Une rencontre avec le ténor CARL GHAZAROSSIAN
Double actualité pour Carl Ghazarossian, actuellement à l’affiche dans Lakmé à Nice, et dont le CD consacré à Francis Poulenc (Le Coeur en forme de fraise) vient tout juste de sortir. Rôles comiques (mais pas que), amour de la comédie, de la mélodie, du récital : le ténor nous dit tout de son métier, de son actualité et de ses projets.
Stéphane LELIEVRE : Vous êtes actuellement à Nice où vous préparez Lakmé (dont la première est imminente : le 29 septembre prochain). Le répertoire français tient une place très importante dans votre carrière, même si vous chantez également en italien, en allemand ou en russe … Est-ce parce qu’il correspond particulièrement bien à votre vocalité ?
Carl GHAZAROSSIAN : Effectivement, je répète actuellement Lakmé : l’œuvre sera donnée à l’Opéra de Nice avec entre autres Kathryn Lewek et Thomas Bettinger. L’importance du répertoire français dans ma carrière s’explique sans doute, certes, par les caractéristiques de ma voix, mais aussi par un goût personnel. J’ai commencé en fait avec l’opérette, et notamment Offenbach : j’ai interprété à mes débuts le rôle d’Achille dans La Belle Hélène. J’ai par la suite chanté pas mal d’opérettes et d’opéras-comiques. Et c’est grâce à Jean-Claude Malgoire que j’ai, un peu plus tard, abordé le répertoire baroque avec Idamante dans l’Idoménée de Campra ; j’ai également chanté dans l’Idomeneo de Mozart, plusieurs œuvres de Händel, l’Orfeo de Monteverdi – des rôles secondaires dans un premier temps, avec René Jabobs au festival d’Aix, avant d’aborder le rôle-titre à Hanovre.
S. L. : Vous venez d’évoquer l’opéra-comique : votre voix semble en effet bien adaptée à ce répertoire.
C. G. : J’ai chanté entre autres Les Femmes vengées et Ernelinde, princesse de Norvège de Philidor,… C’est un répertoire avec lequel je serais effectivement heureux de renouer.
S.L. : On loue souvent la clarté de votre diction. Est-ce une qualité que vous possédez naturellement, ou l’avez acquise à force de travail ?
C. G. : La clarté de la diction est pour moi primordiale, partout et tout le temps (pas seulement dans le répertoire français d’ailleurs), mais plus encore, me semble-t-il, dans deux domaines : la mélodie, et l’opérette. Le plaisir que l’on éprouve à l’écoute de ce type d’œuvres provient selon moi autant de la musique que de la compréhension du texte. Les mélodies prennent en effet presque toujours appui sur de superbes poèmes dont il serait dramatique de ne pas saisir le sens, et quant aux œuvres dites légères, leur humour naît le plus souvent de l’association du texte et de la musique, ou du décalage entre ces deux formes de discours : si l’on perd le sens des mots, on perd une grande partie de la puissance comique de la page interprétée !
Concernant le travail sur la diction, la difficulté pour le chanteur réside dans le fait que les efforts effectués pour être parfaitement compréhensible peuvent nuire à l’aisance vocale, à la fluidité de la ligne, au legato… Souvent, mon professeur de chant me dit que, dans la mesure où l’on me comprend bien, je peux et je dois arrondir davantage le son, chanter plus sur le souffle, « ouvrir » plus,… Bref, il s’agit un peu d’une lutte interne, et je m’efforce quoi qu’il en soit de trouver l’équilibre entre intelligibilité du texte et aisance vocale. La voix doit pouvoir se développer tout en permettant à la prononciation de rester limpide.
https://www.youtube.com/watch?v=l_v0gNOOWOc
« À sa guitare », mélodie de Poulenc sur un poème de Ronsard
Emmanuel Olivier – © D.R.
S. L. : Dans votre actualité, il y a la sortie d’un nouveau CD, entièrement consacré à Poulenc, Le Cœur en forme de fraise : comment vous est venue l’idée d’un récital Poulenc et comment avez-vous composé ce programme ?
C. G. : Avec Emmanuel Olivier, le pianiste qui m’accompagne, nous avions déjà proposé La Dame de Monte-Carlo et « Les Chemins de l’amour » dans notre précédent CD : J’aurais voulu être une chanteuse.
J’ai toujours beaucoup chanté Poulenc, que ce soit lors de mes études ou en concert ; j’ai même remporté en 2000 le prix Francis Poulenc au concours de mélodies françaises du Tryptique de Paris. C’est donc un compositeur qui m’a plus ou moins toujours accompagné. Nous avions Emmanuel et moi plusieurs idées de disques possibles, mais Poulenc s’est imposé tout naturellement : je voulais absolument enregistrer Tel jour telle nuit, ou encore les Chansons pour enfants.
Au-delà de Francis Poulenc, j’adore, d’une manière plus générale, l’univers de la mélodie. D’ailleurs, Emmanuel et moi allons récidiver en enregistrant le mois prochain un nouveau disque (toujours pour le label Hortus), qui s’intitulera « Qu’as-tu fait de ta jeunesse ? ». Il sera consacré à des mélodies composées sur des poèmes de Verlaine « deuxième période », donc à partir de sa rencontre avec Rimbaud. Les compositeurs choisis sont – autour des incontournables Fauré, Debussy et Hahn – Canteloube, Bordes, Lazzari, Szulc, Mawet, Doyen, Séverac…
S. L. : Vous allez cette saison être très présent à l’opéra, mais proposerez également un récital en juin prochain à Toulouse. C’est important pour vous de ne négliger aucun de ces deux aspects du métier ?
C. G. : Ah… Les récitals, pour moi, ça n’est jamais assez ! Mais chez nous, il n’y a pas – ou plus – cette tradition du récital, du « tour de chant », qui reste très vivante, a contrario, de l’autre côté de la Manche. Je suis ravi en tout cas de l’occasion qui m’est donnée de proposer un récital à Toulouse (le programme précis n’est pas encore arrêté…) à l’occasion des représentations d’Eugène Onéguine, où je chanterai Monsieur Triquet.
S. L. : Un rôle qui doit vous aller comme un gant j’imagine, avec ce mélange d’humour, de tendresse, de nostalgie…
C. G. : Le rôle n’est pas si facile : en effet, il est très court mais très exposé… et par ailleurs il ne donne pas vraiment l’occasion de chanter ni même de répéter avec les autres ! Mais musicalement c’est très gratifiant, j’essaie, en tout cas, d’interpréter les couplets de Monsieur Triquet comme si je chantais du Mozart. Et puis, faire partie d’une production d’Eugène Onéguine, c’est bien sûr on ne peut plus excitant !
Ô mon bel inconnu, mise en scène – © Marie Pétry
S. L. : Vous êtes très sollicité pour certains emplois comiques : Don Curzio dans Les Noces de Figaro, Prosper dans La Vie parisienne, Lallumette dans Ô mon bel inconnu… Vous aimez faire rire sur scène ?
C. G. : Ce qui est certain, c’est que j’adore jouer la comédie ! Les metteurs en scène peuvent tout me demander, même si cela met en péril la ligne vocale. Dans l’Orfeo par exemple, je me rappelle que je devais courir en tous sens pendant le « Possente spirto » ! J’ai accepté : sur le plan dramatique, c’était très intéressant, cela rendait le moment encore plus « haletant ». Dans Ô mon bel inconnu, mon rôle est muet avant que je ne me lance dans un air délirant, sorte de pastiche belcantiste ! Le travail avec Émeline Bayart a été particulièrement riche et intéressant : elle voulait quelque chose d’assez subtil, qui ne soit pas surjoué – ce n’est pas forcément ce qu’on me demande habituellement, mais c’est précisément cela qui m’intéresse : me lancer dans de nouvelles expériences et ne jamais faire la même chose, répéter les mêmes recettes.
Ce que j’aime aussi tout particulièrement, c’est chanter avec les autres. C’est pour cela que j’apprécie des œuvres telles Les Noces de Figaro, Falstaff, ou encore La Vie parisienne, qui permettent un vrai travail d’équipe !
S. L. : Un mot pour finir sur un rôle ou des musiques que vous souhaiteriez aborder prochainement ?…
C. G. : J’adorerais chanter le rôle-titre de Platée… Et le Mari dans Les Mamelles de Tirésias. Et, bien sûr… plus de récitals !
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L’actualité de Carl Ghazarossian :
- CD Le Cœur en forme de fraise : voyez ici notre compte rendu.
- Lakmé, Opéra de Nice, 29 septembre-03 octobre 2023
- La Vie parisienne, Opéra Royal de Wallonie-Liège, 09 novembre 2023-04 janvier 2024
- Ô mon bel inconnu, Opéra de Dijon, 1er décembre 2023-10 mars 2024
- La traviata, Opéra de Marseille, 06-15 février 2024
- Le nozze di Figaro, Opéra de Marseille, 24 avril-03 mai 2024
- Eugène Onéguine, Capitole de Toulouse, 20 juin-02 juillet 2024
- Récital, Capitole de Toulouse, 27 juin 2024