Disparition de Mady Mesplé, la plus célèbre soprano colorature française
Mady Mesplé vient de s’éteindre à l’âge de 89 ans.
Après la disparition de Gabriel Bacquier, survenue tout récemment, et celles, plus anciennes, d’Alain Vanzo (en 2002) et de Régine Crespin (en 2007), c’est toute une page d’histoire du chant français qui se tourne définitivement…
En duo avec Gabriel Bacquier, dans Rigoletto
Ayant tout d’abord commencé une carrière de pianiste, Mady Mesplé s’oriente vers le chant, notamment après avoir suivi les cours de Janine Micheau, dont elle apparaît comme l’une des héritières. Sa carrière débute en 1953, à l’Opéra de Liège – auquel elle restera longtemps attachée -, dans un de ses rôles fétiches : Lakmé, qu’elle reprendra trois ans plus tard à l’Opéra-Comique, puis de nouveau en 1960 (aux côtés d’Alain Vanzo et Michel Roux) pour la 1500e représentation de l’ouvrage. Elle gravera par ailleurs le rôle pour EMI en 1970, aux côtés de Charles Burles et Roger Soyer.
L’air des Clochettes de Lakmé (1966)
La carrière de Mady Mesplé la mena sur les plus grandes scènes, nationales et internationales : outre l’Opéra-Comique, elle se produisit également à l’Opéra de Paris dans Dialogues des carmélites, Les Indes galantes ou Lucia di Lammermoor. Elle participa également aux légendaires représentations des Contes d’Hoffmann mises en scène par Chéreau en 1975 ; elle chanta également au festival d’Aix-en-Provence dans Zémire et Azor de Grétry en 1956 puis dans Ariane à Naxos dix ans plus tard (avec Régine Crespin en Ariane et Tatiana Troyanos en Compositeur !)
Zerbinette à Aix-en-Provence (1966)
Sa carrière internationale la conduisit en Espagne (Madrid, Barcelone), au Portugal (Lisbonne), en Angleterre (Londres), en Écosse (Édimbourg), aux Pays-Bas (Amsterdam), en Autriche (Vienne), en Allemagne (Munich). Hors d’Europe, Mady Mesplé rencontra également le succès à Montréal, Seattle, Chicago, Dallas, New York, Buenos Aires, Rio de Janeiro, Moscou ou encore Tokyo.
En 1974, alors qu’elle doit interpréter Juliette dans l’opéra de Gounod aux côtés de Franco Corelli, une immense fatigue l’envahit : elle ne peut assurer la représentation et renonce à l’opéra à la fin des années 70. Elle continue cependant à se produire en récital jusqu’en 1985 – et même, très ponctuellement, au-delà : en 1987, elle rend hommage à l’indianiste et musicoloque Alain Daniélou à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire, et le 14 mai 1990, elle participe à l’hommage à Régine Crespin organisé par le Théâtre des Champs-Élysées en chantant La Dame de Monte-Carlo de Poulenc.
La Dame de Monte Carlo (1990)
Mady Mesplé poursuivra cependant ses activités en tant que professeur de chant et membre de jurys de concours de chant.
Atteinte de la maladie de Parkinson depuis 1996, elle était devenue la marraine de l’Association France Parkinson et avait consacré un ouvrage à la maladie : La Voix du corps : Vivre avec la maladie de Parkinson (Michel Lafon, 2010).
En 2017, ERATO rendait hommage à Mady Mesplé dans un coffret de 4 CD comportant des extraits d’opéras, d’opérettes ainsi qu’un large choix de mélodies.
La chanteuse avait fait paraitre chez EMI trois albums fort intéressants entre 1969 et 1975. Les deux premiers, intitulés L’Art de la colorature, étaient consacrés à l’opéra français pour le premier, à l’opéra italien pour le second, à des duos d’opéras français (avec Nicolai Gedda) pour le troisième (l’orchestre de l’Opéra de Paris étant dirigé respectivement par Jean-Pierre Marty, Gianfranco Masini et Pierre Dervaux).
L’hommage de Warner ne conserve du disque de duos que celui du Roi d’Ys ; les pages tirées de Manon, Hamlet, Les Pêcheurs de perles ou Roméo et Juliette disparaissent du récital français ; de l’album italien ne survivent que les extraits de La Pie voleuse et Lucia : Rigoletto, Le Barbier, Les Capulet et les Montaigu, la Somnambule passent à la trappe. En revanche, on récupère le « Salut à la France » de La Fille du Régiment qui n’avait pas été retenu dans le 33 tours. Pour ajouter à la confusion, ERATO propose des extraits de Lakmé tirés de l’intégrale de 1970 et non du récital de 1968, ainsi qu’un extrait de l’intégrale de Werther de 1969 dirigée par George Prêtre….
La Pie voleuse
Quoi qu’il en soit, ces extraits permettent d’avoir un bon aperçu de l’art de la chanteuse. Le timbre est par nature assez ténu : Mady Mesplé explique elle-même dans La Voix du corps avoir dû travailler d’arrache-pied pour lui faire acquérir l’ampleur qui lui faisait défaut. Il possède une certaine acidité, que les repiquages en CD accentuent parfois, et surtout ce fameux grelot, vibratello reconnaissable entre tous, qui rend le timbre agaçant pour les uns, irrésistible pour les autres. Au-delà de ces particularités que chacun apprécie en fonction de son propre goût et de sa sensibilité, il reste des qualités que personne ne peut refuser à la chanteuse, musicienne raffinée, technicienne exceptionnelle (les vocalises, l’aigu, le suraigu sont d’une précision stupéfiante) et interprète sensible. Certes, les pages italiennes convainquent moins que les extraits d’opéras français : la faute en incombe en partie à la direction souvent pesante de Gianfranco Masini, et surtout, nous sommes habitués depuis à entendre dans ces pages des voix dont l’ampleur permet un jeu de couleurs ici un peu limité. Mais il faut reconnaître que cette Lucia, au charme un peu suranné, à la ligne vocale délicatement ciselée, à l’émotion simple et sincère, est fort attachante, et l’on comprend que ce rôle ait été l’un de ceux dans lesquels l’interprète connut ses plus grands succès.
Mady Mesplé a connu un regain de popularité dans les années 80, période au cours de laquelle elle a multiplié les enregistrements d’opérettes et les passages télévisés dans les émissions de Jacques Martin ou Pascal Sevran.
Victor Massé, Les Noces de Jeannette
Pourtant, avec le recul, on se dit que ce n’est pas l’opérette (qu’au demeurant Mady Mesplé chanta extrêmement peu sur scène) qui sert au mieux l’art de la cantatrice. À l’exception de quelques pages élégiaques ou virtuoses (les airs des Noces de Jeannette, de Madame Chrysanthème, des Légendes de la Forêt viennoise), l’interprète s’y montre moyennement convaincante : les rôles de Suzanne (Les Saltimbanques), Ciboulette, Gabrielle (La Vie parisienne), Ernestine (Monsieur Choufleuri) – sans parler de la Germaine des Cloches de Corneville ou de La Fille de Madame Angot, non présentes dans ce coffret – appellent une simplicité, un mordant dans l’émission, parfois une gouaille que la chanteuse ne possède pas. Elle se montre en revanche admirable de charme et de musicalité dans les très nombreuses mélodies (CD 3 et 4) qui terminent cet hommage et qui rappellent l’attachement de Mady Mesplé à la musique du XXe siècle (rappelons que c’est en Constance des Dialogues des Carmélites qu’elle débuta au Palais Garnier en en 1958).
Léo Delibes, Les Filles de Cadix
Un coffret inégal mais qui rend malgré tout bien compte de l’extrême diversité des talents de Mady Mesplé, qui restera à n’en pas douter l’une des chanteuses françaises les plus populaires et les plus appréciées de l’après-guerre.
Griserie (1971), chanson de G.Millandy – P.Varenne – A.Bosc (1927)