Drame en un acte de Richard Strauss, livret du compositeur d’après la pièce homonyme d’Oscar Wilde, créé le 09 décembre 1905 à la Semperoper de Dresde.
LE COMPOSITEUR ET LIBRETTISTE
Richard Strauss à Garmisch en 1938
Richard Strauss (1864-1949)
Richard Strauss naît à Munich le 11 juin 1864. Il manifeste très tôt des dons exceptionnels pour la musique, se révélant capable de composer ou de diriger un orchestre avant l’âge de dix ans. Âgé de vingt ans, il rencontre Hans von Bülow (compositeur, chef d’orchestre, élève de Liszt dont il épousa la fille Cosima). Cette rencontre sera déterminante dans sa carrière de chef d’orchestre :
Bülow l’invite à diriger l’Opéra de Meiningen en tant que second chef. Par la suite, Strauss sera directeur de la musique de la cour à Munich, maître de chapelle adjoint de la cour à Weimar, premier chef d’orchestre de l’Opéra de Munich, chef de l’Orchestre philharmonique de Berlin. Il fut aussi directeur artistique de l’Opéra de Vienne de 1919 à 1925. Parallèlement à sa carrière de chef, Strauss entame un brillant parcours de compositeur, avec notamment plusieurs poèmes symphoniques composés à la fin des années 80 (Don Juan, Mort et Transfiguration, Till l’Espiègle, Ainsi parlait Zarathoustra,…). Mais il se spécialise surtout dans la musique vocale, avec la composition de lieder et de seize ouvrages lyriques : si ses deux premiers opéras, Guntram (1894) et Feuersnot (1901) ainsi que Friedenstag (1938) sont aujourd’hui devenus des raretés, si Intermezzo (1924), Die ägyptische Helena (1928), Daphne (1938), Die Liebe der Danae (1940) sont relativement peu souvent représentés, ses autres titres font tous partie du répertoire des grandes salles lyriques : Salome (1905), Elektra (1909), Der Rosenkavalier (1911), Ariadne auf Naxos (première version 1912 ; seconde version 1916), Die Frau ohne Schatten (1919), Arabella (1933), Die schweigsame Frau (1935), Capriccio (1942). Son dernier opéra, Des Esels Schatten (1949), est resté inachevé.
Quelques mois avant sa mort, Strauss compose les Quatre derniers lieder pour soprano et orchestre. Il meurt le 9 septembre 1949.
L'ŒUVRE
La création et la fortune de l'œuvre
L’œuvre fut créée à la Semperoper de Dresde le 9 décembre 1905. Marie Wittich était Salomé, Karl Perron Iokanaan, Karel Burian Hérode, Irene von Chavanne Hérodiade. Si la critique accueillit fort mal l’ouvrage, le public fut enthousiaste et l’œuvre fit rapidement le tour du monde : Berlin, Turin, Milan, Paris, Bruxelles, avec à chaque fois le même succès teinté d’un parfum de scandale, en raison notamment de la fameuse « danse des sept voiles » que Marie Wittich avait refusé de danser lors de la création.
Le livret
Les sources historiques et littéraires
Gustave Moreau, L'Apparition (1876)
Le livret de Salomé est une adaptation par Strauss lui-même de la traduction allemande, par Hedwig Lachmann, de la pièce en un acte Salomé d’Oscar Wilde. Cette pièce fut écrite par Wilde en français avant d’être traduite ultérieurement en anglais. Elle s’inspire elle-même d’ « Hérodias », l’un des Trois Contes de Gustave Flaubert (1877). Le personnage de Salomé est présent dans le Nouveau Testament – sans être jamais nommément cité : la princesse y est simplement appelée « la fille d’Hérodiade ».
L’intrigue
Narraboth (ténor), jeune officier syrien, brûle d’amour pour la princesse Salomé (soprano), belle-fille d’Hérode (ténor), tétrarque de Judée, et fille d’Hérodias (alto). Pour l’heure, Narraboth surveille la citerne où est enfermé le prophète Iokanaan (baryton), dont la voix monte jusqu’à lui. Il est bientôt rejoint par Salomé, qui quitte le banquet donné par ses parents. La princesse ne supporte plus les regards concupiscents qu’Hérode pose sur elle. Elle semble ne pas remarquer l’amour que lui porte Narraboth et, frappée par la voix de Iokanaan, demande au jeune garde de laisser sortir le prophète…
La princesse est de plus en plus fascinée par Iokanaan et par ses imprécations (il insulte Hérodias et traite Salomé de « fille de Sodome »). Salomé ignore totalement Narraboth (qui finit par se donner la mort) et déclare à Iokanaan vouloir baiser ses lèvres.
Arrivent Hérode et Hérodias, qui ordonnent que Iokanaan soit reconduit dans sa citerne. Hérodias souhaiterait que son époux livre le prophète aux Juifs, qui l’accusent d’être un imposteur. Mais Hérode n’a d’yeux que pour Salomé, à qui il demande de danser.
La princesse accepte, à condition que son beau-père lui offre en récompense tout ce qu’elle désire. Salomé se dénude en dansant devant le tétrarque, fasciné. À Hérode qui lui demande quel est le prix de sa danse, Salomé répond vouloir la tête de Iokanaan.
SALOME
J’attends que mes esclaves m’apportent des parfums et les sept voiles et m’ôtent mes sandales.
Les esclaves apportent des parfums et les sept voiles et ôtent les sandales de Salomé.
HERODE
Ah ! vous allez danser pieds nus ! C’est bien ! C’est bien ! Vos petits pieds seront comme des colombes blanches. Ils ressembleront à des petites fleurs blanches qui dansent sur un arbre… Ah ! non. Elle va danser dans le sang ! Il y a du sang par terre. Je ne veux pas qu’elle danse dans le sang. Ce serait d’un très mauvais présage.
HERODIAS
Qu’est-ce que cela vous fait qu’elle danse dans le sang ? Vous avez bien marché dedans, vous…
HERODE
Qu’est-ce que cela me fait ? Ah ! regardez la lune ! Elle est devenue rouge. Elle est devenue rouge comme du sang. Ah ! le prophète l’a bien prédit. Il a prédit que la lune deviendrait rouge comme du sang. N’est-ce pas qu’il a prédit cela ? Vous l’avez tous entendu. La lune est devenue rouge comme du sang. Ne le voyez-vous pas ?
HERODIAS
je le vois bien, et les étoiles tombent comme des figues vertes, n’est-ce pas ? Et le soleil devient noir comme un sac de poil, et les rois de la terre ont peur. Cela au moins on le voit. Pour une fois dans sa vie le prophète a eu raison. Les rois de la terre ont peur… Enfin, rentrons. Vous êtes malade. On va dire à Rome que vous êtes fou. Rentrons, je vous dis.
LA VOIX D’IOKANAAN
Qui est celui qui vient d’Edom, qui vient de Bosra avec sa robe teinte de pourpre ; qui éclate dans la beauté de ses vêtements, et qui marche avec une force toute puissante ? Pourquoi vos vêtements sont-ils teints d’écarlate ?
HERODIAS
Rentrons. La voix de cet homme m’exaspère. Je ne veux pas que ma fille danse pendant qu’il crie comme cela. Je ne veux pas qu’elle danse pendant que vous la regardez comme cela. Enfin, je ne veux pas qu’elle danse.
HERODE
Ne te lève pas, mon épouse, ma reine, c’est inutile. Je ne rentrerai pas avant qu’elle n’ait dansé. Dansez, Salomé, dansez pour moi.
HERODIAS
Ne dansez pas, ma fille.
SALOME
Je suis prête, tétrarque.
Salomé danse la danse des sept voiles.
HERODE
Ah ! c’est magnifique, c’est magnifique ! Vous voyez qu’elle a dansé pour moi, votre fille. Approchez, Salomé ! Approchez, afin que je puisse vous donner votre salaire. Ah ! je paie bien les danseuses, moi. Toi, je te paierai bien. Je te donnerai tout ce que tu voudras. Que veux-tu, dis ?
SALOME, s’agenouillant.
Je veux qu’on m’apporte présentement dans un bassin d’argent…
HERODE, riant.
Dans un bassin d’argent ? mais oui, dans un bassin d’argent, certainement. Elle est charmante, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent, ma chère et belle Salomé, vous qui êtes la plus belle de toutes les filles de Judée ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent ? Dites-moi. Quoi que cela puisse être on vous le donnera. Mes trésors vous appartiennent. Qu’est-ce que c’est, Salomé.
SALOME, se levant.
La tête d’Iokanaan.
OscarWilde, Salomé
Horrifié, Hérode refuse et va jusqu’à offrir à sa belle-fille la moitié de son royaume. Mais Salomé est inflexible : elle veut la tête du prophète. Hérodiade se saisit alors de la « bague de la mort » que son époux porte à son doigt et la tend à un soldat, lequel descend dans la citerne dont il remonte quelques instants plus tard, brandissant la tête de Iokanaan. Salomé entre en transe, se saisit de la tête, et baise les lèvres froides de Iokanaan sous les yeux horrifiés d’Hérode qui ordonne « que l’on tue cette femme ». Les gardes écrasent Salomé sous leurs boucliers.
La partition
Œuvre fascinante par sa concision, sa densité , son efficacité dramatique et le charme vénéneux qu’elle distille, Salomé est l’un des opéras du XXe siècles les souvent représentés.
La richesse orchestrale en est extraordinaire : l’orchestre, qui comporte pas moins de 108 musiciens, se fait tour à tour luxuriant, sensuel, extatique, dramatique (insoutenable scène de la décapitation de Iokanaan). Il brille notamment dans deux pages purement instrumentales : l’interlude par lequel se clôt la deuxième scène, au cours de laquelle Salomé passe de l’amour à la haine et au désir de vengeance, et la célébrissime danse des sept voiles, sensuelle, langoureuse, aux motifs orientalisants. À l’orchestre est aussi confié le soin d’énoncer les motifs qui ponctuent la progression dramatique (motifs du Baiser, du Désir,…) et de caractériser les personnages, du hiératisme glacial de Iokanaan à la sensualité de Salomé. Une sensualité dont l’acmé réside dans la danse des sept voiles, à laquelle succède le monologue final de l’héroïne : la convocation, dans une même scène, des pulsions de mort et de désir sexuel y suscite une forme de fascination morbide, tout à la fois dérangeante et irrésistible, unique dans le répertoire lyrique.
Le rôle-titre requiert des capacités vocales exceptionnelles : l’interprète doit en effet posséder une puissance lui permettant d’affronter sans encombre l’orchestre straussien, mais elle doit aussi faire preuve d’une forme d’ingénuité, de froideur, d’autorité, de sensualité, bref, posséder des qualités dont certaines sont parfois antinomiques. Sans parler d’un indispensable talent d’actrice et… de danseuse, la Danse des sept voiles étant aujourd’hui en général effectuée par la chanteuse elle-même. Pour toutes ces raisons, les grandes Salomé, d’Emmy Destinn, Ljuba Welitsch à Gwyneth Jones, Hildegard Behrens, Catherine Malfitano, Maria Ewing ou Asmik Grigorian, ont (presque) toujours été de formidables chanteuses-actrices.
LE SPECTACLE DE L'OPÉRA DE FLANDRE
LE CHEF D'ORCHESTRE
© Diego Franssens
ALEJO PÉREZ
Alejo Pérez est né en Argentine. Après avoir étudié le piano, la composition et la direction d’orchestre, il se spécialise dans cette dernière discipline et s’intéresse tout particulièrement au genre lyrique – en dirigeant notamment des ouvrages des XXe et XXe siècles : Angels in America, Lady Sarashina, Mort à Venise, Die Eroberung von Mexico, Pelléas et Mélisande, L’Amour des trois oranges, L’Ange de feu, Les Stigmatisés …
Mais le répertoire d’Alejo Pérez est en réalité très vaste : il a déjà dirigé des œuvres du répertoire telles Carmen, Nabucco, Faust, Parsifal, Der Freischütz,… Il s’est produit dans de nombreuses salles prestigieuses : Teatro Real de Madrid, Opéra de Lyon, Festival de Salzbourg, Teatro Colón de Buenos Aires, Opéra de Rome,…
Alejo Pérez répète Ariane à Naxos à Buenos Aires
LE METTEUR EN SCÈNE
© Thomas Meyer
ERSAN MONDTAG, metteur en scène
Le metteur en scène Ersan Mondtag est apprécié pour l’originalité de ses spectacles, dont il assure la mise en scène, la réalisation des costumes et des décors. Considérant que « l’opéra est la forme d’art la plus élevée », il souligne ce qui le fascine dans le genre lyrique : « la réunion de diverses formes artistiques :
l’architecture, la mode, l’art, la musique, la littérature. J’aime le côté ludique et la complexité de l’organisation [d’un opéra] ». Aussi, depuis quelques années, Ersan Mondtag accorde une place importante dans son travail aux spectacles lyriques : il a déjà assuré les mises en scène de Der Schmied von Gent de Schreker, Der Silbersee (Kurt Weill), Salome (Richard Strauss) pour l’opéra d’Anvers, Antikrist de Langgaard pour la Deutsche Oper Berlin. Le Festival de Torre del Lago, l’Opéra de Lyon, la Wiener Staatsoper l’ont également invité à se produire en leurs murs.
Salome à l'Opéra d'Anvers
LES CHANTEURS
© Photographie NG
Astrid KESSLER, soprano (Salome)
Astrid Kessler a étudié le chant à Séoul, Nuremberg, Berlin et Hanovre. Particulièrement à l’aise dans le répertoire allemand, la galerie des rôles incarnés par Astrid Kessler comporte ceux de Sieglinde (Die Walküre), Salome, Agathe (Der Freischütz), Gutrune (Die Götterdämmerung), Elsa (Lohengrin), Arabella, Eva
(Die Meistersinger von Nürnberg), Elisabeth (Tannhäuser),… Mais loin de se cantonner aux œuvre germaniques, la chanteuse aborde également avec succès certains rôles italiens (Nedda dans I Pagliacci, Cio Cio San dans Madama Butterfly, Abigaille dans Nabucco, Mimi dans La bohème,…), anglais (Ellen Orford dans Peter Grimes, la gouvernante dans The Turn of the Screw) ou français (Rachel dans La Juive). De grandes scènes internationales (Leipzig, Dortmund, Anvers, New National Theatre Tokyo, Staatsoper Stuttgart) l’ont accueillie.
Die Meistersinger von Nürnberg (StaatstheaterNuernberg, 2018)
© Monika Penkuku
Kostas SMORIGINAS, baryton-basse (Iokanaan)
Kostas Smoriginas se produit sur de nombreuses scènes lyriques européennes ou américaines prestigieuses : Deutsche Staatsoper de Berlin, Festival de Pâques de Salzbourg, Royal Opera House Covent Garden, Semperoper de Dresde, opéras de Zurich, Lausanne, Hambourg, San Francisco, Festival de Bregenz, Accademia Nazionale di Santa Cecilia, la Monnaie de Bruxelles, … Il y chante les principaux rôles de baryton-basse, et remporte notamment de grands succès en Iokanaan, Escamillo, Orest, Onéguine, Amonasro, Scarpia ou Kurwenal. Il a travaillé avec les metteurs en scène Barrie Kosky, Andreas Homoki, David Alden, Ersan Mondtag, et a chanté sous la direction de chefs tels Julius Geniušas, Simone Young ou Antonio Pappano.
Salome: „Wo ist er, dessen Sündenbecher jetzt voll ist?" Kostas Smoriginas (2021 Zürich )
NOTRE SÉLECTION POUR VOIR ET ÉCOUTER L'ŒUVRE
CD
Ljuba Welitsch (Salomé), Herbert Jansenn (Jochanaan), Frederick Jagel (Hérode), Kerstin Thorborg (Hérodias). Fritz Reiner, Orchestre du Metropolitan Opera, New York, 1949. (2 CD Melodram)
Christel Goltz (Salomé), Hans Braun (Jochanaan), Julius Patzak (Hérode), Margareta Kenney (Hérodias). Clemens Krauss, Orchestre philharmonique de Vienne, 1954 (2 CD Decca, rééd. Naxos)
Birgit Nilsson (Salomé), Eberhard Waechter (Jochanaan), Gerhard Stolze (Hérode), Grace Hoffman (Hérodias). Georg Solti, Orchestre philharmonique de Vienne, 1961 (2 CD Decca)
Montserrat Caballé (Salomé), Sherrill Milnes (Jochanaan), Richard Lewis (Hérode), Regina Resnik (Hérodias). Erich Leinsdorf, Orchestre philharmonique de Londres, 1968 (2 CD RCA)
Gwyneth Jones (Salomé), Dietrich Fischer-Dieskau (Jochanaan), Richard Cassily (Hérode), Mignon Dunn (Hérodias). Karl Böhm, Orchestre de l’Opéra d’État de Hambourg, 1970. (2 CD Deutsche Grammophon)
Hildegard Behrens (Salomé), José van Dam (Jochanaan), Karl-Walter Böhm (Hérode), Agnes Baltsa (Hérodias). Herbert von Karajan, Orchestre philharmonique de Vienne, 1977 (2 CD EMI)
Jessye Norman (Salomé), James Morris (Jochanaan), Walter Raffeiner (Hérode), Kerstin Witt (Hérodias). Seiji Ozawa, Staatskapelle de Dresde, 1990 (2 CD Philips Classics)
Cheryl Studer (Salomé), Bryn Terfel (Jochanaan), Horst Hiestermann (Hérode), Leonie Rysanek (Hérodias). Giuseppe Sinopoli, Orchestre du Deutsche Oper Berlin, 1991 (2 CD Deutsche Grammophon)
DVD et Blu-ray
Böhm, Friedrich / Stratas, Weikl, Varnay, Beirer (Vienne, 1988). 1 DVD Deutsche Grammophon
Downes, Hall / Ewig, Devlin, Riegel, Knight. (Londres, 1992). 1 DVD Opus Arte
von Donhanyi, Bondy / Malfitano, Terfel, Riegel, Silja.(Londres, 1997). 1 DVD Decca
Jordan, McVicar / Michael, Volle, Moser, Schuster (Londres, 2007). 1 Bluray Opus Arte
Welser-Möst, Castellucci / Grigorian. Bretz, Daszak, Chiuri (Salzbourg, 2018). 1 Bluray Unitel