DISPARITION DE JACQUELINE SILVY de l’Opéra : une surdouée de l’art lyrique… en toute simplicité
Nous avons appris hier soir la disparition, dans la nuit du jeudi 31 octobre, de la soprano lyrique Jacqueline Silvy, grande gloire du chant français de l’immédiat après-guerre jusqu’à la fin des années soixante.
En juin 2010, j’avais été sollicité par l’Opéra de Marseille pour animer un hommage au couple d’artistes lyriques, à la scène comme à la ville, formé par Gustave Botiaux et Jacqueline Silvy. Avec eux, c’était tout un parfum d’un certain âge d’or de l’art lyrique français qui remontait à la surface. Ce samedi après-midi, le grand foyer de la salle Reyer était plein à craquer et, entre de nombreuses auditions de « pirates » – surtout ! – et de quelques enregistrements de studios, un public d’admirateurs de toujours mais aussi de personnes ne les ayant jamais entendus sur scène avait soudain (re)pris conscience de ce que l’Opéra, français en particulier, devait à ces deux artistes remarquables.
Née à Aix-en-Provence, Jacqueline Silvy, accomplit des études musicales poussées : lauréate du conservatoire de sa ville natale (classe de Mme Villemejane) puis de celui de Marseille (classe d’Antonin Trantoul, l’Otello de Toscanini, rien de moins !), elle obtient tous ses premiers prix et est engagée par l’Opéra de Marseille pour Rigoletto, le 21 janvier 1949, où elle chante Gilda entre Michel Dens et Giuseppe Traverso : les augures sont plutôt très vite favorables !
Rapidement, Jacqueline Silvy se révèle être hyper-douée : apprenant et retenant vite, d’une musicalité parfaite, elle devient l’une des valeurs sûres des plateaux de l’époque, poursuivant avec méthode, dès le début des années cinquante, une carrière parfaite, sans erreur de répertoire, embrassant tous les grands rôles de soprano lyrique de Mireille à Eudoxie (La Juive), de Marguerite de Valois des Huguenots à Marguerite de Faust, en passant par La Dame blanche, Guillaume Tell, L’Africaine (Inès) Les Pêcheurs de perles, Mignon, Hamlet, Manon (qu’elle ira chanter en 1953 en Amérique centrale), Les Contes d’Hoffman (les trois rôles, mais oui !), Carmen (Micaëla), Sigurd (Hilda) mais aussi Les Noces de Figaro, Le Barbier de Séville, La Traviata, Les Troyens à Carthage, Paillasse, La Bohème, Fidelio (Marzelline), Le Chevalier à la Rose ( Sophie face à la Maréchale de Crespin, à l’Octavian de Suzanne Sarroca et au baron Ochs d’Henri Médus !).
Pensionnaire du Palais Garnier et de la salle Favart, Jacqueline Silvy fait valoir un timbre cristallin qui sait aussi se faire suffisamment puissant comme on peut l’entendre dans ses enregistrements de Faust, de Rigoletto, de La Traviata, de Roméo et Juliette ou encore du Pays du Sourire où elle est une exquise Lisa (aux côtés de son conjoint bien évidemment !). Ne se limitant pas au grand répertoire, cette excellente musicienne participe à de nombreuses (re)créations françaises voire, à l’occasion, mondiales que ce soit dans Le directeur de théâtre, Gianni Schicchi, Patrie d’Emile Paladilhe (aux côtés d’Ernest Blanc et Jeanne Rinella !), Dolorès ou le miracle de la femme laide d’André Jolivet[1](Lyon puis Opéra-comique, 1960), Koenigsmark (Marc Berthomieu), Le Prince de Hombourg (Hans Werner Henze), Le Roi David, Le Joueur, The Rake’s Progress (aux côtés de Jean Giraudeau, Xavier Depraz et Denise Scharley). Le répertoire baroque n’est également pas laissé pour compte puisque notre cantatrice chantera souvent Rameau (Platée, Castor et Pollux, Les Fêtes d’Hébé, Hippolyte et Aricie pour la BBC de Londres). Quel éclectisme dans cette carrière modèle !
C’est le 3 décembre 1958, à l’Opéra de Toulon, que la carrière de Jacqueline Silvy croise celle de Gustave Botiaux lors d’une représentation de Rigoletto. Botiaux y aborde le rôle du duc de Mantoue pour la première fois alors que Jacqueline Silvy est une habituée du rôle de Gilda. A l’entracte se produit l’incident : Botiaux, mort de trac, ne cesse de répéter à ses partenaires qu’il n’arrivera pas à chanter « Ella mi fu rapita ». Excédée par sa panique, Jacqueline finit par lui donner une paire de gifles qui finissent par provoquer une réaction et propulse son partenaire sur scène. Botiaux chantera a priori très bien son air ce soir-là, n’oubliera jamais la paire de gifles et… on connait la suite !
Dans les années 1963-64, les deux artistes entameront une carrière internationale et Jacqueline Silvy chantera en Angleterre, en Espagne, en Belgique, au Luxembourg, en Suisse, en Allemagne. A l’occasion, ils se retrouvent pour des soirées mémorables comme celle d’un Roméo et Juliette à Nîmes, en 1964, resté dans les mémoires et dont l’enregistrement pirate circula longtemps sous le manteau…
Après s’être retirée de la scène, Jacqueline Silvy a longtemps continué à prodiguer des conseils vocaux à celles et ceux qui venaient lui rendre visite, ainsi qu’à son cher Gustave, en Haute Ardèche où le piano et les partitions trônaient toujours dans le salon.
Partenaire des plus grands, de Valère Blouse à José Van Dam, de Pierre Nougaro à Josef Greindl en passant par José Luccioni, Jacques Jansen, Guy Fouché, Albert Lance, Alain Vanzo, Charles Burles mais aussi Rosalind Elias et Elisabeth Schwarzkopf, Jacqueline Silvy nous avait confié, avec la sincérité simple des plus grands, que l’une de ses grandes fiertés était d’avoir chanté un tout petit rôle aux côtés des immenses Max Lorenz et Martha Mödl dans un mythique Parsifal, resté dans les mémoires des vieux amateurs de l’Opéra de Marseille, en 1952.
Véritable fille de Provence, Jacqueline Silvy nous avait aussi raconté qu’elle se produisait toujours dans Mireille vêtue de la robe d’arlésienne de sa grand-mère…
Merci Madame. Nous ne vous oublierons pas.
[1] On peut entendre Jacqueline Silvy dans des extraits de cet ouvrage à la vocalité périlleuse tout comme dans la fort belle Messe pour le jour de la paix du même compositeur dans le CD qu’a consacré à l’artiste la firme Malibran www.malibran.com