Complètement timbrée : la voix !

Ce 16 avril, la journée mondiale de la voix est l’occasion de donner de la voix, vous lectrices et lecteurs de Première Loge, chanteuses et chanteurs ! Et pour nous, serait-ce une opportunité pour vous offrir des éclats de voix, susciter des écoutes, voire des pratiques ?

Parsifal à Covent Garden (ca 1930)

Car les voix,  parlées ou chantées, sont aussi « timbrées » et diverses que les émotions qui nous animent. Vous appréciez les voix chuchotées, douces, amoureuses, flûtées, de sirène ou cristallines ? Ou accordez-vous votre préférence aux voix claironnantes, gutturales, rocailleuses, tantôt impérieuses, tantôt rebelles, voire rugissantes, vociférantes ? 

Auriez-vous un faible pour celles sépulcrales, voilées, artificielles ou même d’emprunt ? Ou celles d’avant la mue ? Du point de vue de la physiologie, chantez-vous en voix de poitrine ou de tête, en voix chuchotée ou à pleine voix, sans frôler l’extinction de voix  ? Entretenez-vous un rapport amoureux au grain de la voix, comme le décrit Roland Barthes [1] ?

Dans le domaine de la communication, accordez-vous une voix consultative en réunion, ou bien élevez-vous la voix ?  Et si vous accordez quelque crédit à la voix publique, donnerez-vous votre voix lors du prochain scrutin sur la réouverture des salles de concert et d’opéra ? 

Christina Sampaio, Self-portrait (2011)

De toute manière, ce 16 avril 2021, vous avez voix au chapitre: vos suggestions et réactions seront les bienvenues dans la rubrique « Commentaire » de ce billet d’humeur !

 À portée de voix 

Si vous fréquentez (d’ordinaire) les salles d’opéra et lisez souvent notre webzine, vous identifiez sans peine les voix de basse, baryton, ténor, mezzo-soprano et les déclinaisons du soprano. Aussi, nos écoutes de cette Journée de la voix proposent-elles d’autres pistes.

Voix d’enfant : Lors du 5e mouvement de la cosmique 3e Symphonie de G. Mahler, le chœur d’enfant transmet la joie populaire et spontanée du recueil Des Knaben Wunderhorn (Le Cor magique de l’enfant), dans un tempo Lustig : « Bimm, bamm, […] Il y avait trois anges qui chantaient une chanson douce, qui sonnait joyeusement dans le ciel. »

Mahler, 3e Symphonie. Leonard Bernstein, Christa Ludwig, Chœur de l’Opéra de Vienne, chœur d’enfants de Vienne

Voix de la femme d’Orient : dans l’opéra orientaliste, l’apparition de l’héroïne indigène est une situation qui captive compositeurs et publics qui fantasment sans modération au XIXe siècle ! Par ses composantes sensorielles et cognitives, la voix de l’héroïne dévoile sa psyché alors qu’elle paraît voilée. Telle la cinghalaise Leila, dans Les Pêcheurs de perles de Georges Bizet (1er acte), que le jeune amoureux Nadir identifie au seul son de sa voix.

Bizet, « O dieu Brahma », Les Pêcheurs de perles, avec Annick Massis (soprano) :

Voix de contre-ténor (ou falsettiste) : avec la vogue des contre-ténors dans le répertoire baroque, n’oublions pas que le répertoire renaissant ou celui contemporain utilisent cette voix masculine chantant dans un registre élevé grâce à la technique de fausset ou falsetto. Par exemple, les rôles féminins de l’opéra Les Trois sœurs de P. Eötvös (1998), d’après la pièce éponyme d’A. Tchekhov, sont incarnés par des contre-ténors, une manière de poursuivre la déconstruction du genre que l’opéra colporte depuis les temps baroque.

Eötvös, extrait des Trois sœurs 

Dans l’opéra Giustino d’Antonio Vivaldi, goûtons aux charmes de ce timbre si différent de celui d’une soprano.

Vivaldi, « Sento in seno » air de Giustino, avec Jakub Jozef Orlinski (contre-ténor) et La Cappella del Ospedale della Pietà

Voix de contralto : la voix féminine la plus grave, aux couleurs sensuelles, se prête également à incarner les rôles masculins d’opéra et d’oratorio baroques. Comparez le même air de Vivaldi avec cette nouvelle voix est une manière de concrétiser la notion essentielle de timbre.

A. Vivaldi, « Sento in seno » air de Giustino, avec Nathalie Stutzmann (contralto) et l’ensemble Orfeo 55 

Voix céleste : quand elle s’écrit au singulier, il s’agit d’un jeu d’orgue imitant les anges du ciel par un savant effet de vibrato entre deux tuyaux accordés presque à la même hauteur. Dans le domaine intimiste de la mélodie, lorsque C. Gounod choisit le poème de Lamartine « Quand ta voix céleste prélude Au silence des belles nuits », nous frissonnons à son écoute.

Gounod, Le Rossignol, avec Ninon Vallin (soprano)

Voix sans texte : la gageure du théâtre musical, né dans les fécondes années 60, est de capter le théâtre de l’absurde (Ionesco) pour inventer des pièces délirantes à la dramaturgie intrinsèquement musicale plutôt que narrative. Aventures, puis Nouvelles aventures de G. Ligeti (1966) explorent avec non-sens et jubilation les émotions vocales sur un contrepoint performatif de sons phonétiques (3 chanteurs) et instrumentaux. Subversion et humour garantis !

Ligeti, extrait de Nouvelles aventures, avec Susan Sun (soprano), Truike van der Poel (mezzo), Guillermo Anzorena, solistes du Berliner Philharmonik, Simon Rattle

A quatre voix : à l’opposé de l’extrait de Ligeti, le quatuor « Bella figlia dell’amore » de Rigoletto de Giuseppe Verdi est à lui seul une métaphore de l’opéra romantique. Il fait entendre simultanément les sentiments contradictoires de quatre voix-rôles situées dans deux espaces différents. Tandis que le Duc de Mantoue et Maddalena dans l’auberge sont en rendez-vous galant, la jeune Gilda et son père, le bouffon Rigoletto (à l’extérieur), souffrent des violences commises par le Duc sur la personne de la fille séduite.

Verdi, « Bella figlia dell’amore » dans Rigoletto, enregistré au Teatro la Fenice (Venise) 

Voix d’outre-tombe : In Nomine Lucis de Pascal Dusapin, est une commande de la République Française, diffusée depuis les voutes du Panthéon lors de la panthéonisation de Maurice Genevoix (novembre 2020). Des voix féminines et masculines, enregistrées par le Choeur Accentus, semblent sortir de la pierre, tandis que résonnent le nom de 15 000 morts pour la France en 14-18.

Reportage sur In Nomine Lucis de P. Dusapin (2020)

Voix diphonique : Sur terre, s’il n’y a pas d’étrangers, écoutons les voix traditionnelles de Mongolie. Certains chanteurs ou moines bouddhistes parviennent à faire entendre deux sons simultanément grâce à la gestion de l’appareil phonique et respiratoire : stupéfiant et planant !

Maitres du chant diphonique, reportage de J.-F. Castell 

Une impro de vive voix 

Par sa nature sensorielle et intuitive, la voix chantée est un outil ludique que nous avons tendance à oublier depuis nos expérimentations de bébé/enfant. Lancez-vous dans une improvisation sur tout support qui vous inspire : les premiers vers ou slogans fétiches ou bien des voyelles, ou encore sur la lecture de votre journal ! Evitez toutefois la situation pathétique de La Voix humaine de Cocteau / Poulenc si vous vous enregistrez sur votre téléphone …

Caricature [Chanteuse braillant]

Détendu.e, pieds et jambes dans l’ancrage du sol, ajustez votre posture corporelle, raclez-vous la gorge avant de déconfiner votre voix en toute spontanéité, à l’instar de Marguerite dans le film de Xavier Giannoli ! Et octroyez-vous le droit de moduler, timbrer, rire, bercer, chuinter, crier à tue-tête, claquer la langue, faire la voix de crécelle ou la grosse voix, et même de faire silence …

Si toutefois, vous sentez le besoin d’un coach vocal autre que Michel Fau (dans le film cité), téléchargez ici l’appli Vocal’iz, riche en tutoriels de placement de la voix !

La faute à Voltaire ?

L’ultime couplet de la Chanson de Gavroche dans Les Misérables de Victor Hugo (1862) l’affirme : chanter, c’est la vie !

« Joie et mon caractère, C’est la faute à Voltaire, Misère est mon trousseau, C’est la faute à Rousseau »

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[1] Roland Barthes, « La musique, la voix, la langue » (1978).