Avec Stephen Sondheim, c’est un géant du théâtre musical qui disparaît, mais aussi un très grand nom de la musique américaine.
Pour le public français, trop souvent, le nom de Stephen Sondheim n’évoquait guère, dans le meilleur des cas, que le librettiste de West Side Story ou le compositeur du Sweeney Todd ayant inspiré le célèbre film de Tim Burton… avant que les entreprises courageuses du Châtelet ou de l’Opéra de Toulon ne fassent, enfin, (re)découvrir l’œuvre majeure d’un compositeur qui subit la double influence de la musique française du début du XXe siècle et de ses compatriotes américains d’avant-garde…
La disparition cette nuit, à l’âge de 91 ans, de Stephen Sondheim, dans son domicile de Roxbury (Connecticut), marque la fin d’une époque.
Sondheim, le dernier des Géants de Broadway…
Dans l’histoire du théâtre musical, il n’est pas exagéré de considérer que Stephen Sondheim (né à New York en 1930) était à la fois un « cas à part » et le dernier représentant d’un genre de plus en plus en voie de disparition : la comédie musicale américaine.
En France, s’il n’y avait eu, ces dix dernières années, l’incroyable volonté de certains directeurs d’institutions théâtrales – on pense évidemment avant tout à Jean-Luc Choplin pendant son mandat au Châtelet mais également à Claude-Henri Bonnet à l’Opéra de Toulon – il est probable que la connaissance de la production musicale de Stephen Sondheim se serait limitée au jardin secret de quelques happy few , curieux des influences de divers genres musicaux (opéra, comédie musicale, jazz, chanson populaire…) les uns sur les autres.
Stephen Sondheim, un « inclassable » à Broadway
En comparaison de toutes les grosses productions de Broadway et du West End londoniens, les compositions de Stephen Sondheim l’ont toujours situé comme une sorte de marginal de Tin Pan Alley (quartier historique des éditeurs de musique populaire à Manhattan). Pourtant, depuis trente ans, chaque reprise de ses comédies musicales, tant dans les théâtres que dans les universités américaines, est devenu un évènement suivi par une colonie de fidèles inconditionnels. Longtemps, même si la plupart de ces titres ne disaient pas grand-chose au public français, nombreux étaient les amateurs de chansons américaines qui, au moins une fois dans leur vie, avaient entendu « Send In The Clowns » ( par Barbra Streisand ou Frank Sinatra…), « Being Alive » (extrait du show Company) ou « Sooner or Later » (interprétée par Madonna dans le film Dick Tracy en 1990).
Un mélange de Tradition et de Modernité
C’est dire combien à côté du musicien innovant et étiqueté « sérieux », à la fois influencé par la musique française du début du XXe siècle (Ravel, Satie et Poulenc, principalement…) et par ses compatriotes américains d’avant-garde, parmi lesquels Milton Babbitt (avec lequel il a étudié… comme ses compères Steve Reich et Philip Glass !) ou Aaron Copland, Stephen Sondheim reste un compositeur et un parolier dans la meilleure tradition de l’histoire de Broadway, dont les « tubes » (les américains aiment parler de « show stoppers ») peuvent être sifflés à la sortie des théâtres. Avec lui, la comédie musicale, au-delà d’être un simple divertissement, devient une œuvre à part entière et doit être considérée comme un Tout : reposant sur un bon texte, la plupart du temps écrit par un auteur de théâtre de renom outre-atlantique (Arthur Laurents autrefois, James Goldman, James Lapine, plus récemment…auteurs qui se font de plus en plus rares sur Broadway !), elle alliera souvent un travail chorégraphique important (Michael Bennett dans Follies, pour citer l’un des plus prestigieux !) à des paroles signées exclusivement du compositeur lui-même.
Des débuts placés sous de bonnes étoiles….
Collaborateur de Leonard Bernstein pour lequel il écrit les paroles de West Side Story (1957), alors qu’il n’a que 27ans – ce fut longtemps sa seule « carte de visite » en France – puis des non moins fameux Jule Styne pour Gypsy (1959) et Richard Rodgers, qui vient de perdre son librettiste attitré Oscar Hammerstein II (mentor par ailleurs de Sondheim) et qui lui confie les paroles de Do I Hear A Waltz ? (1965), Sondheim se met en parallèle à la musique de film pour la télévision (Evening Primrose, 1966) et le cinéma ( The Sevent Percent Solution, 1976). On ne peut ici s’empêcher de relever la belle partition que signera notre homme, en 1974, pour le film d’Alain Resnais (qui, lui, connaissait déjà fort bien son œuvre musicale !), Stavisky, avec Jean-Paul Belmondo.
Les « leitmotives » préférés de Sondheim…
Des thèmes de comédie pure où l’esprit des théâtres de la 42e Rue n’est jamais très éloigné des classiques Grecs et de Shakespeare (A Funny Thing Happened On The Way To The Forum, inspiré de Plaute) au pessimisme ambiant de Company (1970) et de Follies (1971) en passant par la vision désabusée du couple de A Little Night Music (1973), adaptation du film de Bergman Sourires d’une nuit d’été, la production de Sondheim aura su swinguer sur un chemin de crête, entre fans inconditionnels, qui adoptèrent pour le désigner le surnom de « God », et grand public qui le découvrit à Paris avec A Little Night Music en février 2010. On se souvient, avec émotion, l’avoir plusieurs fois croisé dans les couloirs du Châtelet où, pendant l’ère Choplin, il aimait à se rendre annuellement, n’hésitant pas à dire que jamais la plupart de ses œuvres n’avaient été montées avec la même qualité artistique !
Un extrait de Follies par la regrettée Marin Mazzie
Ce soir, sur Times Square, selon l’émouvante tradition, tous les néons des théâtres s’éteindront un instant et les paroles du standard de George M. Cohan, Give My Regards to Broadway inscrites sous la célèbre statue, retentiront avec la nostalgie d’un âge d’or du théâtre musical, perdu un peu davantage encore…
Principales comédies musicales de Stephen SONDHEIM
1962
A Funny Thing Happened On The Way To The Forum
La première comédie musicale dont il signe la musique
1964
Anyone Can Whistle
Un échec ( le show ne tient qu’une semaine !) qui le laisse silencieux jusqu’à….
1970
Company
La comédie musicale new yorkaise par excellence, qui parle de la difficulté de rencontrer l’âme sœur dans la Big City, et qui égratigne le mariage au passage….
1971
Follies
L’hommage brillant de Sondheim aux Ziegfeld Follies et à « l’Âge d’Or » de la Comédie Musicale
Follies à Toulon en 2013
1973
A Little Night Music
Adaptation du film d’Ingmar Bergman Sourires d’une Nuit d’Eté, c’est de ce show dont est extrait le célèbre « Send In The Clowns »
Regina Resnik chante Liaisons (A Little Night Music) en 1990
A Little Night Music : Finale, Send in the Clowns (Glynis Johns · Len Cariou)
1976
Pacific Overtures
Une œuvre qui traite, sur une rare partition minimaliste, de l’ouverture au monde du Japon au début du XXe siècle…
Pacific Overtures, "Chrysanthemum Tea" (Original Broadway Cast Recording)
1979
Sweeney Todd
L’œuvre de Sondheim la plus donnée dans les théâtres lyriques… La trame est inspirée des crimes de Sweeney Todd, le barbier sanguinaire de Fleet Street, dans la Londres du XIXe siècle. Johnny Depp dans le film de Tim Burton (2007) a largement contribué à faire connaître ce chef-d’œuvre !
1981
Merrily We Roll Along
Un échec retentissant qui fait réfléchir Sondheim à son avenir sur Broadway…L’une des plus belles partitions de Sondheim ! Une adaptation cinématographique devrait sortir en 2022.
1984
Sunday In The Park With George
Une évocation en musique du peintre Georges Seurat, artiste habité par son art jusqu’à l’obsession. Cette œuvre obtient le prix Pulitzer. Lambert Wilson y fut inoubliable au Châtelet en 2013.
Sunday in the Park with George au Châtelet (© Marie-Noëlle Robert )
1987
Into The Woods
Une comédie musicale qui vient mêler des contes classiques pour enfants.
1991
Assassins…
… qui bouscule le public… Un show sur les assassins aspirants ou avérés des Présidents américains !
1994
Passion
Librement inspiré du Trouvère de Verdi et du Senso de Visconti , c’est l’une des œuvres de Sondheim les plus « lyriques » puisque basée sur la vengeance d’une femme trahie par un bel officier…
2003
Bounce
Dernière œuvre de Sondheim pour le théâtre. Encore une histoire authentique de gangsters, les frères Mizner, dans l’Amérique des « Années Folles »…