Poupée de feu, ange de son
DVD – PROKOVIEF : L’Ange de feu
Choix courageux, de la part de Naxos, de publier L’Ange de feu en DVD, mais il n’est pas sûr que la production captée à Rome soit la plus mémorable de toutes celles que l’œuvre de Prokofiev a connues depuis trois décennies…
Malgré le succès que connaît l’opéra de Prokofiev depuis le milieu des années 1980, l’Opéra Bastille ayant ouvert le bal dès 1986, la vidéographie de L’Ange de feu se bornait jusqu’ici à un unique DVD, reflet de la production montée à Saint-Pétersbourg en 1991 par David Freeman et dirigée par Valery Gergiev, avec toute la troupe de ce qui n’avait pas encore repris son nom de Théatre Mariinsky. Naxos vient y ajouter une autre vision, celle d’Emma Dante, captée à l’Opéra de Rome en mai 2019.
Peu de feu dans cet Ange-là
Jadis révélée au monde lyrique avec la Carmen qui lui fut confiée à la Scala pour la Saint-Ambroise 2009 (avec Jonas Kaufmann et Anita Rachvelishvili), la metteuse en scène sicilienne propose un spectacle étonnamment clair, pour une œuvre aussi ténébreuse. Dans des décors évoquant tantôt le Moyen Âge, tantôt le néo-classicisme fascisant de l’EUR, avec des costumes évoquant un vague passé, entre le XVIIe et le XIXe siècle, l’intrigue inspirée du roman de Brioussov se déroule de façon d’autant plus lisible que nous est montré tout ce qui devrait ne relever que du discours halluciné de l’héroïne, à commencer par le fameux Ange de feu, ici matérialisé par un danseur assez étrangement vêtu et coiffé d’une sorte de crête d’iguane. Ce que l’œuvre gagne en intelligibilité, elle le perd hélas en mystère. Malgré la présence d’acteurs prenant dans la première scène des poses dignes des hystériques de Charcot, le côté sulfureux disparaît aussi, surtout lorsque l’on comprend – grâce aux notes du livret d’accompagnement – pourquoi Renata est affublée d’une tenue qui la dépouille de toute sensualité et lui donne l’allure d’une poupée de chiffon : cette robe à tournure rose pâle, montante, et cette charlotte assortie qui dissimule les cheveux de l’héroïne renvoient en fait à la bambina imbalsamata des catacombes de Palerme (après consultation de photos de ladite fillette, le rapprochement n’a pourtant rien d’évident). Même la scène finale, souvent propice aux délires expressionnistes sur le mode des Possédées de Loudun revues par Ken Russell, paraît ici relativement calme.
De bons chanteurs mais une direction sage
Dans la fosse, le chef argentin Alejo Pérez choisit lui aussi de ne pas surligner les audaces de la partition, dont il ne déchaîne la violence qu’à quelques moments choisis, avec la complicité d’une distribution où dominent logiquement les chanteurs slaves : l’Inquisiteur majestueux de Goran Jurić, le Méphistophélès délicieusement outrancier de Maxim Paster, la Tenancière solide d’Anna Victorova ou l’impressionnante cartomancienne de Mairam Sokolova. On est surtout frappé par la prestation de la soprano polonaise Ewa Vesin dans le rôle de Renata, qui semble maîtriser sans effort les extrêmes d’une tessiture large, graves sonores et aigus qui ne se réfugient jamais dans le cri ; conformément aux choix de la mise en scène, le personnage ne donne guère l’impression de démence qu’on attendrait pourtant. Face à elle, le baryton américain Leigh Melrose confirme la curiosité dont il fait preuve, après sa brillante incarnation du Schmied von Gent de Schreker à l’Opéra des Flandres : malgré des intonations parfois très nasales, on retiendra son incarnation très investie de Ruprecht.
Les lois du DVD étant toujours aussi impénétrables, on regrettera que n’aient pas plutôt été immortalisées les productions de Barrie Kosky (Munich 2016) ou de Mariusz Treliński (Aix-en-Provence 2018).
Ruprecht Leigh Melrose
Renata Ewa Vesin
The Landlady Anna Victorova
Fortune-teller / Mother Superior Mairam Sokolova
Agrippa of Nettesheim Sergey Radchenko
Johann Faust / The Servant Andrii Ganchuk
Mephistopheles Maxim Paster
The Inquisitor Goran Jurić
Jacob Glock Domingo Pellicola
Mathias Wiessman Petr Sokolov
Chœur et orchestre de l’Opéra de Rome, dir. Alejo Pérez
Emma Dante mise en scène
Carmine Maringola décors
Vanessa Sannino costumes
Cristian Zucaro lumières
Manuela Lo Sicco chorégraphie
L’Ange de feu
Opéra en 3 actes de Serguei Prokofiev, livret du compositeur d’après Brioussov, créé le 25 novembre 1954 au Théâtre des Champs-Élysées (Paris).
Filmé au Teatro dell’Opera di Roma, 23 mai 2019
1 DVD Naxos