Elle aurait 100 ans aujourd’hui : RENATA TEBALDI

Renata Tebaldi (1922-2004) aurait eu cent ans le 1er février. C’est l’occasion de revenir sur une carrière d’exception, aussi riche que variée.

Ayant vu le jour à Pesaro, ville natale de Rossini, c’est du côté de chez Verdi, au conservatoire de Parme, que la jeune Renata Tebaldi commence ses études musicales, pour revenir ensuite sur les bords de la mer Adriatique où elle suit l’enseignement de la célèbre soprano Carmen Melis. Elle fait ses débuts en 1944 à Rovigo, dans Mefistofele dont elle chante le rôle d’Elena, avant de participer au concert de réouverture de la Scala, reconstruite en 1946 après les bombardements de la Seconde Guerre mondiale : elle intervient dans la prière de l’acte III de Mosè in Egitto (« Dal tuo stellato soglio ») et dans le Te Deum de Verdi. Si ce n’est que de manière épisodique que son compatriote entre dans son répertoire (Le Siège de Corinthe et Guillaume Tell, toujours en italien), elle deviendra l’une des interprètes majeures de bien des titres verdiens, parmi lesquels on trouve une rareté pour l’époque (Giovanna d’Arco), en plus des grandes héroïnes de la période centrale (Leonora du Trovatore, uniquement au disque, La traviata) et de la maturité (Amelia Grimaldi de Simon Boccanegra, Leonora de La forza del destino, Aida, Desdemona d’Otello, Alice de Falstaff, ainsi qu’Amelia d’Un ballo in maschera et Elisabetta di Valois de Don Carlo, en italien, abordées seulement en studio).

Rossini, L’assedio di Corinto, « Giusto ciel in tal periglio… » – 1952

Verdi, Il trovatore (1966)

Puccini et la Giovane scuola

Mozart – Le Nozze di Figaro, ‘Porgi, amor,’Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, dir. Alberto Erede 1955

Wagner, Tannhäuser, air d’Elisabeth, Orchestra del Teatro di San Carlo, Karl Böhm 1950

À ses débuts, elle incarne aussi quelques rôles wagnériens (Elsa dans Lohengrin, Elisabeth dans Tannhäuser et Eva dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg), et même Mozart (la Comtesse des Noces de Figaro, Elvira de Don Giovanni) et Spontini (Amazily dans Fernand Cortez, en italien). Mais c’est surtout chez Puccini et chez les compositeurs de la Giovane scuola qu’elle est au faîte de son art, d’abord à la Scala, où elle donne vie à Tosca, Maddalena d’Andrea Chénier de Giordano, la Wally de Catalani, ensuite au Metropolitan de New York, sous les traits de Mimì (La Bohème), Manon Lescaut, Cio-Cio-San (Madama Butterfly), Minnie (La fanciulla del West), la Gioconda de Ponchielli, Adriana Lecouvreur de Cilea. Auxquelles viennent s’ajouter Fedora de Giordano, Cecilia de Refice, une curiosité, et, en microsillons, les trois héroïnes du Trittico et Liù dans Turandot. Dans le répertoire français, outre les titres rossiniens et verdiens déjà évoqués, elle fréquente Marguerite de Faust aux Arènes de Vérone et, sur le versant russe, Tatiana d’Eugène Onéguine, les deux en italien.

Puccini, La Bohème, « Si, mi chiamano Mimì », Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI di Milano, Nino Sanzogno

Puccini, Turandot, « Signore ascolta », Orchestra de coro dell’accademia di Santa Cecilla, Roma, Alberto Erede,1955

La Scala, le Met et le monde entier

Entretenant une relation très particulière avec le Teatro di San Carlo de Naples, elle apparaît également sur toutes les principales scènes opératiques d’Italie, dont le Teatro dell’Opera de Rome et le Teatro Comunale de Florence. En plus des innombrables tournées de concerts qu’elle donne dans le monde entier, elle se produit aussi au War Memorial Opera House de San Francisco et au Lyric Opera de Chicago, au Covent Garden de Londres, au Staatsoper de Vienne et au Liceu de Barcelone, sans négliger l’Amérique latine (Buenos Aires, Rio de Janeiro, La Havane), étape régulière des chanteurs lyriques de l’époque, les Philippines et le Japon. Au Palais Garnier, elle est acclamée en 1959 dans Aida et l’année suivante dans Tosca. Elle quitte la scène en 1976 après un ultime concert à la Scala au bénéfice des victimes du tremblement de terre du Frioul.

Rivales ?

Même en voulant se concentrer sur son art, sans condescendre à des propos de tabloïd, il serait malhonnête et partial de passer sous silence la rivalité avec Maria Callas, puisqu’il y a sans doute un lien de cause à effet entre les deux. Une opposition davantage alimentée par les fans, que les deux cantatrices n’ont visiblement pas recherchée elles-mêmes, et qui est bien dans une certaine tradition du public italien. Pour rester dans le domaine de l’opéra, au siècle précédent, rappelons la vaine joute entre les partisans de Bellini et les admirateurs de Donizetti, et dans le milieu du sport, l’antagonisme entre les cyclistes Bartali et Coppi, à peu près à la même époque, et plus tard entre les footballeurs (Rivera et Mazzola) ou les chanteurs de variété (Mina et Milva) des années 1960. 

Une querelle que Renata, comme jadis Donizetti, a visiblement le plus subie, si tant est que l’une des deux parties ait joué un rôle quelconque dans l’affaire. C’est d’ailleurs en laissant la place à Maria à la Scala qu’elle entame une carrière de presque vingt ans au Met dont elle devient la primadonna incontestée.

Puccini, Tosca, « Vissi d’arte », Renata Tebaldi, Orchestra e Coro del Teatro Metropolitan di New York, Dimitri Mitropulos 1956

Puccini, Tosca, « Vissi d’arte », Maria Callas, Orchestre de la Scala, Victor de Sabata, 1953

Héritières

Soprano lirico spinto, la voix de Renata se singularise tout particulièrement par la pureté d’un timbre angélique, à la fois opulent et soyeux, se prêtant davantage à l’abandon extatique qu’à la virulence dramatique. C’est vraisemblablement l’une des raisons qui ont fait qu’on a voulu l’opposer à Callas. La noblesse de son phrasé a d’ailleurs fait école, très probablement chez Mirella Freni à la génération suivante et, de nos jours, chez Anna Netrebko, deux parmi ses héritières les plus illustres.