Marc Dumont rend hommage à l’ensemble Ausonia, qui vient de donner son dernier concert à Bruxelles.
Les temps sont durs pour les musiciens classiques.
En dehors des grandes institutions et des ensembles installés, la plupart des petites structures connaissent de profondes difficultés. Pour obtenir des subventions (qui se raréfient comme peau de chagrin), il faut que les artistes se transforment en administrateurs devant faire face à de multiples formulaires, obligations imposées, rencontres avec tel ou tel décideur trop souvent hors de toute réalité musicale et culturelle – mais tellement zélé dans leur cahier des charges paperassier…
De quoi en écœurer plus d’un. Et lorsque ce temps devient chronophage et à ce point absurde, que faire ? Employer une grande partie de leur énergie à remplir une paperasserie pléthorique et trop souvent absurde, inventer des formules de spectacles « dans l’air du temps » pour essayer de convaincre telle ou telle tutelle du bien fondé de leur simple existence ? Les journées n’ont que 24 heures et la pratique, la recherche musicale, la mise au point de programmes et de spectacles pâtissent de plus en plus de ces insupportables lourdeurs administratives. Pour quel résultat ? Au risque de se perdre. Difficile de couler des jours heureux.
Alors, dans la discrétion, parfois dans le silence, des musiciens se taisent, changent de métier – des ensembles meurent. Mettre la clé sous la porte est douloureux. Sans retour ?
Ce fut le cas de l’ensemble Ausonia qui, ce jeudi 14 décembre au soir, donnait son tout dernier concert à Bruxelles. L’ensemble a pourtant fêté ses 25 ans, fondé par le claveciniste Frédérick Haas et la violoniste Mira Glodeanu, le fidèle James Munroe assurant la basse. Cet ensemble à géométrie variable a connu un quart de siècle fait d’excellence et de jalons majeurs, autour des musiques des XVIIe et XVIIIe siècles, principalement françaises : allez écouter leur tout premier enregistrement instrumental consacré à Francœur ! Si les voix ne furent pas le cœur de leur répertoire, elles n’en furent pas absentes.
En 2007, lors de somptueuses journées du Centre de Musique Baroque à Versailles, ils donnaient Zelindor, roi des sylphes de Rebel et Francœur avec un jeune Matthias Vidal, les voix radieuses d’Aurore Bucher et de Bénédicte Tauran et la basse d’Arnaud Richard.
Et en 2009 paraissait leur disque Rameau, Que les mortels servent de modèle aux dieux (publié chez Alpha) ; c’est un des plus beaux consacré à ce compositeur. La soprano Eugénie Warnier et la basse Arnaud Richard contribuent au rayonnement solaire de cet enregistrement. Mêlant airs et passages instrumentaux de Zaïs et Zoroastre, se terminant en apothéose par la chaconne de Dardanus, le programme est très subtilement agencé, inventant une sorte d’opéra imaginaire.
Le marché du CD devenant plus que problématique, Frédérick Haas a opté pour la création de son propre label, Hitasura. S’en suivirent des enregistrements aussi exigeants que somptueux, dont le tout dernier, véritable testament musical, est consacré à l’Offrande Musicale de Jean-Sébastien Bach.
L’autre – grande – originalité du travail d’Ausonia fut la confection de spectacles très originaux mêlant une tradition du Nô, avec un grand maître japonais de cet art, l’acteur Masato Matsuura et certaines partitions. Monteverdi ou Bach se trouvaient mêlés aux éventails, sabres et masques dans une chorégraphie d’une intense poésie. Une des expériences les plus étonnantes furent sans doute les spectacles autour des Sonates du rosaire de Biber
Ainsi, c’est une lumière qui s’éteint, un chemin qui se referme. Il fut original, par l’exigence de recherches sans compromis, basée sur un travail de fond, celui de la lecture des traités d’époque, mais aussi sur une très grande culture humaniste, mêlant une profonde connaissance de monde littéraires et picturaux de ces deux siècles qui furent leur prédilection. L’excellence d’un vrai travail d’artistes.
Loin d’un Requiem, c’est un Hosanna pour Ausonia qu’il faut entonner pour remercier cet ensemble d’avoir apporté tant de richesses et de joies – sans concession artistique aucune.