Elle remporte actuellement un grand succès dans le rôle de l’ange Damielle des Ailes du désir d’Othman Louati, et vient tout juste de faire découvrir les mélodies de Jeanne Leleu au public conquis de la BnF (voyez ici notre compte rendu !)
Rencontre avec Marie-Laure Garnier, l’une des sopranos lyriques françaises qui comptent actuellement – et qui triomphe dans le lied, la mélodie, l’opéra baroque ou contemporain… en rêvant de Tosca !
Stéphane LELIÈVRE : Votre biographie précise que c’est à l’école que s’est éveillée votre attirance pour la musique…
Marie-Laure GARNIER : Absolument ! Mais d’une manière générale, il faut préciser que la musique joue un rôle très important en Guyane, elle rythme la vie au gré des événements qui la ponctuent : fêtes, mariages, etc. Deux éléments ont sans doute contribué à développer mon goût pour la musique : d’abord le fait que ma sœur jouait de la flûte traversière, puis, effectivement, la venue d’intervenants musicaux à l’école. Cela m’a incitée à suivre un « parcours d’éveil musical », où cet intérêt n’a fait que grandir. Je jouais du tambour, chantais des airs folkloriques… Puis vers l’âge de 7 ans, j’ai appris à jouer de la flûte.
Mes premières années de formation musicale ont été très complètes : je faisais jusqu’à 15 heures de musique par semaine, elle occupait quasiment tous mes moments de libres !
© Cedric Martinelli
J’ai été amenée à étudier l’orgue, la direction de chœur,… Comme j’avais de toute évidence certaines facilités (j’ai même appris à jouer du piano toute seule…), ma professeure m’a incitée à postuler au Conservatoire à rayonnement régional de Paris : ça a été « le grand saut », et à 13 ans, je savais déjà que je voulais être musicienne professionnelle.
S.L. : Vous avez donc étudié la flûte… mais comment avez-vous découvert que vous aviez une voix ?
M.-L. G. : Le chant m’a accompagnée dès mes premières années ! Mais les choses se sont précisées après mon arrivée à Paris : à 14 ans, j’ai donc passé le concours d’admission au Conservatoire à rayonnement régional de Paris. À la fin de ma première année, le Directeur m’a convoquée pour me dire que mes professeurs avaient remarqué mes capacités vocales, et on m’a alors suggéré de passer le concours de la Maîtrise de Paris, auquel j’ai été reçue.
Ce furent des années extrêmement formatrices : nous faisions énormément de concerts, dont une production lyrique par an (je garde notamment un souvenir très ému d’un Verfügbar aux enfers de Germaine Tillion avec Hélène Delavault…). C’est sans doute ce qui m’a donné le virus de la scène ! Grâce à Sophie Geoffroy-Deschaume, ma professeure, j’ai véritablement trouvé ma voie – et ma voix ! Elle me faisait travailler Chausson, Duparc, autant de compositeurs qui m’accompagnent toujours aujourd’hui. Et elle m’a aidée à préparer le concours d’entrée au CNSM.
Quoi qu’il en soit, la pratique de la flûte, avant celle du chant, m’a beaucoup apporté. Si je me suis plus épanouie dans le chant, c’est parce que la flûte demande une pratique solitaire de son instrument, et j’aime énormément le travail d’équipe… Ce qui m’intéresse avant tout, c’est le fait de construire les choses ensemble ; d’une manière générale, l’aspect work in progress, le processus créatif lui-même m’importent plus que l’ « objet fini ». Mais la pratique de la flûte m’a apporté très certainement une rigueur dans le travail, et aussi une curiosité pour toutes les musiques (dont la musique de chambre) et par conséquent une certaine facilité à aborder différents répertoires.
Poulenc, La Dame de Monte-Carlo, 2021 (Théâtre de l'Alliance Française)
S.L. : Cette saison, vous participez à la création des Ailes du désir d’Othman Louati, que vous venez de chanter à Dijon. Vous y interprétez le rôle de l’ange Damielle. Qu’est-ce qui vous a poussée à accepter de participer à ce projet ?
M.-L. G. : Dans un premier temps, sans doute le livret, que j’ai trouvé très beau, plein de poésie… Avec qui plus est un parallèle possible entre cet ange qui cherche littéralement à s’incarner, à devenir humain, et le rôle du chanteur qui, sur scène, incarne lui aussi un personnage… Et puis le fait que la musique soit composée par Othman Louati, que je connais bien.
S.L. : Votre rôle comporte-t-il des difficultés particulières ?
M.-L. G. : Chaque rôle a ses propres difficultés ! Concernant la musique des Ailes du désir, Othman l’a composée en connaissant celles et ceux qui en seraient les interprètes. Cela offre certes une forme de confort… mais c’est aussi un vrai challenge ! Mon rôle, l’ange Damielle, comporte de grands intervalles, qui peuvent évoquer le fait d’osciller entre Ciel et Terre. Et il demande une réelle épaisseur vocale, l’écriture est harmoniquement très riche, très dense. Toute la difficulté du rôle réside dans l’ambivalence du personnage, qui est certes une créature céleste, mais est désireux et capable de prendre position très fermement sur la Terre, notamment à partir du moment où Damielle rencontre Marion et où elle décide de s’incarner véritablement, ici et maintenant, avec d’ailleurs cette récurrence de mot : « jetzt» ! Une scène résume à elle seule l’ambivalence du personnage : celle où Damielle erre sur la Postdamer Platz et se lance dans une longue vocalise, sans texte. Il faut tout à la fois rendre le côté « angélique » et erratique du personnage, et sa volonté d’exister sur le plan terrestre…
L’écriture d’Othman Louati permet également aux chanteurs d’essayer des choses différentes, de repousser leurs limites sans pour autant se mettre en danger. Cette occasion qui nous est offerte d’ouvrir le champ des possibles est pour le moins intéressante et très agréable !
Le Viol de Lucrèce, Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca
S.L. : On souligne souvent à votre sujet une forte présence scénique… C’est quelque chose qui vous est inné ? Que vous travaillez ?
M.-L. G. : C’est en tout cas quelque chose qui me tient particulièrement à cœur. Je me sens autant chanteuse que comédienne, et l’interprétation d’un personnage, à l’opéra, dépasse évidemment le simple cadre musical. Je suis particulièrement attentive au sous-texte, à ce qui nourrit les personnages au-delà de ce qu’ils disent ou chantent, à leurs réactions intérieures, y compris quand ils n’interviennent pas vocalement. Bref, je ne me sens jamais inactive sur scène ! Quant aux mots et à la relation qu’ils entretiennent avec la musique, ils sont évidemment primordiaux. Ce qui importe par-dessus tout, c’est l’interaction permanente entre musique, mots et théâtre. C’est sans doute aussi ce qui explique mon amour pour la mélodie, qui m’accompagne depuis mes débuts…
S.L. : Un amour que vous partagez avec le public dans le cadre de récitals que vous donnez avec votre complice Célia Oneto Bensaid…
M.-L. G. : Nous formons un duo depuis 12 ans et sommes ravies de l’écho qu’il remporte auprès du public ou de la critique : Nous avons participé à plusieurs académies (Orsay-Royaumont, Festival d’Aix-en-Provence), remporté le concours Nadia et Lili Boulanger ; nous explorons des territoires encore peu fréquentés : les œuvres des compositrices, par exemple, ou la musique contemporaine,… Certains considèrent le format « récital » comme un peu vieillot. Ce n’est pas mon avis : c’est pour moi une belle opportunité d’entretenir une relation différente avec le public, avec beaucoup de proximité, parfois de complicité. On peut présenter le programme, expliquer ses choix, rencontrer les gens et échanger librement avec eux après le concert. C’est très précieux !
S.L. : Vous participez enfin aux hommages rendus à Christiane Eda-Pierre. Que représente cette chanteuse pour vous ?
M.-L. G. : Je regrette de ne l’avoir découverte qu’assez tardivement. Elle a eu une carrière extraordinaire : d’abord en troupe à l’Opéra de Paris, elle a connu par la suite, quand la troupe s’est dissoute, un formidable parcours international, avec un répertoire extrêmement riche et varié, incluant aussi bien le bel canto que la musique du XXe siècle. Elle constitue un modèle de réussite pour les jeunes artistes ultramarins, une preuve que tout est possible avec du talent et du travail. Les choses bougent beaucoup concernant la musique en France d’outre-mer, grâce notamment au Concours Voix des Outre-Mers, qui offre une visibilité et de belles opportunités aux jeunes, à qui Fabrice Di Falco et Julien Leleu offrent, par exemple, 15 jours de master class gratuites. Moi-même lorsque je suis en Guyane, j’ai à cœur de proposer des master class. C’est une façon de répondre à toute la générosité qui m’a été offerte par cette région ! D’une manière générale d’ailleurs, l’enseignement, la transmission me passionnent, même si je ne peux m’y consacrer comme je le souhaiterais : le chant occupe une place très importante, et je souhaite m’y consacrer entièrement.
Questions Quizzz...
1. Quel est le rôle que vous adoreriez chanter ?
Tosca.
2. Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre profession ?
Le fait que chanter soit une école de vie ; et aussi que ce métier permette de ne pas travailler seule !
3. Ce que vous aimez le moins ?
Les querelles d’ego.
4. Qu’auriez-vous pu faire si vous n’aviez pas chanté ?
Enseignante. Ou psychologue. Ou quelque chose dans le domaine social, à condition qu’il s’agisse d’un poste où les décisions se prennent, de façon à pouvoir faire bouger les choses !
5. Une œuvre (ou un artiste) que vous aimez particulièrement ?
Sister act ! J’ai adoré ce fim où une diva du disco déguisée en religieuse prend sous sa houlette un groupe de jeunes, avec bienveillance et leur transmettant de belles valeurs !
6. Une occupation favorite quand vous ne chantez pas ?
Jouer du piano. Ou faire de belles balades en forêt.
7. Une valeur à laquelle vous êtes attachée.
La transmission. Musicale, certes, mais pas que. J’ai participé à des ateliers dans des collèges (à Villetaneuse et à Saint-Denis) : c’est formidable d’écouter ce que les jeunes ont à dire, de partager leurs questionnements, leurs objections ou contestations, et de les accompagner à trouver par eux-mêmes d’autres axes de réflexion, d’autres réponses possibles à leurs questions. Bref, de les inscrire dans un cercle vertueux qui leur offre une vraie place dans un cheminement réflexif…
1 commentaire
Excellente artiste à la scène (Le Viol de Lucrèce au Capitole) en effet !
Et mélodiste raffinée en compagnie de Celia Oneto-Bensaid et du Quatuor Hanson dans l’album « Chants nostalgiques » (Fauré – Chausson – Sohy), chroniqué il y a un an : https://www.premiereloge-opera.com/mediatheque/cd/2023/01/13/marie-laure-garnier-et-ses-complices-de-fremissants-chants-nostalgiques-critique/