Timothée Varon, chanteur ET acteur !
Timothée Varon est sans doute l’un des plus talentueux membres actuels de l’Académie de l’Opéra de Paris. La qualité de son chant ainsi que son aisance scénique ont été remarquées notamment lors des représentations de La Chauve- Souris, données en 2019. Il y interprétait le rôle d’Eisenstein.
Eisenstein est-il le premier rôle intégral que vous abordez sur scène ?
Non, avant Eisenstein, il y a eu Moralès de Carmen avec la Fabrique opéra, à Grenoble : une expérience très formatrice, et, pour de jeunes chanteurs qui ne sont pas encore dans le circuit, une belle occasion de travailler ! Mais Einsenstein est un rôle plus important que Moralès ! Et même si j’imagine a priori un chanteur plus âgé que moi pour l’interpréter, je m’amuse beaucoup avec ce rôle et c’est pour moi l’essentiel.
Comment êtes-vous entré à l’Académie de l’Opéra de Paris ?
C’est tout récent ! J’ai été accepté après audition, et j’ai pris mes fonctions un peu après la rentrée de septembre. L’audition s’est bien passée, d’autant qu’on cherchait précisément un Eisenstein, Christian Schirm le directeur Artistique de l’académie m’a bien imaginé dans le rôle et la porte de l’Opéra s’est ouverte.
Vous vous montrez très à l’aise sur scène, même lorsqu’il s’agit de vous produire au Palais Garnier (dans le cadre des galas donnés par l’Académie), alors que vous venez tout juste d’entrer sans le métier !
Le plus simple est peut-être précisément de ne pas penser qu’on chante à Garnier, et de ne pas penser à tous les grands noms qui vous ont précédés sur cette scène ! Il faut aussi relativiser les choses et se dire que nous sommes des élèves chanteurs, qui avons simplement cette chance incroyable de pouvoir nous produire sur cette scène prestigieuse. Après, si je devais revenir au Palais Garnier dans un grand rôle, ou pire, m’y produire en récital, j’imagine que le stress serait tout autre !
D’où vous vient, selon vous, cette grande aisance scénique ?
J’ai eu quelques expériences très enrichissantes, très marquantes avec certains metteurs en scène qui m’ont permis d’acquérir et de développer cette aisance : Jean-Michel Fournereau par exemple, avec qui j’ai travaillé l’air de Masetto au cours d’un master-class. C’était le premier air d’opéra que je chantais ! Jean-Michel travaille à partir de votre personnalité, de ce que vous faites par instinct pour le mettre au jour et vous faire progresser. J’ai également énormément aimé travailler avez Patrice Caurier et Moshe Leiser l’été dernier à Royaumont. Nous avons travaillé pendant dix jours le premier acte de Don Giovanni. Patrice et Moshe sont des pédagogues absolument incroyables. Leur binôme fonctionne parfaitement : Moshe « mouille le maillot », il travaille directement au plus près de nous, alors que Patrice prend un peu plus de distance pour apporter un regard extérieur, veiller au maintien de la cohérence dans ce qu’on construit, rappeler quel était le projet initial si toutefois on s’en éloigne un peu. C’est à la fois efficace et extrêmement confortable pour les chanteurs : on se sent portés par une force, une énergie toujours prêtes à nous seconder, nous épauler.
Et c’est vrai que je me sens à l’aise et heureux en scène. J’essaie de m’y amuser. C’est d’ailleurs le côté théâtral (plus exactement, le fait d’incarner un personnage) qui m’a amené progressivement à l’opéra. J’ai été tout de suite très attiré par le fait d’incarner des figures issues très souvent d’œuvres littéraires que j’adorais, et le fait de les incarner en musique, en chantant, m’attirait plus encore que le théâtre pur. Sans doute parce que tout le monde a toujours chanté chez moi !
Votre amour du chant est donc une forme d’héritage familial ?
Oui, même si je suis le seul à m’être lancé dans le répertoire classique, après avoir chanté du rap, du reggae et de la chanson française. Mon père vient de la Réunion, et les deux choses les plus importantes qu’il a ramenées de là-bas, c’est d’une part tout un répertoire de chansons créoles, d’autre part la nourriture et les recettes de l’île ! Ma mère en revanche est bretonne. J’ai grandi en Bretagne, mon grand-père était paysan, il jouait de l’accordéon et chantait extrêmement souvent, à la moindre occasion, des chansons de son époque avec une voix parfaitement timbrée, et une vraie maîtrise du souffle. Il chantait vraiment, il ne fredonnait pas. À chaque Noël, il allait à l’église pour chanter Minuit chrétien, et nombreux étaient ses amis à venir l’écouter ! Sans doute a-t-il eu inconsciemment une grande influence sur moi. Il est parti trop tôt pour m’entendre chanter de l’opéra, c’est un grand regret ! Du moins m’aura-t-il entendu dans le répertoire de la chanson française classique.
Vous avez évoqué votre attachement pour les liens qui unissent littérature et musique…
Absolument. En fait j’ai commencé des études de lettres à 19 ans. La littérature est toujours ce qui m’a maintenu à flot à l’école. J’étais un élève plutôt atypique, pas vraiment « scolaire », mais j’ai toujours lu et aimé lire. Je me suis donc lancé dans une licence de lettres et j’ai beaucoup aimé. C’est à cette occasion d’ailleurs que j’ai découvert l’opéra, grâce à une enseignante en littérature comparée qui nous a fait découvrir Carmen ! Ça a été une véritable révélation… Pour moi, le lien est très étroit entre la littérature et la musique, et spécifiquement le chant, qui n’est finalement qu’une mise en vibration, un rendu acoustique particulier du texte.
Y a-t-il un type de répertoire dans lequel vous vous sentez particulièrement à l’aise aujourd’hui ?
J’aimerais m’en tenir pour l’instant à des emplois de barytons lyriques, de format vocal pas trop lourd ! Idéalement Mozart, Rossini, Donizetti… Techniquement, c’est une excellente école, exigeante et efficace. J’ai certes aujourd’hui des aigus faciles, mais je veille avant tout pour l’instant à obtenir le médium le plus rond possible. Tout ce que ma voix pourra éventuellement me permettre d’autre viendra après cette étape.
Questions Quizzz…
Le rôle que, même dans vos rêves les plus fous, vous adoreriez chanter ?
Don Giovanni.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le métier ?
La scène. Le fait que tout le travail effectué en amont prenne soudainement sens, et l’étrange impression de liberté qui naît de ce travail et de sa concrétisation sur scène.
Ce qui vous plaît le moins ?
La crainte de dire des choses qu’il ne faudrait pas dire sur le coup de la colère, de la fatigue, de la pression. Je suis quelqu’un d’assez entier, comme beaucoup d’artistes ; et par ailleurs, il faut aujourd’hui prêter une attention permanente à tout ce qu’on dit ou fait de peur de blesser les gens inconsciemment. Je suis également assez inquiet de l’ampleur que prennent les réseaux sociaux et ne voudrais pas que leur fréquentation assidue devienne une condition sine qua non de réussite.
Qu’auriez-vous pu faire si vous n’aviez pas chanté ?
Professeur de français. J’ai fait des vacations dans un lycée et cela a été une très belle expérience. Mais il y a des similitudes entre ces deux métiers, je me souviens de la peur du matin, avant de faire cours, comparable à celle éprouvée avant d’entrer en scène. D’ailleurs n’est-on pas un peu en représentation quand on fait cours ?
J’aurais pu écrire également. Il n’est d’ailleurs nullement exclu qu’un jour je retourne dans une classe, ou que je me mette à l’écriture pour de bon !
Une activité favorite quand vous ne chantez pas ?
Passer du temps avec ma famille : ma compagne et ma petite fille de deux ans.
Un livre ou un film que vous appréciez.
Le Père Goriot. Je me sens un peu l’âme d’un Rastignac en pleine ascension en ce moment : je viens de Bretagne et pas d’Angoulême, mais je crois que Paris offre son lot de désirs et d’ambitions au jeune chanteur que je suis.
Y a-t-il une cause qui vous tient particulièrement à cœur ?
J’aimerais que change le regard de la métropole sur les DOM-TOM. Je souhaiterais une intégration des départements d’outre-mer à la France qui soit plus saine, et cela me semble possible en travaillant tout à la fois la mentalité insulaire mais aussi la façon dont les métropolitains considèrent les DOM-TOM. Je ne suis pas né à La Réunion, pourtant, je suis très attaché à mes racines. Si je n’avais pas chanté l’opéra, j’aurais sans doute chanté du maloya ! J’adorerais construire un projet en lien avec mes origines… Cela se fera peut-être un jour !