La baryton italien interprète 20 mélodies anglaises de Francesco Paolo Tosti. Avec classe et sensibilité. Un album au charme entêtant.
Caricature de Tosti en 1885
On connaît finalement assez mal Francesco Paolo Tosti de ce côté des Alpes, si ce n’est par deux ou trois mélodies, toujours les mêmes, chantées en bis par certains ténors lors de leurs récitals : Non t’amo più, Aprile, Malia, Ideale… L’œuvre de ce musicien est pourtant loin de se réduire à ces quelques tubes : s’il ne composa jamais d’opéra, Tosti est l’auteur de quelque 500 romances, et c’est l’un des grands mérites de ce livre-CD de nous faire (re)découvrir la veine anglaise de ce compositeur qui fut à Londres maître de chant de la famille royale à partir de 1875. L’amitié qui le lia à Puccini, le fait que les plus grandes voix (de Caruso à Björling, Ponselle, Siepi, Carreras,…) aient toujours aimé l’interpréter, le fait également que Fauré lui dédia une de ses mélodies (Le Parfum impérissable) disent assez que la musique de Tosti ne saurait se réduire à quelques mélodies faciles, finalement assez proches de la variété.
Les mélodies choisies par Vittorio Prato, composées entre 1879 et 1911, dégagent un charme mélodique irrésistible, une limpidité dans l’écriture qui, loin d’empêcher l’émotion, la fait naître des arabesques tissées entre la voix et l’accompagnement pianistique, toujours subtil et délicat. Ces mélodies présentent une assez grande diversité de situations discursives : déclaration d’amour à la bien-aimée – ou à la mère (We watch and wait) ; récit complet d’une petite aventure amoureuse (Remembered still) ; incitation pressante au Carpe Diem façon « Mignonne, allons voir si la rose… » de Ronsard (Now !). Pourtant, c’est une grande homogénéité de tons qui se dégage de l’album. Les couleurs de ces mélodies sont à l’image de celles qui dominent dans les photos et le texte de ce beau livre-CD : elles oscillent entre le bleu et l’anthracite, un peu comme si les brumes de Londres avaient adouci les crêtes saillantes des Apennins et tamisé l’éclat du soleil des Abruzzes, familiers au jeune Tosti… Les pièces vraiment souriantes ou apaisées sont plutôt rares (More et more !, Come to my heart,…) et elles ne se départissent que rarement d’une mélancolie prégnante, un peu à l’image du Pierrot (Pierrot’s lament) dont le sourire n’est que de façade…
Vittorio Prato offre une magnifique interprétation de ces pages. Certes, la maîtrise vocale du baryton est totale : legato soyeux, aigus glorieux (conclusions de Dreams of the summer night ou de Tell me to stay !), science de la messa di voce (le dernier « who » de la mélodie du même nom). La mélodie Two offre, dans les lignes ondoyantes de son refrain (« But one… »), une image très parlante de la voix du baryton : souple, ductile, liquide et richement colorée.
Pourtant, au-delà de la technique, ce que l’on admire le plus chez le chanteur, c’est l’art d’être nuancé tout en restant naturel, sensible sans tomber dans la mièvrerie, précis dans la diction sans verser dans l’emphase. Bref, l’art de la subtilité et de la demi-teinte, l’art de faire chanter les mots et de faire parler la musique. Vittorio Prato y parvient, avec beaucoup de classe mais aussi une sincérité très touchante, que l’on retrouve dans le texte d’accompagnement du CD qu’il signe lui-même et où il nous fait part des pensées qui lui ont traversé l’esprit lors d’un voyage à Ortona, la ville natale de Tosti : on y lira ses réflexions sur la musique, son métier, l’importance de certaines rencontres (celle avec Pavarotti notamment). Et on y apprendra qu’enfant, le petit Vittorio chantait et dansait sur le tube français : « Et, toi, dis-moi que tu m’aimes ! » (Une compilation des plus grands succès de Lio s’impose…)
Un mot encore pour souligner l’extrême qualité de l’accompagnement de Vincenzo Scalera, qui n’est pas pour rien dans le charme entêtant qui se dégage de cet album, et au total un APPASSIONATO triplement justifié : pour l’originalité du programme, la qualité de l’interprétation, et le soin extrême apporté à cet album en tant qu’objet (qualité du papier, richesse des textes, beauté du dossier iconographique).
Vittorio Prato baryton
Vincenzo Scalera piano
20 mélodies de Francesco Paolo Tosti
I livre CD ILLIRA (114 pages), février 2021. Enregistré en avril-mai 2019