ROSSINI : Arie da camera
Maxim Mironov, ténor
Richard Barker, piano
Rossini, arie da camera
1 CD Illiria, 2019
Le programme proposé par Maxim Mironov dans ce CD Questo è Rossini ! Arie da camera est un peu le pendant rossinien de son album précédent, paru également chez Illiria, intitulé La Ricordanza et consacré à des mélodies de Bellini. On y entend plusieurs pièces vocales – dont certaines ont été explicitement composées pour voix de ténor – avec accompagnement de piano, composées de 1815 à 1867. De forme parfois fixe (présence de strophes, alternance de couplets et de refrains) mais le plus souvent de facture extrêmement libre, ces arie da camera revêtent des intérêts multiples : on y trouve parfois des esquisses mélodiques utilisées dans certains opéras (le Mi lagnerò tacendo de 1852 reprend en partie le motif de la cabalette de Giannetto dans La Gazza ladra) ; ils témoignent des constantes recherches du compositeur dont le langage musical, en perpétuelle évolution, ne peut aucunement se laisser enfermer dans un cadre ferme et définitif, mais aussi de sa grande maîtrise de l’écriture pianistique, d’un raffinement et d’une efficacité extrêmes, servie au mieux par un Richard Barker précis, virtuose et d’une musicalité constante (il accompagnait déjà le ténor dans son récital Bellini), jouant sur un pianoforte Pleyel de 1851.
Maxim Mironov présente le CD Questo è Rossini ! au cours d’une promenade dans Bologne.
À quelques exceptions près (L’Orgia, La Chanson du bébé, La Danza, la Canzonetta spagnuola – ici interprétée dans sa première version), les pièces retenues sont plutôt rares et suffisamment variées pour maintenir constamment éveillés l’intérêt et la curiosité de l’auditeur. Alternent ainsi des couplets enjoués et énergiques vantant les plaisirs de la vie dans toutes leurs diversités (l’Orgia, dédiée au très licencieux prince Emilio Begiojoso), d’autres (mélo)dramatiques (Il Fanciullo smaritto, narrant la disparition d’un petit enfant orphelin de mère), lyriques (Le Sylvain, empli de désespoir amoureux), nostalgiques (le très bel Esule évoquant le mal du pays d’un Gênois éloigné de sa terre natale).
L’esule : « Qui sempre ride il cielo ». (Péchés de vieillesse. Vol III) Piano : Michele D’Elia.
De cette moisson de mélodies rossiniennes, on retiendra notamment les étonnants Mi lagnerò tacendo (su una sola nota) et Adieux à la vie !, dans lesquels les contours mélodiques sont dessinés uniquement par le piano, la voix n’émettant qu’un seule et même note (un tour de force pour le chanteur qui ne peut guère rehausser son interprétation que par les couleurs et l’intensité vocales !), ou encore le Roméo de 1867 (chant de désespoir du jeune homme sur ce qu’il croit être la dépouille de Juliette) au dramatisme haletant (l’air fut composé l’année même de la création du Roméo et Juliette de Gounod).
Comme toujours chez Illiria, la rigueur musicologique est de mise. Un petit regret : afin que le texte des Adieux à la vie ! sonne plus naturel dans la bouche d’un ténor, le destinataire du poème, masculin dans le texte original, a été féminisé. Cela n’était guère nécessaire, le chanteur étant ici un narrateur et non un personnage (on s’accommode fort bien et depuis longtemps du Voyage d’hiver ou d’une Belle meunière interprétés par des femmes !) , d’autant que cela conduit à quelques entorses au respect de la prosodie française, les « e » finals de « Elle » (au lieu de « lui ») ou « cruelle » (au lieu de « cruel ») n’étant pas prononcés comme ils devraient l’être, afin de ne pas modifier la ligne musicale. Mais il s’agit d’un détail. Le livret (numérique) de l’album est extrêmement riche : outre la nécessaire présentation des artistes, il comporte une intéressante notice sur Rossini, une introduction à chaque aria, les traductions françaises des textes italiens ainsi que la reproduction de deux partitions.
Maxim Mironov confirme la place de choix qu’il occupe aujourd’hui dans la galerie des ténors rossiniens. La voix semble avoir gagné en projection et dispose de graves chauds et sonores (écoutez le vers « Voilà vos paroles dernières », ou encore « Et l’aiguille y tourne sans fin/Sans fin, sur un cadran sans heures » dans L’Âme délaissée), sans rien avoir perdu de sa souplesse dans les vocalises (il n’est pour s’en convaincre que d’écouter la fin de l’Addio ai Viennesi !) ni de son assurance dans les aigus. Elle est par ailleurs d’une morbidezza, d’un velouté que pourraient lui envier bien d’autres ténors rossiniens, sans pour autant jamais verser dans le douceâtre ou la mièvrerie : le ténor fait montre, à plus d’une reprise, d’une énergie réjouissante, notamment dans une Danza à l’allant irrésistible, heureusement privée des rallentandi et autres points d’orgue qui la défigurent trop souvent. Le chant est par ailleurs d’une poésie et d’une élégance constantes, grâce à un permanent jeu de clair-obscur et à une maîtrise du souffle lui permettant de ne jamais rompre la ligne musicale. Écoutez par exemple la transition entre les deux dernières strophes du Trovatore : Maxim Mironov enchaîne le dernier vers de la troisième strophe (« Mai non s’abbia a rallegrar ») avec le premier de la strophe suivante (« E così scemando il foco ») en faisant se succéder crescendo, diminuendo, trille sur une même tenue de souffle. Du grand art !
ROSSINI, Il Trovatore (Maxim Mironov)