Armando Noguera : « Vocalement, professionnellement, je suis à un tournant ! »

Franco-italo-argentin, le baryton Armando Noguera est bien connu du public français, notamment pour ses rôles bouffes rossiniens dans lesquels il remporte toujours un grand succès. Son récent Sharpless à Montpellier, pourtant, a créé la surprise. Cette incarnation d’une grande humanité (voir notre compte rendu ici) a révélé une voix plus large, plus profonde que celle que nous avions l’habitude d’entendre… C’est que, de l’aveu même d’Armando Noguera, le chanteur se situe sans doute à un tournant de sa carrière, qui devrait lui permettre d’élargir son répertoire et de s’orienter dorénavant vers des emplois nouveaux. 

Armando Noguera , vous venez de remporter un grand succès dans le rôle de Sharpless à Montpellier…
C’est un rôle que je connais bien pour l’avoir déjà interprété plusieurs fois. Ce Sharpless chanté à Montpellier tombait bien, d’abord parce que c’était un superbe spectacle, que le public montpelliérain a énormément apprécié ; mais aussi parce que je suis sans doute à un tournant de mon parcours vocal, et donc de ma carrière. Ce tournant s’est déjà amorcé à l’étranger, mais pas encore en France. J’ai une relation très privilégiée avec le public de Montpellier, mais j’y ai chanté essentiellement des rôles bouffes et le fait de me voir dans Sharpless a constitué pour lui une petite surprise…

Précisément, que s’est-il passé à l’étranger ?
J’ai interprété le rôle-titre de Guillaume Tell en Australie, au Victorian Opera de Melbourne. Cela s’est très bien passé [NDR : Armando Noguera a remporté à cette occasion le Opera Chaser Award 2018 du premier rôle masculin]. On me connaît bien en France, mais dans un répertoire plutôt léger, comique : Figaro dans Le Barbier, ou Dandini dans Cenerentola,… Mais depuis quelque temps, je sens en moi une évolution physique, et donc vocale. C’est ce qui m’a conduit également à aborder le rôle de Hamlet au Teatro Avenida en Argentine, dans la mise en scène de Maria Jaunarena. [NDR : ce spectacle a obtenu en Argentine le Prix de la Critique comme meilleur spectacle de l’année 2018]. 

Guillaume Tell à Melbourne

Comment qualifieriez-vous votre voix aujourd’hui ?
Il me semble qu’elle est beaucoup plus assise, beaucoup plus grande, plus large, et je peux donc dorénavant aborder des rôles plus lyriques. Le fait de retrouver Sharpless avec cette « nouvelle » voix m’a permis d’expérimenter et de découvrir de nouvelles choses, dont j’ignorais que je pouvais les réaliser.

À quels niveaux se situent ces changements ?
Pas seulement celui du volume, je dirais même, au contraire, au niveau des nuances. Cela m’a apporté comme une liberté pour travailler le côté humain du personnage – ou plus généralement pour travailler en fonction des souhaits du metteur en scène.

Vous êtes toujours, sur scène, très impliqué physiquement. Quelle part faites-vous, dans la construction d’un personnage, entre l’interprétation purement vocale et le travail avec le metteur en scène ?
Pour moi, le personnage en tant que tel n’existe pas ; il ne prend corps qu’en fonction de ce que l’interprète a envie de dire de lui, de raconter. À partir de là, c’est un subtil mélange entre le ressenti du chanteur et celui du metteur en scène. Lorsque le metteur en scène est ouvert à la discussion et parvient à expliquer, défendre, faire passer sa conception du rôle, c’est formidable. Cela m’est arrivé plusieurs fois, notamment avec Jean Bellorini, Jean-François Sivadier, Alain Garichot, ou Ted Huffman [NDR : le metteur en scène de Madame Butterfly dans la récente production de Montpellier]. ll est arrivé avec les mots justes, qui ont permis d’établir cet équilibre précieux entre mon interprétation et sa vision du rôle.

Revenons justement sur ce personnage de Sharpless, à qui vous avez donné un relief inattendu…
Sharpless n’est pas un rôle secondaire. C’est un rôle central, un pivot, c’est le personnage qui fait le lien entre la surréalité poétique de Butterfly et la réalité prosaïque de Pinkerton. Ce qui est extraordinaire, c’est sa confrontation avec une femme qui nie la réalité. Lorsqu’il prend conscience de cette situation, il quitte son statut de consul pour devenir tout simplement une personne, bouleversée par cette horrible histoire.

Madame Butterfly à Montpellier   (© Marc Ginot)

L’évolution de votre voix vous conduit-elle à travailler d’une façon différente ?
Bien sûr, c’est indispensable pour les prochains rôles que j’aimerais chanter ou que j’ai déjà en projets. Je travaille ma colonne d’air d’une façon complètement différente, de façon à pouvoir donner à ma voix des couleurs autres que celles que je donne dans Rossini ou Donizetti. Je souhaiterais avant tout développer et faire fructifier ce sentiment de liberté que me donnent les nouvelles possibilités de ma voix.

Est-ce à dire que vous allez renoncer à certains rôles ? Vous conserverez tout de même le Rossini bouffe à votre répertoire ? Je vois deux Comte Ory dans votre agenda pour cette saison…
Absolument, je garde Rossini. En fait, je vois l’évolution de ma voix comme de nouvelles opportunités qui se présentent, pas comme des renoncements nécessaires. Évidemment, je ne pourrai peut-être pas enchaîner un rôle de mon nouveau répertoire directement avec Dandini : il me faut un temps d’adaptation, ne serait-ce que pour les coloratures qui nécessitent un travail tout à fait particulier ! Je vais en tout cas garder Le Barbier auquel je suis très attaché : c’était mon tout premier rôle ! Mais d’autres rôles se présentent déjà : je vais refaire Guillaume Tell, je vais également chanter Enrico dans Lucia, Ford dans Falsatff ou encore le Rodrigo de Don Carlo.

Armando Noguera au Teatro Colón

Ford, Rodrigo… Verdi, c’est le rêve de tout baryton ?
J’adorerais interpréter Macbeth. C’est un personnage tellement fort, musicalement et dramatiquement… Mais je tiens à respecter la nature de ma voix, ne pas aller trop vite, ne pas me « fabriquer » une voix pour les besoins d’un rôle. On m’a déjà proposé Simon Boccanegra, mais c’était trop tôt, d’autant que Simon est un rôle écrasant ! Je n’avais pas encore commencé le nouveau travail sur ma voix dont je viens de parler… J’ai donc refusé.

Vous avez chanté Debussy, Thomas, Offenbach… Quel regard portez-vous sur vos rôles en français ?
Chanter en français ne m’était pas naturel car il y a dans cette langue des sonorités qui n’existent ni en espagnol, ni en italien. Il a fallu que je les reproduise sans altérer ma technique. Mais j’ai eu la chance de travailler avec deux grands spécialistes : Pierre Jourdan et Janine Reiss. C’étaient des écoles très différentes, peut-être même opposées, mais elles finissaient par se rejoindre dans une même efficacité ! J’ai beaucoup chanté l’opérette et l’opéra français, et je vais interpréter plusieurs fois Valentin dans les mois à venir, notamment à Santiago du Chili puis à la Fenice de Venise. Comme Sharpless, c’est selon moi un rôle « faussement » secondaire. Sa mort est une page absolument sublime…

Hamlet à Buenos Aires

Quid de la mélodie ?
J’aime la mélodie, bien sûr, et je l’ai déjà chantée. Mais je ne le fais plus actuellement et c’est bien dommage. Il y a plusieurs raisons à cela : préparer un récital de mélodies ou de lieder est un gros travail, très chronophage, et lorsqu’on s’investit beaucoup dans l’opéra, on n’a pas toujours le temps nécessaire pour monter un beau programme – ou alors on tombe dans une certaine facilité, ce que je ne souhaite pas. Par ailleurs, l’investissement des salles de spectacles est moindre pour ce genre de concerts, et le public en est peut-être également moins friand… On a un peu perdu l’habitude d’écouter cette musique, et je le regrette.

Mais vous aimez le récital malgré tout ?
Beaucoup ! J’ai notamment créé il y a trois ans un spectacle autour du tango, Cuando sean las seis. Avec mes musiciens, nous l’avons déjà donné à Dijon, Strasbourg, Nantes, et nous allons le proposer à Montpellier en février prochain. Nous le travaillons comme un spectacle de musique de chambre ! Il y a des textes qui font du lien entre les morceaux et qui permettent, en quelque sorte, de raconter une histoire…

Quelles sont vos prochaines échéances ? 
Dans le cadre du bicentenaire Offenbach, j’ai été invité par la Philharmonie de Cologne, en décembre prochain, pour Pomme d’Api et Trafalgar. Puis il y aura un Comte Ory à Toulon, un autre à Metz, Faust à Venise, au printemps, Falsatff en juin à Antibes. Je vais également donner une master class en Argentine.

Que souhaitez-vous transmettre aux jeunes dans le cadre de cette master class ?
Je n’ai pas envie de trop y travailler l’aspect technique du chant. Je souhaiterais leur faire prendre conscience de tout ce qu’il faut impérativement faire autour de ce simple travail technique : un travail sur la langue notamment, qui va permettre de soigner l’interprétation, un travail culturel également, autour de la littérature, la peinture, l’histoire de l’époque à laquelle appartient l’œuvre qu’on interprète.

Questions Quizzz…

1. Y a-t-il un rôle que vous adoreriez chanter, même s’il n’est pas (ou pas encore) dans vos cordes ?
Macbeth.

2. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le métier ?
Tout ! J’adore mon métier.

3. Ce qui vous plaît le moins ?
Le fait d’être toujours en mouvement, de ne jamais se poser. Heureusement, quelqu’un m’aide à tenir pendant mes déplacements : mon chien, qui me suit partout ! Sauf quand je vais en Argentine ou en Australie…

4. Qu’auriez-vous pu faire si vous n’aviez pas chanté ?
Coach de chanteurs : c’est un métier qui est passionnant et qui m’inspire vraiment !

5. Une activité favorite quand vous ne chantez pas ?
J’ai une petite maison de vacances en Grèce. Quand j’y suis, je ne bouge plus et je ne fais rien, si ce n’est lire et écouter de la musique…  J’aime aussi découvrir les endroits dans lesquels je suis allé pour le travail, sans avoir eu le temps de les visiter.

6. Un livre ou un film que vous appréciez particulièrement ?
J’ai lu récemment Le Chant d’Achille, un très beau roman de Madeline Miller où le destin d’Achille est décrit selon le point de vue de Patrocle. J’ai beaucoup aimé.

7. Y a-t-il une cause qui vous tient particulièrement à cœur ?
J’en citerai deux, mais elles sont liées : l’environnement et les animaux. Je suis convaincu que nous avons beaucoup à apprendre d’eux.