KAËLIG BOCHÉ : piano… ma sano !

Son palmarès impressionne : Premier Prix du CNSM de Paris, Révélation Classique Adami, lauréat de la Fondation Orsay-Royaumont, de la Fondation l’Or du Rhin et de la Fondation des Treilles, membre de la promotion 2023 Génération Opéra, récipiendaire des Bourses d’excellence de l’Opera Comique, … Pourtant, ce qui frappe lorsqu’on fait la connaissance de Kaëlig Boché, c’est tout à la fois sa réelle modestie et une volonté ferme de ne pas brûler les étapes, mais aussi de se tenir à l’écart du star sysytem
Rencontre avec un ténor qui n’accepte pour l’heure que des seconds rôles… en attendant ceux de tout premier plan auxquels il devrait vite se confronter !

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Stéphane LELIÈVRE : Vous chantez depuis tout petit (vous avez fait partie notamment du Chœur d’Enfants de Bretagne) : cela correspond à un goût personnel ? Une tradition familiale ?
Kaëlig BOCHÉ :
Effectivement j’ai chanté, enfant, dans le Chœur d’Enfants de Bretagne, un ensemble attaché à la Cathédrale de Rennes. J’ai demandé à mes parents d’intégrer ce chœur après l’avoir entendu à l’occasion d’un concert de Noël… et j’y suis resté dix ans ! C’était très intéressant. Rien à voir avec un cursus de conservatoire : tout enfant ayant envie de chanter pouvait intégrer le chœur sans sélection d’entrée, et ce qu’on nous proposait était très formateur : on avait deux répétitions par semaine, on participait régulièrement à des concerts et des liturgies, on faisait des tournées chaque été, y compris à l’étranger. En 2019, j’ai refondé l’association : les choses périclitaient quelque peu quand l’abbé Ruault, qui avait fondé le chœur, a pris sa retraite… et je voyais bien qu’il était peiné de constater que ce qu’il avait créé risquait de disparaître. Avec trois autres anciens, nous avons pris la décision de relancer les choses bénévolement !

S. L. : Quelle y est votre fonction exactement ? Comment trouvez-vous le temps de vous consacrer à ce beau projet en plus des activités requises par votre carrière ?
K. B. : J’organise les projets, le déroulement de l’année, les concerts, les tournées et les partenariats… Nous venons d’ailleurs de réaliser un tout réjouissant projet d’enregistrement discographique : Kanom Nouel / Chantons Noël !
Le fait que je sois chanteur professionnel est un vrai plus : cela permet de créer des passerelles entre le chœur et, précisément, le milieu professionnel.

S. L. : La transmission, c’est important pour vous ?
K. B. : Très. Nous qui, étant jeunes, avons eu cette chance, au hasard de nos parcours, de découvrir la musique, nous nous devons d’offrir à notre tour cette possibilité aux jeunes générations. C’est une merveilleuse aventure artistique mais aussi humaine… 

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… et une alternative nécessaire aux parcours CHAM (classes à horaires aménagés) mais aussi aux conservatoires, qui peuvent effrayer certains enfants ou parents, parce qu’on y accole hélas parfois les adjectifs d’« élitiste » ou d’ « austère » en raison notamment du cursus sanctionné par des examens. Nous répondons à un autre besoin qui complète les dispositifs publics et nous touchons d’autres populations mélangées tout en accompagnant ceux qui souhaitent ensuite pousser plus loin des études musicales en conservatoire ou en soliste. En fait, ma relation au Chœur d’enfants de Bretagne est aussi liée à mon histoire personnelle : enfant, je n’ai pas été accepté lors des sélections dans le chœur du conservatoire, malgré ma très forte envie de chanter ! Je suis finalement convaincu que si l’envie est là, il faut laisser à tout enfant la possibilité de progresser et essayer. Tous ne se professionnaliseront pas évidemment, mais de notre expérience, je vois que tous progressent à une très grande vitesse quel que soit leur niveau de départ !

S.L. : Comment passe-t-on du chant choral, où l’on doit se fondre dans la masse, au chant soliste ?
K. B. :
Quand j’ai mué, je suis passé dans le chœur adulte, et l’organiste Cécile Colin-Paris qui travaillait avec notre chœur m’a conseillé, pour accompagner la mue, de prendre des cours particuliers. À 16 ans, j’ai donc intégré le conservatoire de Rennes. C’est vraiment là que j’ai découvert l’art lyrique, que je ne connaissais pas du tout : je ne connaissais pas l’opéra auparavant. J’ai découvert aussi… le trac ! À 18 ans, ma professeure m’a donc incité à passer des auditions en public ou devant des professionnels. J’en ai passé une pour intégrer le chœur Mélisme(s), mais sans rien espérer vraiment, si ce n’est un avis. Et j’ai été retenu ! J’ai commencé des études supérieures de gestion, mais le soir je travaillais avec ce chœur, je participais à des productions…

S.L. : Vous avez un timbre très clair, avec une émission naturelle, qui semble très aisée. Avez-vous trouvé facilement votre tessiture ? Avez-vous toujours su que vous étiez ténor ?
K. B. : Ce qui est certain, c’est que je n’étais pas baryton. Mais mes aigus restaient assez limités – sauf quand je passais en voix de tête, ce qui m’était plutôt facile. Ils se sont libérés progressivement, grâce au travail mené avec mes professeurs.
Concernant les personnes qui m’ont aidé à progresser, il y a d’une part certains collègues, dont la complicité, lors des spectacles auxquels je participe, est extrêmement précieuse et formatrice, mais aussi plusieurs professeurs. Je ne suis pas arrivé au CNSM dans les meilleures conditions vocales, pourtant, in fine, j’ai eu une magnifique expérience au conservatoire de Paris. J’y ai rencontré des professeurs incroyables : je pense notamment à Sabine Vatin, Elène Golgevit ou Anne Le Bozec qui non seulement ont été précieuses sur le strict plan de la formation, mais ont également montrées des qualités humaines rares et ont constituées pour moi un vrai soutien. De fait, mes professeurs au CNSM ont été formidables sur tous les plans : dans leur enseignement, mais aussi dans le fait de m’avoir véritablement accompagné dans mon parcours. Ils sont tous extrêmement investis, avec chacun de leurs élèves : Elène Golgevit ma professeur de chant mais aussi Charlotte Bonneu, Frédéric Rubay, Vincent Vittoz, Olivier Reboul, Susan Manoff,… Je leur suis très reconnaissant, ils m’ont tout réappris : à chanter, à avoir confiance, à faire confiance, à monter sur scène… Et ce sont toujours des personnes avec lesquelles je travaille. Quand je leur soumets une question, un problème, j’ai toute confiance en la réponse ou en les conseils qu’ils vont m’apporter.

https://www.youtube.com/watch?v=KJdQRmdONzY

Kaëlig Boché et Jeanne Vallée – Alexander Von Zemlinsky : « ORIENTALISCHES SONETT ». (Musée d’Orsay)

S. L. : Aujourd’hui votre voix semble idéalement adaptée au lied ou à la mélodie mais aussi à certains rôles français… Et puis, il y a eu tout récemment ce Choufleuri à Rennes, qui a permis des retrouvailles avec le Chœur Mélisme(s), dans un rôle… franco-italien ! Avec, dans le fameux trio, des phrases quasi belliniennes ! Une ouverture possible vers le répertoire de tenore di grazia, dans quelque temps ?
K. B. : J’aimerais bien ! Mais la progression d’une carrière dépend de tellement de choses : l’évolution naturelle de sa voix, nos choix personnels, mais aussi les propositions qu’on vous fait. Pour l’instant, vous avez raison, le répertoire français est celui qui semble le plus évident… Mais en réalité il y a tellement de choses qui m’intéressent… Je vais même aborder Wagner en mars prochain, avec évidemment des rôles dont l’écriture correspond à mes moyens actuels : le marin et le berger dans Tristan ! J’ai aussi beaucoup aimé chanter Zemlinsky (Der Traümgorge à Nancy et Dijon), Vincent d’Indy (Fervaal à Montpellier), Meyerbeer (Les Huguenots à Marseille), ou Mozart : j’ai interprété Tamino, mais aussi Gomatz (Zaïde), je vais bientôt aborder Pedrillo… et dans un futur plus ou moins lointain, je ne dirais pas non de nouveau à Tamino, ou encore Ottavio et Ferrando !

https://www.youtube.com/watch?v=ZYBgTIW5488

Die Zauberflöte : « Dies Bildnis ist bezaubernd schön » (piano : Juliette Journaux) – février 2021.

J’espère en tout cas pouvoir conserver cet éclectisme, sans me mettre ni étiquette, ni barrières… Même si c’est peut-être moins facile par la suite, car les directeurs de castings aiment parfois pouvoir s’appuyer sur nos supposées « spécialités ». Mais j’aime bien l’idée de pouvoir « essayer » des choses… tout en restant très prudent, c’est ma nature de toute façon : je ne fais pour l’instant que des seconds rôles, et c’est pour l’instant une vraie volonté, parce que je considère que je continue actuellement à apprendre mon métier, au contact des collègues et en participant à des productions diverses et variées. Je n’ai pas envie de vivre une expérience traumatisante sur un rôle que j’aurais accepté trop tôt, ce serait dans mon esprit « gâcher » certaines possibilités pour la suite ! Par ailleurs, je ne cours pas du tout après la renommée, et j’aime avant tout le travail d’équipe, pouvoir travailler ensemble sur scène…

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C’est pour cela que ma situation me convient parfaitement pour l’instant ! Par ailleurs, il y a une vraie « noblesse » des petits rôles, certains chanteurs s’y spécialisent et y excellent ; je ne pense pas qu’ils doivent être réservés aux jeunes en début de carrière.

S. L. : Ce plaisir que vous éprouvez sur scène, c’est aussi celui de jouer la comédie, non ? Cela paraissait évident dans Monsieur Choufleuri !
K. B. :
Mais oui ! J’ai découvert ce plaisir avec la tournée du Voyage dans la Lune mis en scène par Olivier Fredj. C’était génial ! Un vrai travail de troupe, avec, pour moi, un réel apprentissage de la comédie au contact des collègues. Je me suis régalé, d’autant qu’outre le Princequipassparlà, je faisais également plusieurs personnages muets…

S. L. : Offenbach, d’ailleurs, correspondrait bien à votre voix et à votre personnalité… Si l’on pouvait vous confier le rôle-titre de Robinson Crusoé
K. B. : Mais figurez-vous qu’on me l’a proposé ! Malheureusement le projet n’a pas pu se faire. J’ai adoré chanter Pâris (c’était au Festival Musiques en Ré, avec Pierre Dumoussaud à la baguette). J’adore l’esprit d’Offenbach en tout cas et j’espère pouvoir le chanter de nouveau…

S. L. : Vous avez évoqué le fait d’aimer travailler et continuer de vous former auprès de collègues que vous appréciez… Y en a-t-il certains que vous admirez tout particulièrement ?
K. B. : Sabine Devieilhe ! Hélas, je n’ai encore jamais chanté avec elle. C’est quelqu’un que j’estime vraiment, artistiquement et humainement.

S. L. : Vos projets pour cette saison 2023-2024 ?
K. B. : L’Heure espagnole et L’Enfant et les sortilèges à l’Opéra de Tours, dans la superbe mise en scène de Jean-Louis Grinda (en février) ; Tristan et Isolde, donc, à l’Opéra de Lille (en mars) ; et une rareté de Gounod : Le Tribut de Zamora, à l’Opéra de Saint-Étienne (en mai), un théâtre où il m’est très agréable de travailler.

https://www.youtube.com/watch?v=Y4Za19Q-jGA

Révélations Classiques de l’Adami 2017 – Christoph Willibald Gluck, Iphigénie en Tauride, Air de Pylade – « Unis par la plus tendre enfance » (piano : Emmanuel Normand)

Questions Quizzz…

  • Y a-t-il un rôle que vous adoreriez chanter ? – même s’il n’est pas du tout dans vos cordes !
    Violetta !
  • Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le métier ? 
    Jouer ! La voix est pour moi un vecteur permettant de jouer et d’incarner un personnage, de créer une ambiance… Du reste, même quand on chante du lied ou de la mélodie, l’aspect « dramatique » est important : il s’agit de créer un univers en quelques minutes, le plus souvent en prenant appui, qui plus est, sur des pépites littéraires
  • Qu’auriez-vous pu faire si vous n’aviez pas chanté ?
    J’aurais monté une boîte de quelque chose… J’ai d’ailleurs un vieux rêve : celui de gérer mon propre théâtre !
  • Une œuvre que vous appréciez particulièrement, en dehors du domaine musical ?
    C’est pour moi très difficile de hiérarchiser et d’établir un « palmarès » ! Disons que récemment j’ai relu et adoré les poèmes de Marceline Desbordes-Valmore.
  • Une activité favorite quand vous ne chantez pas ?
    Je lis beaucoup, même si cette passion m’est venue tardivement (je ne lisais pas quand j’étais adolescent). Je viens de finir Où vont les larmes quand elles sèchent de Baptiste Beaulieu, un petit chef d’œuvre d’humanité contemporaine.
  • Une cause à laquelle vous êtes attaché ?
    La transmission.

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SPECTACLES OU ENREGSITREMENTS CHRONIQUÉS DANS PREMIÈRE LOGE : 

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