Avec Massenet, l’opéra n’est jamais loin…
Royal Scottish National Orchestra, dir. Jean-Luc Tingaud
Massenet, œuvres symphoniques.
1 CD Naxos 8.574178. Durée : 75’05
La musique de Massenet possède des qualités dramatiques si évidentes que, même quand la voix humaine en est absente, l’on n’est jamais très loin de l’opéra, c’est-à-dire du théâtre. Naxos vient de faire paraître un disque consacré à ses pages symphoniques, musiques de scène et de ballet, pour l’essentiel, mais l’art lyrique y est malgré tout très présent.
Première curiosité, dans un disque consacré à des pages orchestrales, la voix humaine se fait malgré tout entendre. Oh, pendant deux minutes à peine, et filtrée, lointaine, à l’extrême fin de ce quart d’heure de musique : le poème symphonique Visions est une œuvre fort étrange, qui pousse le musicologue Jean-Christophe Branger, non sans humour, à considérer Massenet comme un ancêtre de l’IRCAM et de la musique électroacoustique. En effet, le compositeur a prévu parmi les instruments un « électrophone » par le biais duquel la voix nous parvient, effet de réminiscence qui préfigure la vision de Thaïs qu’a Athanaël dans l’opéra écrit peu après. Dans cette œuvre pleine de sensualité et de mystère, on entend d’ailleurs passer des échos annonciateurs de Thaïs, dont on entend fugitivement passer le thème de la fameuse « Méditation ».
Une rareté : l’ouverture composée en 1900 pour le drame historique Brumaire commémorant le coup d’État de Napoléon. À la tête du Royal Scottish National Orchestra, Jean-Luc Tingaud met parfaitement en valeur la vigueur de cette partition qui ferait une superbe ouverture d’opéra et souligne l’inventivité rythmique de Massenet, notamment dans le passage qui cite la Marseillaise.
Bien qu’on puisse y voir une œuvre de jeunesse, puisqu’elle fut créée la même année que l’ouverture intitulée Phèdre (1873), la musique de scène destinée à la pièce Les Erynnies de Leconte de Lisle, d’après Eschyle, est une partition inspirée, que Massenet arrangea et réorchestra sous diverses formes : il en tira la plus célèbre de ses mélodies, Elégie, d’après le passage où Electre verse des libations sur la tombe d’Agamemnon, et une suite d’orchestre d’une demi-heure que l’on entend ici. Même si l’on attend toujours un enregistrement complet de ce qu’a composé Massenet pour Les Erynnies, avec ses nombreux passages en mélodrame et ses différents chœurs, on appréciera cette belle interprétation des morceaux réunis dans la suite, notamment le poignant Entracte, et le ballet qui avait été imposé à Leconte de Lisle, avec en particulier l’entêtant motif de l’ « Allegro très décidé » concluant le divertissement en trois parties.
Massenet ayant lui aussi cédé, non sans talent, à la mode de l’espagnolade, le ballet Espada ne saurait manquer de rappeler au lyricomane les scènes dansées dans Le Cid, Chérubin ou Don Quichotte. Ce qui confirme que, décidément, le compositeur de Manon et de Werther ne nous éloigne jamais beaucoup de l’opéra.