de soprano dans la magnifique IVe symphonie de Mahler, en particulier sous la direction de Fabio Luisi, avec l’orchestre du Conservatoire à Milan puis au Carlo Felice de Gênes.
H. C. : Quand les passionnés d’opéra auront-ils le bonheur de vous applaudir de nouveau en France?
C. I. : Je dois préciser tout d’abord que j’ai adoré chanter à l’Opéra de Marseille où j’ai rencontré un véritable esprit de famille : je reviendrai y chanter avec un immense bonheur, oui ! Pour l’instant, le prochain contrat en France concerne Toulouse, la saison prochaine, pour Marguerite de Mefistofele dans la production de Jean-Louis Grinda.
H. C. : Quels sont les rôles que vous aimeriez aborder ?
C. I. : Beaucoup de rôles (rires) ! Je suis déjà très fière d’annoncer que je chanterai à nouveau à la Scala, fin 2023, le rôle de Fiora dans l’opéra rarement donné d’Italo Montemezzi L’amore dei tre re. Un ouvrage magnifique créé en plus dans ce même théâtre ! Bien évidemment, j’espère que dans les années à venir, je pourrai mettre à mon répertoire des rôles qui me tiennent particulièrement à cœur tels que la Leonora de La forza del destino, Adriana Lecouvreur, Maddalena dans Andrea Chenier…
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[1] L’entretien a été réalisé via zoom le 15 juin dernier.
Questions Quizzz…
- Quelle est la chose que vous aimez le plus dans votre profession ?
Rencontrer des personnes et des lieux nouveaux. C’est une source d’enrichissement sans égal. - Et celle qui vous plaît le moins ?
La solitude. - Qu’auriez-vous pu faire si vous n’aviez pas chanté ?
Historienne. J’aurais poursuivi mon parcours d’études et à ce jour, probablement, j’enseignerais. - Une activité favorite quand vous ne chantez pas ?
Faire du trekking en montagne ! - Un livre, un film, une œuvre d’art que vous aimez plus particulièrement ?
Orgueil et Préjugés, Le Seigneur des anneaux, Le Printemps de Botticelli (et, plus généralement, la peinture de la Renaissance italienne) - Y a-t-il une cause qui vous tient particulièrement à cœur ?
La formation culturelle des nouvelles générations.
Propos recueillis et traduits de l’italien par Hervé Casini