Vermeer, Femme au luth (vers 1662-1663), Metropolitan Museum of Art, New York
Trois semaines de confinement permettent tout juste de prendre la mesure des conséquences dramatiques qu’aura, sur la vie culturelle, la terrible pandémie qui nous frappe. Les théâtres et opéras ont d’abord continué à proposer leurs spectacles, puis ont progressivement réduit le nombres de spectateurs autorisés, avant d’être, inéluctablement, contraints de fermer purement et simplement leurs portes. Peut-être, avec le retour des beaux jours, le Covid-19 ne sera-t-il plus, dans quelque temps, qu’un terrible souvenir… La vie artistique et culturelle pourra-t-elle pour autant reprendre rapidement ses droits ? Beaucoup de spectacles prévus pour la fin de cette saison n’auront pu être répétés dans de bonnes conditions : sera-t-il possible de les programmer malgré tout ? Rien n’est moins sûr… On commence même à s’interroger sur la possibilité de maintenir ou non certains festivals d’été…
Les coûts financiers de cette fin de saison avortée seront bien sûr très importants. On n’ose imaginer les difficultés qu’éprouvera, par exemple, l’Opéra de Paris, déjà durement éprouvé par les annulations ayant eu lieu cet hiver, sans parler d’autres théâtres moins – ou non – subventionnés. Certains spectateurs, très généreusement, choisissent de ne pas demander le remboursement des places de spectacles déjà réservées. Une goutte d’eau dans l’océan des pertes à prévoir, mais un geste généreux et fort symboliquement. Pourtant, si les pertes matérielles seront très difficiles à éponger, les dégâts sur le plan humain sont peut-être plus terribles encore. Difficile d’imaginer la tristesse et la frustration des artistes qui avaient travaillé d’arrache-pied pour proposer un spectacle finalement annulé et, dans le meilleur des cas, reporté dans une ou deux saisons – sans qu’ils aient par ailleurs la garantie d’être de nouveau disponibles aux nouvelles dates retenues… Si la situation est oppressante et déprimante pour les artistes consacrés, que dire des intermittents, frappés de plein fouet et plongés dans une terrible incertitude économique ?
Les médias sociaux, en tout cas, auront rarement paru aussi utiles, et un peu partout fleurissent des « kits de survie » du mélomane, du cinéphile, du fou de théâtre, du littéraire… Première Loge ne fait pas exception, qui propose à ses lecteurs, quotidiennement, un air porteur d’espoir, ainsi qu’ une liste d’opéras en ligne, de lectures ou de films en rapport avec la musique et le chant.
Le combat pour la survie de la culture peut paraître vain et dérisoire face à celui mené par les chercheurs, les soignants, les malades eux-mêmes. Il n’empêche : dans la nécessaire réflexion sur notre relation au monde qu’engendrera dans quelque temps cette crise sanitaire, il ne sera pas concevable d’oublier l’art, la culture, et l’importance qu’on doit leur accorder. Rarement leur présence n’aura à ce point paru nécessaire, pour ne pas dire vitale.
« Art would not be important if life were not important » (« L’art ne serait pas important si la vie ne l’était pas »). Soixante ans après l’entretien radiophonique dans lequel James Baldwin faisait cette déclaration (1), les propos de l’écrivain américain n’ont jamais semblé aussi vrais ni aussi urgents.
(1) Entretien radiophonique avec Studs Terkel (1961)